Du temps de Bernard Laporte, il y avait des problèmes, et des graves (*). Mais pas celui de se demander qui serait le candidat incontournable de la majorité à une élection suprême. La démission du chef, un vendredi grelottant de janvier (le 27), a fait sauter le vernis de l'unité.
Pour un bout de pouvoir ou une place sur la photo au balcon pendant la Coupe du monde, certains se sentent soudain plus légitimes que les autres. Le départ sans fanfare, mais avec casseroles, du quintuple condamné Laporte - il a fait appel du jugement - aurait pu être surmonté assez simplement, les statuts de la FFR permettant de convoquer dans un délai de six semaines des élections générales.
Six semaines, ce serait tombé à peu près maintenant. C'était le scénario que privilégiait l'autorité de tutelle du ministère des Sports. Mais c'était sans compter sur les collapsologues de Marcoussis. Promettant l'effondrement de la Coupe du monde à la maison et même de la maison quinze de France, et sans doute un changement de rotation de l'axe de la Terre, ils préférèrent en passer par un référendum pour élire le président délégué proposé par Laporte.
Le vote des clubs fut perdu le 26 janvier par le candidat Patrick Buisson et immédiatement recyclé en kleenex puisque la majorité se moucha avec en nommant un président intérimaire, Alexandre Martinez. Ces élections générales auraient provoqué « le chaos » (dixit Martinez). Même raisonnement pour Patrick Buisson : « Si vous passez par de nouvelles élections, cela va prendre six mois. Si on arrive à cela, bon courage à l'équipe de France et aux clubs français. Ce serait prôner la division. Les clubs veulent jouer, pas voter toutes les trois semaines. »
Venant de celui qui propose de fermer tout le rugby français amateur pendant la durée de la Coupe du monde, cela ne manque pas de croquant.
Deux mois plus tard, la majorité ne peut que suivre les recommandations du comité d'éthique qu'elle avait saisi pour savoir comment organiser au mieux, le temps d'un week-end d'assemblée générale ordinaire à Lille (29-30 juillet), les deux scrutins obligatoires : d'abord compléter le comité directeur (12 sièges vacants, dont les 9 des élus démissionnaires de l'opposition Ovale Ensemble) puis élire un nouveau président de plein droit de la FFR, jusqu'à fin 2024, date d'expiration du mandat de quatre ans. Réponse du Comité d'éthique : oubliez Lille.
À une assemblée générale ordinaire qui n'autorise que le vote physique, le comité d'éthique a préconisé l'usage du vote électronique, plus à même de renflouer le crédit d'un exécutif qui en manque tant. Il a aussi recommandé de respecter deux temps électoraux espacés, pour que les candidats aient le temps de se faire connaître et de mener campagne avant chaque scrutin.
« Comment vouliez-vous qu'un membre élu le jeudi au comité directeur puisse faire sa déclaration et sa campagne le vendredi avant le vote du samedi midi ? », résume-t-on en interne. Dans cette configuration d'une vacance au poste de président, seul un membre du comité directeur pourra briguer la présidence de la FFR, dans un scrutin non pas de listes mais uninominal.
Moralité : plutôt que d'organiser un seul scrutin - des élections générales de listes en six semaines - il faudra voter trois fois en six mois : janvier, mai et juin. Puis remettre le couvert un an et demi plus tard. Le canal historique des pro-Laporte voulant à tout prix garder la majorité au comité directeur et surtout garder son hochet pour la Coupe du monde, le rugby français va vivre sous campagne électorale permanente pendant les trois prochains mois.
Les clubs ne voulaient peut-être pas voter mais on ne leur aura jamais autant demandé de le faire. Moralité (bis) : ce n'est pas le vent qui change de sens, c'est la girouette qui tourne.
L'état de la façade du château de Marcoussis, avec fissures apparentes, rappelle à certains la grande pièce de théâtre de 1991, rythmée par les coups de Jarnac entre l'alliance Bernard Lapasset-Robert Paparemborde, jadis ennemis, et le favori Jean Fabre, le tout sous les yeux à gros monosourcil de tonton Albert Ferrasse. À l'époque, c'était juste après une Coupe du monde. Cette fois, c'est juste avant.
D'après nos informations, Buisson et Christian Dullin se verraient bien dans le rôle du candidat de la majorité à la présidentielle. Martinez le voulait aussi. Président intérimaire pendant le Tournoi, il a pris goût à la lumière. Mais on lui aurait depuis fait comprendre qu'il n'était pas le mieux placé et il serait rentré dans le rang. Le nom de Brigitte Jugla, vice-présidente en charge du rugby féminin, a brièvement circulé la semaine dernière, avant de repartir comme il était venu.
Secrétaire général de la FFR, Christian Dullin se sent à l'écart et aurait acquis la conviction que son heure a sonné. « Lui, il a toujours envie d'y aller, c'est les autres qui ne veulent pas », indique-t-on à Marcoussis. Mais le bout de gras devrait revenir à Buisson, vice-président chargé du rugby amateur. Oui oui, le même que celui qui a perdu au référendum, mais six mois plus vieux.
Et ce n'est pas tout : borduré (et vexé de l'être) par la création, annoncée au comité directeur du 14 février, d'un « bureau fédéral exécutif restreint » qui n'a aucune justification si ce n'est de concentrer plus encore le pouvoir entre quelques mains, Alain Doucet a démissionné du bureau fédéral classique, tout en conservant son siège au comité directeur. Patron de la Ligue Occitanie, la plus puissante de France, il réfléchit à se présenter à la présidence de son côté. « Isolez-vous à plusieurs ! », disait un entraîneur de rugby à ses joueurs dans un discours d'avant match approximatif. Nous y voilà. On n'en est pas encore à vérifier le contenu des carafes à la cantine de Marcoussis mais les basses manoeuvres ont commencé.
Depuis plusieurs jours, des membres de l'opposition, menée par Florian Grill (chef de file d'Ovale Ensemble, liste démissionnaire du comité directeur le 27 janvier), ont été approchés par des émissaires de la majorité. Les ficelles ont l'épaisseur de cordes de marine mais l'objectif est toujours le même : tenter de sauver la gouvernance actuelle, du moins ce qu'il en reste, jusqu'à la Coupe du monde, en offrant au camp Grill de retrouver quelques menus avantages de gouvernance contre une certaine docilité sur la suite du mandat.
Ce marchandage doit sans doute être rangé avec les fameux « risques politiques » dont parlait le docteur Serge Simon pendant le procès de septembre dernier (affaire Laporte - Altrad). Lui-même ne peut pas se présenter au prétexte que le comité d'éthique lui avait déjà déconseillé de le faire en janvier au moment du référendum, considérant que l'appel formé contre lui par le Parquet national financier (PNF) faisait planer une menace trop lourde. Cette inéligibilité préventive n'émeut pas des masses en interne car personne ne croit qu'il pourrait gagner une élection sur son nom. Mais cela ne l'empêche pas de manigancer.
Une autre menace plane au-dessus de cette gouvernance : les résultats de la double enquête sur les finances de la FFR, menée par les inspections générales des ministères de l'Économie et des Sports, sont attendus d'ici mai ou juin. Les inspecteurs ont investigué à Marcoussis le 7 mars et procédé aux premières auditions.
Il ne manquait plus à ce tableau que la contribution personnelle de Bernard Laporte. Dans un entretien publié par Eurosport le week-end dernier, l'ancien président de la FFR a déclaré : « Florian Grill ne maîtrise pas ce qu'est le haut niveau, il ne le connaît pas. Or, le président de la FFR doit connaître le haut niveau [...] Quand je vois ceux qui entourent Grill... Abdelatif Benazzi n'a même pas fait un an dans un staff à Montpellier et il est détesté de tout le monde. Fabien Pelous a été viré de Toulouse. Je ne peux même pas leur en vouloir tellement ils me font rire ! Ils sont juste là pour exister dans une fédération parce qu'ils sont nuls. Pelous a été un très grand joueur et a mérité les sélections que je lui ai données mais il a fait quoi après ? Je dis à ces gens, prenez des clubs, gagnez comme je l'ai fait et après vous pourrez parler ! » En disant cela, Laporte disqualifie tout autant Buisson, Martinez, Simon que Dullin... Tout le monde, à part lui.
« Alors que ces dossiers sont sur la table, on assiste à une guerre de chefs et de courants, ajoute Grill. Il n'y a pas de leadership. Patrick Buisson porte une réforme qui vise à reporter les compétitions amateurs pendant la Coupe du monde, repoussant le début de saison au mois de novembre. Cela nous semble insensé. Et puis, il y a une inquiétude latente avec l'inspection générale des Finances et des Sports. Les deux dernières inspections de ce genre (à la FFR dans le cadre de l'affaire Altrad-Laporte puis au GIP 2023) ont donné lieu à deux signalements en justice via l'article 40. Le passé ne plaide pas pour le présent. »