Rugby - Section Paloise : « La Champions Cup, on ne l’a pas méritée mais on va continuer de grandir quand même », les promesses de Piqueronies
Le bonheur de Sébastien Piqueronies au terminus de la saison : « C’était un de nos objectifs au début, de faire rayonner le drapeau Béarnais, avoir un vrai sentiment d’appartenance et une communion dans ce stade du hameau. Je sais d’où on est parti, je pense qu’on arrivera bien plus haut mais je suis déjà hyperfier déjà de ce qu’on a fait. »
Après un séminaire staff et avant les vacances, Sébastien Piqueronies a accepté un dernier entretien en guise de bilan. Le principe : se confronter à douze observations émises par les suiveurs de Pyrénées Presse à l’issue de cette saison.
Sur cette saison, vous pouvez avoir des regrets
« Je suis très déçu, très amer. J’ai les boules. Pour moi, c’est une grosse déception. Donc évidemment, j’ai des regrets. Lesquels, comment ? Là, il y a plein de petites théories à l’intérieur. Ce qu’il y a de sûr c’est que moi, mon squad et mon staff aussi, on a eu le rêve, puis l’ambition certaine d’être dans le top 6 ou le top 8. Et on n’y est pas arrivé. Je n’ai pas trop employé le mot échec, parce que c’est plus une désillusion. On n’a pas atteint ces buts, mais objectivement, on ne peut pas dire qu’en notre état de construction, ne pas être dans le top 6 de suite est un échec. En fait, je n’ai pas d’argumentaire. Tu mets trois lettres : O, U, I, point d’exclamation (rires) ».
Les 4 défaites d’affilée en décembre-janvier ont eu un fort impact
« Évidemment. Parce qu’il y a cette série. Et dans le lot, celle à Oyonnax, très certainement. Encore une fois, on perd chez le 14e, comme à Brive la saison passée. Et puis il y a ces deux revers à la maison, contre La Rochelle puis Castres. Même s’ils sont très différents dans le contenu, ils sont similaires car on prend zéro point sur les deux, alors qu’on a l’opportunité d’en sauver un. On aurait pu accepter de perdre en prenant un bonus défensif, même si on a été catastrophiques contre le CO.
Donc c’est cruel, c’est un tournant. Mais j’ai envie de dire, pour provoquer un peu tout le monde : comme chaque année. Ce n’est pas nouveau qu’on ait des difficultés l’hiver, ni qu’on prenne 0 point chez le dernier, ni que parfois il nous arrive de lâcher des matchs, particulièrement à cette période.
Elle est difficile dans le rugby professionnel parce que les jours sont plus courts, il y a moins d’énergie de manière globale, les corps sont fatigués. Et on enchaîne beaucoup de matchs, il y a les fêtes de fin d’année, entre la réception des familles, les rythmes qui sont différents. Je constate que toutes ces difficultés, on ne les gère pas mieux que les autres, voire moins bien. Et c’est ça depuis que je suis arrivé, hein.
Pour être très franc, j’ai identifié ce souci depuis longtemps, je pensais avoir trouvé des bons remèdes. Par exemple, on avait anticipé la session de Challenge Cup en laissant 18 joueurs à Pau pendant que les autres allaient en Afrique du Sud (pour affronter les Sharks). Mais le déplacement a été chaotique, les joueurs sont revenus crevés, on a eu deux blessés. C’était un calvaire. Et on a dû tirer sur la couenne des 18. Au final, j’aurais mieux fait de les mettre en vacances, ça m’aurait été plus bénéfique. Donc j’avais imaginé une stratégie pour mieux passer l’hiver mais je me suis planté ».
Vous n’avez pas assez joué la carte joker médical
« Sur le poste 1, on l’a bien utilisé, on a passé 19 gauchers (sourire) (8 en fait, Calles, Fisi’ihoi, Gigena, Thompson-Stringer, Parrou, Seneca, Tailhades, Chauvac, NDLR.) J’exagère à peine. Sinon, je ne suis pas d’accord. En 2e ligne ? On savait que Lekima (Tagitagivalu) pouvait nous être utile à ce poste. On avait le retour de Steven (Cummins) après son opération. Il y avait le retour attendu de certains joueurs. Et je trouve qu’on a eu raison de faire confiance à notre profondeur d’effectif, même si je suis d’accord que c’est passé juste des fois.
Je trouve qu’on a été réactifs et lucides sur l’urgence du poste de pilier gauche, ce qui nous a aussi amené des contraintes. Mais compte tenu de nos moyens et de notre groupe, je trouve qu’on a pris de bonnes décisions. Ça aurait été, je pense, inadapté de faire d’autres choix. Quand tu es manager de la Section paloise, le paramètre financier est existentiel. Je n’ai pas envie de dire qu’on est limité mais on a bâti un projet adapté à nos moyens. Pour moi, c’est la plus belle réussite du club d’avoir réussi à avoir une vision claire, cohérente et adapté à ce qu’on a ».
Vous ne vous attendiez pas à une telle explosion de Théo Attissogbe et Hugo Auradou
« Si j’étais impulsif, j’aurais répondu : ‘vous vous moquez de moi ?’ On attendait Hugo Auradou et Théo Attissogbe à un niveau Top 14. Sinon, on n’aurait pas fait ce chemin-là et la place dans l’effectif qu’on leur a donné. Parce que les avènements d’Hugo et Théo, ce sont les qualités des garçons mais aussi le brillant accompagnement du club, qui assume un plan de succession avec des choix d’effectifs à N-1, qui ont permis ça. Et après, s’ils sont bons en Top 14, ils sont éligibles à des sélections plus ou moins tôt.
On peut les féliciter de faire partie de l’équipe de France car c’est l’ambition du club, que d’avoir des jeunes formés chez nous qui deviennent internationaux. Si c’est vite, je ne sais pas si c’est mieux d’ailleurs. Ce qui compte, c’est d’y arriver et d’y rester… Si on évoque plus spécifiquement le cas d’Hugo, il m’a surpris positivement. Même si on l’a incorporé depuis plus de deux ans au groupe pro, je ne m’attendais pas à autant d’engagement, d’investissement et de détermination de sa part ».
Vous avez trouvé votre très grand capitaine avec Luke Whitelock
« Luke, je l’ai déjà mis capitaine il y a deux ans. Mais ce n’est plus du tout le même. Tout le monde a trouvé qu’il avait vraiment pris une autre dimension, moi le premier. C’est le fruit de ces trois années pleines avec nous. Luke, ce n’est pas un leader instantané comme l’est Sam (Whitelock, son frère, NDLR). Sam, il rentre là, il vient s’asseoir avec nous et il prendra tout l’espace. Luke c’est un leader différé. Il a besoin de sentir son environnement, de le connaître, de se sentir légitime.
Il a aussi simplement besoin de continuité. Vous vous rendez compte que dès qu’il n’a pas de pépins pendant quelques mois d’affilée, il va crescendo. Ces effets cumulés – continuité, vécu - font que oui, je vous rejoins totalement : on a trouvé un grand capitaine. Mais c’est le résultat d’un travail de longue haleine… Pas d’une méthode différente mise en place en août 2023. »
Vous êtes déçu que Sam Whitelock ne reste pas…
« Dans un sens, je vais répondre oui. Quand tu as Sam dans ton équipe, tu as envie qu’il reste éternellement. Mais c’est une illusion ou un rêve d’être éternel. Mais non, je ne vais pas me dire déçu parce que son argumentaire est tellement clair et limpide que je ne peux que respecter sa décision. On s’est vu trois fois sur ce sujet avant qu’il annonce sa décision. Il a vu que le Top 14 c’est dur. Et il ne se sentait pas capable d’être de nouveau 10 mois sur le pont. Il m’a dit, ‘moi ce que je veux c’est être bon à chaque fois que je joue et là je pense que je ne suis pas capable d’être bon les 18 fois que tu me solliciteras.’ Je ne peux qu’être admiratif. Sam, comme il a toujours fait dans sa carrière, a décidé exactement ce qu’il voulait faire. Il sentait que les paramètres n’étaient pas réunis pour être une année entière à la hauteur de ses exigences. C’est puissant comme décision : dans notre environnement professionnel, beaucoup de joueurs auraient choisi de courir après un contrat. Arrêter ainsi, ça lui donne une grandeur, une liberté. Moi qui ai un besoin de liberté très fort, je trouve ça magnifique.
Sam, s’il nous a amené cette puissance c’est parce qu’il a été lui-même. S’il faisait un autre choix il ne serait pas lui-même… Si c’est pour se garer, faire un entraînement sur deux, jouer deux matches, alors ce ne serait pas Sam. Je me dis que j’ai eu le privilège dans ma petite carrière de croiser le grand Sam Whitelock. »
Vous avez travaillé fort pour que vos débuts de matchs soient aussi souvent réussis
« Je ne vois pas trop d’explications rationnelles : ni quelque chose qu’on aurait changé ou travaillé différemment dans notre préparation que ce soit l’échauffement, la préparation psychologique, l’organisation de la journée de match. C’était assez fidèle à l’année dernière. Donc à mon sens c’est plutôt le résultat d’une certaine continuité. Mais je crois qu’on a franchi un cap dans notre capacité à générer de l’intensité, à s’entraîner en intensité, à assumer d’être tous ensemble sur une intensité élevée et d’en être fier. Pour moi ça a été le fil conducteur de l’année et ça se matérialise par les entames de match. »
À Toulouse, l’entrée de Thomas Souverbie à la place de Thibault Daubagna est un calcul sur le moyen terme : vous vouliez le préparer pour répondre présent en cas de qualification. Mais le match est perdu.
« Thomas est le troisième demi de mêlée identifié donc j’avais prévu de lui donner du temps de jeu dans cet environnement-là pour qu’il grandisse. La priorité pour notre projet pour le club c’est de tenir le plan et je suis persuadé d’avoir eu raison. D’autant qu’il y a deux éléments dans ma réflexion : mon plan à moyen terme pour le bien du club et le court terme. Et même sur le court terme, le déroulement sur le terrain conforte mon plan. Sur les 10 minutes avant que je sorte Thibault (Daubagna), je vois bien qu’il n’a plus de batterie. Thibaut a fait un match énorme, dépensé une énergie considérable et il n’est plus au top de sa lucidité à la fin. Il y a deux sorties de camp mal négociées. Mais faut-il davantage en parler que de la réception sous la deuxième sortie de camp ou la décision de l’arbitre quand Antoine Dupont à la 70e sur la touche, mange la zone des dix mètres ? »
Il a manqué une doublure plus expérimentée à Joe Simmonds ?
« Grosse erreur de votre part. Je ne suis pas du tout d’accord. Notre projet, c’est d’abord une vision claire et une cohérence totale en fonction de nos moyens. Aujourd’hui au regard de ça, ce serait stupide d’avoir une doublure équivalente à Joe Simmonds qui enlèverait de la masse salariale alors que j’ai besoin de densifier mon paquet d’avants. Et je suis très heureux d’avoir un leader pro comme Joe et deux jeunes du centre de formation, Clément Mondinat et Axel Desperes derrière. Je vais être très positif : Axel a encore mieux réussi que ce que je pensais. On misait beaucoup sur lui mais il a été légèrement au-delà de nos espérances.
Je suis très fier de nos choix. Il valait clairement mieux qu’on prenne Sam Whitelock sur 7 mois pour nous aider à grandir que de prendre un deuxième 10, qui au final aurait même freiné l’éclosion d’Axel. Ce choix, on ne l’a pas subi, il n’y avait ni crainte ni peur.
Moi mon plan initial, c’était Antoine (Hastoy), Zack (Henry) et Jack Maddocks : 3 pour 2 postes en 10 et 15. Sauf que 2 ans après, j’en perds deux sur les trois. Avec cohérence et vision, on s’est très bien réajusté. Je ne me jette pas souvent des fleurs mais je trouve qu’avec Joe Simmonds, on a été brillant : c’est le bon mec au bon endroit. Il faut qu’on devienne plus dur, plus rude, qu’on ne soit pas qu’élégants : on a pris le meilleur plaqueur d’Europe au poste d’ouvreur. Tous les mecs veulent jouer avec Joe. Il colle à ce dont les avants avaient besoin. Il est rayonnant ici. Axel, avec ce temps de jeu là, il a explosé. Et Clément (Mondinat), j’y crois fort. Il a vécu une année cauchemardesque mais souvenez-vous de la victoire à La Rochelle, il y était. C’est un garçon très déterminé, très exigeant envers lui. De ces épreuves, il va en sortir grandi”.
Le jeu au sol et la mêlée ont été les deux facteurs pénalisants pour la Section cette saison.
Oui mais pour être précis, le terme le plus adapté, c’est l’irrégularité. Le jeu au sol, c’était catastrophique à Auxerre (contre le Racing), brillant le week-end d’après contre Perpignan. Je ne vais pas vous dire qu’on est nul. Parfois je l’ai dit pour secouer mais en fait on est très irrégulier. Ça, c’est un facteur qui nous coûte beaucoup. Je constate aussi que les plus grands clubs d’Europe sont ceux qui de manière stable sont performants sur ce secteur-là mais ils sont ceux qui ont mis le plus longtemps à construire : je suis humble par rapport à ça, on ne va pas devenir un des clients européens sur le jeu au sol en deux années. Mais c’est clairement un des axes de progression d’être beaucoup moins irrégulier sur ce secteur. Je sors du séminaire staff et je peux vous dire que le 22 juillet, la clé du jeu au sol va être au centre de notre identité de jeu pour l’année quatre. On se doit clairement de franchir un cap sur les rucks offensifs comme défensifs.
Le jeu c’est une matière vivante donc on fait évoluer le nôtre. C’est le bon moment d’élever fort nos standards sur le jeu au sol, sans jugement de valeur.
Quant à la mêlée, c’est aussi évident : on avait l’habitude d’avoir une mêlée dominatrice à la Section et cette année, elle a été irrégulièrement sifflée. Elle n’est pas dominée parce qu’elle est encore dans les standards moyen plus mais on veut absolument retrouver une mêlée dominante et peu pénalisée”.
Vous avez fait revivre le Hameau
« Oui. Ça me fait excessivement plaisir. On fait tous ces métiers-là pour vivre des émotions. Et effectivement, je sens que dans le stade on a vraiment franchi un cap : il y a une communion de plus en plus fertile entre les joueurs et le public. Je me sens de plus en plus soutenu et je pense même qu’on peut aller beaucoup plus loin. Je suis hyper fier de ça et pour moi c’est un des marqueurs forts de cette année. Plus que les résultats. On fait tout ça pour ça : pour vivre des émotions, pour rendre un public fier pour avoir cette communion. Depuis 3 ans ce sont des micro-trucs cumulés qui font qu’on en arrive là. C’est le fruit d’une vision : c’était un de nos objectifs au début, de faire rayonner le drapeau Béarnais, avoir un vrai sentiment d’appartenance et une communion dans ce stade du Hameau. Je sais d’où on est parti, je pense qu’on arrivera bien plus haut mais je suis déjà hyper fier déjà de ce qu’on a fait.
Si vous prenez une image d’il y a deux ans, c’est évident. J’ai des copains qui viennent une fois par an, ils voient qu’il y a une différence.
La Champions Cup serait arrivée trop tôt pour la Section Paloise
« Non. On a tous eu cette ambition, on a tous eu ce désir et pour moi l’assouvir aurait été nettement plus fort que le reste. Donc clairement, je vous réponds sans filtre : pas du tout.»
Vous me parlez de l’exemple bayonnais mais je ne me compare pas aux autres. On a notre chemin pour y arriver. J’aurais aimé que ça soit le cas cette année, il faudra que ça arrive l’année prochaine. Moi, je ne raisonne pas au conditionnel. Je nous pensais mature pour absorber la Champions Cup dès l’année d’après. On ne l’a pas mérité mais on va continuer de grandir quand même. »