Les chantiers du XV de France (1/4) : Assimiler l'animation offensive - Des cellules à dégriser
Publié le
mardi 6 novembre 2018 à 00:05
| Mis à jour le
06/11/2018 à 01:06 par Renaud Bourel, Alexandre Bardot, Clément Dossin dans l'Equipe
L'équipe de France tente de mettre en place la même animation offensive que les All Blacks, avec des blocs d'avants répartis sur la largeur du terrain, sans rencontrer le même succès.
Attention : toute ressemblance avec un projet de jeu révolutionnaire serait purement fortuite. Et en même temps, pas totalement. Déjà, du temps de Guy Novès, l'équipe de France avait adopté une animation offensive proche de celle qui fait le succès des All Blacks ces dernières années. On vous entend d'ici : « Ça ne saute pas aux yeux ! » Ce n'est pas faux. Et, en même temps, on n'a pas dit non plus qu'ils la maîtrisaient sur le bout des doigts.
Pourtant, l'idée de départ n'est pas complètement folle. Comme le football a ses fameuses formations identifiables par la position de ses joueurs sur le terrain (4-4-2, 3-5-2, 4-2-3-1), le rugby a développé ses propres systèmes de répartition des hommes, essentiellement les avants, sur la largeur du terrain, d'une touche à l'autre. À l'image de la Nouvelle-Zélande, donc, les Français tentent de jouer en 1-3-3-1 : un avant dynamique dans chaque couloir au profil défini par l'entraîneur - les deux troisième-ligne aile ou l'un d'eux et le talonneur ou le numéro 8 et le talonneur - et au milieu du terrain deux cellules de trois avants se proposant dans un premier rideau d'attaque. Derrière ces cellules se poste un trois-quart, le plus souvent l'ouvreur, le premier centre ou l'arrière.
«LesNéo-Zélandais sont élevés là-dedans des cadets de Waïkato à l'équipe nationale» explique un ancien demi d'ouverture français
L'importance des deux hommes laissés dans les couloirs est capitale. Pour étirer les défenses, il faut nécessairement aller jouer vers les lignes de touche, mais il faut aussi avoir la capacité d'en ressortir très vite. Pour cela, une équipe a besoin de ces sentinelles censées apporter de la vitesse ou de l'impact dans le duel, notamment au soutien de leurs trois-quarts. Elles vont alors permettre à leur équipe de garder l'avancée et donc de laisser la vague défensive adverse sur le reculoir.
Cette organisation possède l'immense avantage d'être économe en énergie pour le cinq de devant. Au lieu de s'épuiser à suivre le ballon en allant de ruck en ruck, dès qu'un joueur accomplit une tâche, il se relève et se replace dans la zone où il était, ajustant sa position sur la largeur par quelques pas chassés. Ses déplacements optimisés en limitant ses courses latérales, il peut ainsi « récupérer » en attendant que le ballon revienne vers lui, et ainsi garder du jus.
Autre bénéfice de ce 1-3-3-1, il offre différentes armes sur toute la largeur du terrain, notamment des costauds au coeur. Car l'objectif de ce schéma de jeu demeure de peser dans cette zone centrale, pour se laisser ensuite deux côtés d'attaque et ouvrir des espaces sur les extérieurs. Rien de nouveau sous le soleil, le principe était déjà celui-là du temps du fameux jeu des blocs conceptualisé par Laporte et Brunel entre 2000 et 2003. Au-delà de la présence de gros gabarits au centre du terrain, la façon dont ils se positionnent et les options que cela ouvre est un facteur clé. L'avant en possession du ballon, souvent celui au coeur de la cellule, a quatre choix possibles : aller défier la défense, jouer avec l'un des « gros » à ses côtés, ou dans son dos pour le trois-quarts en attente.
Déficit athlétique et manque de maîtrise technique côté France
Chez les All Blacks, ce système donne vie à un rugby alerte, varié et efficace. Pourquoi ce qui semble limpide avec les hommes en noir apparaît encore laborieux avec l'équipe de France ? La première explication est athlétique. Pour que le 1-3-3-1 s'épanouisse, il faut des avants dynamiques et réactifs. Ils doivent se relever d'un ruck et se rendre disponible pour le jeu en quelques secondes (ce que l'on appelle back in game). Dans ce laps de temps, qui excède rarement les 3,5 secondes au niveau international, il faut avoir reformé la cellule, visualisé les espaces dans le rideau défensif adverse, anticipé son action et communiqué avec son trois-quarts leader dans le dos. Un secteur dans lequel plusieurs Français, insuffisamment préparés individuellement et peu habitués à cette haute intensité par le Top 14, sont défaillants et se retrouvent à gérer l'urgence.
Dernier point qui explique les différences entre la Nouvelle-Zélande et la France dans l'animation du 1-3-3-1 : la maîtrise technique. « Les Néo-Zélandais sont élevés là-dedans des cadets de Waïkato à l'équipe nationale, explique un ancien demi d'ouverture français. Et puis parce que (Brodie) Retallick, qui est l'une des pièces maîtresses de ce système, a joué jusqu'à quinze ans avec et contre des mecs de son gabarit, donc il a appris à faire des passes parce que leur péter dedans, ça ne servait à rien. Quand une équipe choisit le 1-3-3-1, il y a deux facteurs importants : l'intelligence dans le déplacement et la technique individuelle. »
À l'heure actuelle, beaucoup d'avants français n'ont ni la densité physique ni l'aisance technique nécessaire à une parfaite animation du 1-3-3-1. Ce qui réduit les options de jeu. Face aux All Blacks, lors du dernier test, sur 19 utilisations de cette structure, le receveur est allé défier frontalement à 16 reprises, il a donné à un autre membre de la cellule deux fois, et a fait une seule passe au trois-quarts dans son dos. Difficile de créer de l'incertitude dans ces conditions. En comparaison, les Néo-Zélandais ont percuté 7 fois, joué dans la cellule à 4 reprises et transmis à l'ouvreur placé dans le dos 10 fois, ce qui contribue toujours à donner de la vitesse au jeu et trouver des espaces. Le plus éloquent, c'est que la seule fois où les Tricolores ont réussi à faire jouer le trois-quarts dans le dos, l'offensive a abouti à l'essai de Fofana (28e). Comme quoi...
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La palette - Carences bleues, efficacité black
1. Un positionnement fouilli
Les Bleus ont récupéré un ballon sur un jeu au pied anglais. Après un temps de jeu dans le petit côté, qui aurait dû permettre aux joueurs non concernés de se positionner en « cellules », Machenaud alerte Vahaamahina grand côté. On compte sept joueurs tricolores, soit la moitié de l'équipe, dans un espace restreint (cercle bleu) sans pouvoir identifier aucune structure claire. La première cellule est vaguement composée de Vahaamahina, Priso et Gomes Sa (avec Trinh-Duc en position de « bridgeur » dans leur dos pour assurer le lien vers l'extérieur). Tauleigne et Guirado pourraient former une deuxième cellule plus au large, mais ils sont trop attentistes. Les Bleus n'ont d'autre choix que de défier la défense anglaise, pourtant dense, au près.
2. Un replacement inefficace
Seconde période contre l'Irlande, lors du dernier Tournoi. C'est le quatrième temps de jeu après une mêlée et la libération de la balle dans le ruck précédent a été lente (5 secondes), laissant du temps aux joueurs non concernés pour se replacer. La première cellule de trois avants (Lauret, Camara et Iturria), servie par Machenaud, est bien positionnée, avec Belleau en bridgeur dans leur dos. Mais observez le replacement de la deuxième cellule composée de Slimani et Vahaamahina : ils n'ont pas repris assez de profondeur et, dans l'éventualité où Camara déciderait de servir Belleau, ils seraient positionnés devant leur ouvreur. Donc parfaitement inutiles. Du bras, Belleau leur indique pourtant de reculer. En vain.
3. Manque de variété au sein de la cellule
Début du dernier test de juin en Nouvelle-Zélande. Chat, en tête de proue d'une cellule de trois avants avec Maestri à son intérieur et Atonio à l'extérieur, a été servi en premier attaquant. La structure en « losange » est bien formée avec également Belleau en bridgeur dans le dos de Chat. On identifie un espace à exploiter dans la défense néo-zélandaise, mais pour cela Chat doit faire une passe, soit à Atonio, soit à Belleau qui pourrait ensuite utiliser Priso lancé. Mais le talonneur, sans un regard pour prendre l'information sur le positionnement de ses partenaires, décide de défier frontalement ses adversaires, ne créant aucune incertitude pour la défense all black.
4. Le bon exemple all black
Sur le plan large de cette attaque, on identifie bien la répartition des avants néo-zélandais sur la largeur (entourés), avec une première cellule de 3, une deuxième de 2 et un dernier isolé (le talonneur Taylor) plus au large. Smith a servi Luke Whitelock au milieu de la première cellule. Il va servir l'ouvreur McKenzie, derrière lui en position de bridgeur, qui va ensuite utiliser la deuxième cellule d'avants en leurre pour alerter Williams dans leur dos, lequel va sauter le dernier avant pour Naholo. En quatre passes, ce mouvement parfaitement huilé amène le ballon dans une zone faible pour la défense française avec un seul défenseur sur vingt mètres de large.