TOULOUSE - L'audience devant le conseil des prud'hommes de Toulouse, tant attendue depuis son licenciement du poste de sélectionneur de l'équipe de France, le 27 décembre 2017, a enfin eu lieu jeudi. Mais Guy Novès ne sait toujours pas s'il obtiendra gain de cause face à la Fédération française de rugby (FFR) et empochera les 2,88 M€ de dommages et intérêts qu'il réclame. La décision sera rendue le 8 avril. « Ça fait quatorze mois que je suis à la maison avec une bâche sur la tête et il faut encore attendre. Et il y aura sûrement encore d'autres échéances par la suite. C'est une souffrance », a réagi à la sortie de l'audience celui qui fut manager du quinze de France entre fin 2015 et fin 2017, évoquant un éventuel appel.
Jeudi, la plaidoirie de maître Joseph Aguera, l'avocat de la FFR, n'a pas été de tout repos pour l'ancien sélectionneur. « On m'avait dit que ce ne serait pas un bon moment, a-t-il souri. Oui, ça n'a pas été un bon moment. Mais j'y étais préparé. » Il était aussi bien entouré. Accompagné de sa femme, Guy Novès est arrivé un peu après 13 heures aux abords du conseil de prud'hommes, niché en plein coeur de la Ville rose, à quelques encablures de la place du Capitole.
Guy Novès quitte le conseil des Prud'hommes de Toulouse, le 14 février. (F.Lancelot/L'Equipe)
«Ça fait quatorze mois que je suis à la maison avec une bâche sur la tête et il faut encore attendre. C'est une souffrance», Guy Novès, à la sortie de l'audience
Il a rejoint dans un café voisin l'une de ses filles et quelques amis, dont Claude Hélias, ancien président du conseil de surveillance du Stade Toulousain. Puis, quinze minutes avant le début de l'audience publique, fixée à 14 heures, il a fendu la foule de journalistes venus pour l'occasion.
Avant d'entrer dans la salle Capitole, déjà bondée, Guy Novès a pris une grande inspiration, puis il est allé s'installer devant son avocat, maître Laurent Nougarolis, sans un regard pour la partie adverse. Maître Aguera, avocat de la FFR, était arrivé vers 13 h 30, accompagné par le directeur général de la FFR, Sébastien Conchy, en l'absence du président Bernard Laporte et de son bras droit, Serge Simon.
Des joueurs du quinze de France témoignent de leur soutien à Guy Novès
« L'audience est ouverte », a lancé avec détermination à 14 heures le président de séance. « Il y a trop de bruit dans la salle, j'ai demandé le silence ! », a-t-il pesté rapidement. C'est l'avocat de Guy Novès qui ouvrit le bal en commençant par rappeler le palmarès de son client. « Pour lui faire plaisir », rétorquera son confrère lors de sa plaidoirie, faisant sourire Novès. Pendant quarante-cinq minutes, l'avocat de l'ancien sélectionneur a insisté sur le fait que le licenciement de son client ne reposait sur « aucune cause réelle et sérieuse ». « En face, on n'a rien ! », a-t-il martelé.
Une plaidoirie très technique sur plusieurs points de droit que n'auraient pas respecté la partie adverse, comme la lettre préalable au licenciement que n'a jamais reçue Novès. Il a également argué de la non-existence de l'audit diligenté par Serge Simon, le vice-président de la FFR, qui aurait servi pour justifier la faute grave de Novès et donc son licenciement.
«Au Stade Toulousain, il était Dieu tout-puissant. En équipe de France, c'est l'intérêt général qui passe en premier», Me Aguera, l'avocat de la FFR
Maître Nougarolis a ensuite poursuivi en produisant des attestations d'Antoine Marin, ex-directeur opérationnel du quinze de France, et René Bouscatel, ancien président du Stade Toulousain, qui assurent que, lors d'un meeting de campagne de Bernard Laporte, ce dernier avait publiquement dit que sa première mesure, une fois élu à la présidence de la FFR, serait de virer Novès.
Il a aussi intégré au dossier plus d'une centaine de SMS de soutien reçu par l'ex-sélectionneur des Bleus et notamment ceux de joueurs actuels du quinze de France, comme Guilhem Guirado, Yoann Huget, Louis Picamoles ou Wesley Fofana, qu'il a nommés. Enfin, il a listé l'intégralité des sommes réclamées. Dommages et intérêts, rupture abusive, préjudice moral, préjudice de notoriété, harcèlement moral, heures supplémentaires, repos compensateur, RTT... pour un montant total de 2,88 M € !
L'ambiguïté du contrat de Novès pointée du doigt par la défense
Dès son entrée en action, maître Aguera a été beaucoup plus incisif, se montrant même cassant envers Novès : « L'orgueil est une qualité, mais poussé à l'extrême, c'est un défaut de se croire unique et au-dessus. » Puis : « 360 000 € de préjudice de notoriété. Pour qui on se prend ? » Et encore : « Le summum, ce sont les heures supplémentaires ! Jamais un entraîneur pro de n'importe quel sport n'a osé demander des heures supplémentaires ! C'est de l'orgueil démesuré, je suis au-dessus des autres, je suis une statue vivante donc je demande des heures sup' ! »
À chaque fois, Guy Novès est resté quasi impassible, les jambes croisées et souvent la main sur le menton. Il a juste esquissé quelques sourires. Sur le fond du litige, maître Aguera a insisté sur deux points. Il a d'abord pointé l'ambiguïté du contrat signé par Guy Novès, qui avait d'abord un rôle de conseiller du président Pierre Camou entre le 1er juillet et le 30 novembre 2015, puis de sélectionneur à partir du 1er décembre 2015, succédant à Philippe Saint-André. L'avocat de la FFR a laissé entendre qu'une « fraude », au sens juridique du terme, avait été commise par l'ancienne gouvernance afin de demander notamment la requalification du CDD en CDI. La raison ? S'il s'agit d'un CDD, la FFR doit au minimum les 24 mois de salaires restants à l'ancien sélectionneur (à 30 000 € mensuels, soit 720 000 €). Si le contrat est requalifié, loi Macron oblige, c'est trois mois maximum !
Puis, il a insisté sur le fait que Guy Novès n'avait pas respecté sa hiérarchie, ce qui explique son licenciement : « Au Stade Toulousain, il était Dieu tout-puissant. En équipe de France, c'est l'intérêt général qui passe en premier, vous devez rendre compte. Dans une entreprise, il y a une hiérarchie. M. Novès tout-puissant n'était pas habitué à ça ! »
Avant de convoquer les deux parties le 8 avril pour le prononcé de la décision, le conseil des prud'hommes de Toulouse s'est permis de poser une question. « L'audit, vous l'avez ? »« Je ne l'ai même pas ! », a reconnu l'avocat de la FFR, ce qui a entraîné de vives réactions dans la salle et quelques applaudissements. En quittant les lieux, sur les coups de seize heures, Novès a déclaré : « Entendre une série de mensonges, ce n'est pas facile. »