La tournée de novembre a été émaillée de nombreux incidents mettant en lumière l'incohérence de certaines décisions d'arbitrage sur les plaquages dangereux. Difficile d'y voir clair.
Dominique Issartel
Chaque week-end, ou presque, les mêmes discussions, que ce soit en Top 14, en Premiership anglaise, en Coupe d'Europe ou, tout récemment, lors des test-matches de la tournée de novembre. Pourquoi le plaquage d'Owen Farrell, l'ouvreur anglais, n'a pas été sanctionné ? Celui d'un autre numéro dix, son compatriote Danny Cipriani, méritait-il vraiment un carton rouge ? La suspension de Jérôme Kaino, l'ex-All Black du Stade Toulousain, n'est-elle pas trop lourde ? Certains Toulonnais avaient-ils raison de mettre en doute le carton rouge reçu par Romain Taofifenua le week-end dernier ?
À ces questions, dans la bouche des uns et des autres, sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, vous trouverez toutes les réponses possibles. Supporters, consultants renommés, joueurs, entraîneurs et mêmes arbitres, chacun a son avis et le partage parfois avec virulence.
«Encore un match de foutu ! Pas de chance pour ceux qui ont payé leurs billets...», lâche un jour sur Twitter le troisième-ligne centre de l'équipe d'Angleterre, Billy Vunipola, en regardant Munster-Gloucester en Coupe d'Europe, deux cartons jaunes et un rouge pour plaquage haut. Les sanctions sont parfois jugées trop sévères. Si on n'a plus le droit d'asséner un bon gros tampon au-dessus des épaules... «On dénature le jeu, s'exclame, furibard, Geordan Murphy, l'entraîneur de Leicester, après l'expulsion d'un de ses joueurs, Will Spencer, auteur d'un plaquage à hauteur d'épaule. Ce sport est devenu politiquement correct.» Le lendemain, il fera volte-face, regrettant des propos jugés irresponsables par beaucoup, au moment où le rugby essaie d'éradiquer le fléau des commotions et de se débarrasser d'une image de sport dangereux qui, depuis quelques saisons, lui colle à la peau.
Car l'argument du rugby qui devient «soft», comme disent les Anglais, ne tient pas. Les plaquages hauts n'ont pas toujours existé et personne n'irait dire que le jeu pratiqué dans les années 1980 et 1990 était trop moelleux.
En revanche, ils ont toujours été sanctionnés, ce qu'a justement rappelé le flanker international du Munster, Peter O'Mahony, après le match polémique contre Gloucester : «Les joueurs n'ont pas à s'occuper des interprétations de l'arbitre (favorisées par un règlement où il est demandé de prendre en compte le côté accidentel du geste). Il faut leur faire confiance à 100 % parce qu'on a suffisamment de choses à faire par ailleurs. Les plaquages hauts ont toujours été interdits au rugby, ce n'est pas comme si on le découvrait ! Si tu plaques en position debout et juste au-dessus des épaules, tu prends une pénalité depuis toujours. Aujourd'hui, à cause des commotions, les sanctions se durcissent mais c'est un geste qui n'a jamais été autorisé.»
Rappel à l'ordre de World Rugby, qui réclame plus de cartons
Le problème, et c'est là où la confusion est grande, c'est qu'il l'est parfois. C'est arrivé à au moins deux reprises lors des tests de novembre. Lors de la victoire du pays de Galles contre l'Australie, le centre des Wallabies Samu Kerevi a percuté en pleine tête Leigh Halfpenny, sans qu'aucune sanction ne soit prononcée. Remplacé pour commotion cérébrale, l'arrière gallois n'a pu tenir sa place ni contre les Tonga, ni contre l'Afrique du Sud samedi.
Et l'Anglais Owen Farrell s'en est tiré sans pénalité lorsqu'il a heurté plein fer le Sud-Africain André Esterhuizen dans les ultimes secondes du match entre le quinze de la Rose et les Springboks. Récidiviste, Farrell a encore été pointé du doigt le week-end dernier fac aux Wallabies. Au moment où World Rugby, qui a imposé un durcissement des sanctions pour plaquages hauts en 2017 afin de répondre à l'augmentation des commotions cérébrales, demande la plus grande sévérité, ces exemples font tache et la communication opaque de l'instance internationale n'aide pas à clarifier les choses.
Muette pendant deux semaines, la Fédération a tenu à rappeler, jeudi dernier, par la bouche de son directeur général Brett Gosper, que «la seule façon de changer le comportement des joueurs est de les sanctionner d'un carton rouge. Nous n'avons pas été assez durs, il n'y a pas eu autant de cartons jaunes que nous le voulions et peut-être même pas assez de cartons rouges».
Après le premier plaquage de Farrell qui, de l'avis quasi général, méritait au moins une pénalité - qui aurait pu faire perdre les Anglais -, World Rugby aurait dû prendre position, même si ce n'est malheureusement pas dans ses habitudes. L'ex-international Andy Goode l'a martelé dans une chronique : «À l'heure où on essaie de changer le comportement des joueurs, cet incident, car il implique une star du jeu dans un match international, devrait être pris en exemple. Certaines personnes me demandent comment apprendre aux enfants à plaquer bas s'ils ont vu faire Owen Farrell ?»
Pierre Mignoni, le manager de Lyon, estime lui que «si on veut vraiment aller au bout, on doit tolérer quelques incohérences. Même à la vidéo, même avec un ralenti, on a du mal à être sûrs. Un arbitre, il décide avec sa sensibilité humaine, le moment, le choc. Il y a vingt mille spectateurs, et personne n'a le même avis. Les règles du rugby laissent la part à la subjectivité.»
Les décisions disparates ne sont pas le seul problème soulevé par les joueurs qui sont, pour beaucoup, persuadés qu'un des effets pervers du durcissement de la règle est la simulation. L'épisode du plaquage de Danny Cipriani, expulsé alors que son adversaire semble délibérément se baisser, a beaucoup fait parler. Brian Moore, ancien talonneur anglais qui écrit pour The Telegraph, se demande : «Que se passe-t-il quand le porteur de balle plonge/se baisse et, par cette seule action, transforme un plaquage qui aurait été dans la règle en un plaquage illégal ? Est-ce que cela va encourager les porteurs de balle à se baisser dans l'unique but de récolter des pénalités ? Malheureusement, cela ne peut pas être résolu par le règlement tel qu'il est. On peut passer tous les ralentis qu'on veut, il y aura toujours le soupçon de la subjectivité. Cela n'arrêtera pas les actuelles controverses.» Mais, conclut-il justement : «Est-ce une raison pour ne pas essayer de réduire les risques le plus possible ?» Tout le problème est là en effet.
8
Lors des deux premières journées de Coupe d'Europe, sur vingt matches, huit cartons ont été distribués pour plaquage dangereux : six jaunes (Jérôme Kaino, George Ford, Daniel Ikpefan, Tom Savage, Stephen Archer, Logovi'i Mulipola) et deux rouges (Maama Vaipulu, Danny Cipriani).
Que dit la règle ?
Le règlement de World Rugby distingue deux types de plaquages potentiellement répréhensibles : le dangereux et l'accidentel.
Il y a plaquage dangereux, s'il est considéré qu'il y a eu un contact dangereux, dans le cadre d'un plaquage, et si le joueur savait ou aurait dû savoir qu'il y avait un risque d'entrer en contact avec la tête de l'adversaire mais a tout de même effectué ce geste. Cette sanction s'applique même si le plaquage débute au-dessous de la ligne des épaules. Ce type de contact s'applique également à une prise et à un enroulement/une torsion autour de la zone de la tête/du cou. Sanction minimale : carton jaune. Sanction maximale : carton rouge.
Il y a plaquage accidentel lorsqu'un joueur entre en contact avec un autre joueur dans le cadre d'un plaquage et entre accidentellement en contact avec la tête d'un adversaire, directement ou si le plaquage débute au-dessous de la ligne des épaules, ce joueur peut être sanctionné. Cela inclut les situations dans lesquelles le porteur du ballon est plaqué après avoir perdu ses appuis. Sanction minimale : coup de pied de pénalité.
Pourquoi les plaquages hauts sont-ils ciblés ?
Longtemps identifiés culturellement comme une marque de fabrique des rugbymen du Pacifique, les plaquages debout et à hauteur de tête se sont propagés à la fin des années 1990 quand les joueurs, à cause de l'évolution des gabarits, se sont mis à jouer sur la ligne d'avantage en essayant de rester debout pour faire vivre le ballon. Aujourd'hui, le but est de stopper le fameux offload (passe après contact), geste venu du rugby à XIII, il y a une dizaine d'années. Les plaquages debout, souvent à deux, se multiplient.
Parallèlement, une étude diligentée par World Rugby a confirmé que les commotions (611 cas entre 2013 et 2015) étaient provoquées dans 76 % des cas par un plaquage et que le plaqueur était plus exposé que le plaqué (335 commotions contre 129, soit 72 %). En novembre 2016, World Rugby publie donc de nouvelles directives en matière de plaquages dangereux.
Les sanctions sont-elles efficaces ?
Le nombre de sanctions a augmenté lors des premiers mois de la mise en application des consignes (de janvier à juin 2017) pour atteindre 64 % de pénalités en plus et 41 % de cartons jaunes en plus. Mais, la saison suivante, les cartons jaunes n'ont progressé que de 13 %. Trop peu, selon les experts, pour obtenir le changement de comportement voulu. «Dans le Championnat anglais, révèle Simon Kemp, directeur de la commission médicale de la RFU, les cartons ont même diminué de 36 %.»
Face à ce statu quo, World Rugby a deux solutions. Soit elle passe à la phase 2 de son plan et retire à l'arbitre la responsabilité de la sanction en utilisant, comme lors du Mondial U20, le High Tackle Warning (HTW, avertissement pour plaquage haut) - il s'agit de comptabiliser les plaquages dangereux des joueurs en cours de match, sans les faire sortir, et de les punir a posteriori (un match de suspension pour 3 HTW). Soit elle enclenche directement la phase 3 et baisser la ligne de plaquage au niveau des aisselles.