Posté aujourd'hui, 17:35
Affaire du transfert de Melvyn Jaminet : la contre-attaque fragile de Didier Lacroix, président du Stade Toulousain
Dans une lettre de cinq pages, le président du Stade Toulousain Didier Lacroix dénonce l'illégalité du règlement salary-cap, les manoeuvres illicites autour des clauses libératoires et l'existence supposée d'un complot contre le club, ourdi par la Ligue, dans le cadre de l'affaire du transfert de Melvyn Jaminet pour laquelle le club a accepté une amende négociée de 1,3 M.
Mardi 22 avril, Didier Lacroix a fait parvenir à l'attention du président de la Ligue nationale Yann Roubert, nouvellement élu, un courrier de cinq pages, révélé par Le Figaro et dont L'Équipe a pu prendre connaissance, dans lequel le président du Stade Toulousain donne sa version, incomplète, de l'affaire du transfert de Melvyn Jaminet qui a conduit le club champion de France à s'acquitter d'une amende négociée d'1,3 million d'euros.
Au total, c'est une somme avoisinant trois millions d'euros que devrait coûter ce dossier. Nous avons examiné l'argumentaire défensif du président Lacroix pour essayer d'en comprendre l'objet et d'en vérifier l'exactitude.
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« Depuis l'origine, le Stade Toulousain a invariablement contesté - et conteste toujours - avoir dépassé le salary-cap à l'occasion du recrutement de Melvyn Jaminet, pour les motifs que vous connaissez, à savoir que les dispositions du règlement salary-cap intégrant dans l'assiette du salary-cap les indemnités libératoires des joueurs sont contraires à la loi. »
De quelle loi parle Didier Lacroix ? Il ne le dit pas. L'illégalité du règlement ne se décrète pas ainsi, mais il est toujours possible, comme l'a récemment essayé Toulon, sans succès jusqu'ici, de saisir le Conseil d'État. Président du Stade Toulousain et même vice-président de la Ligue, Didier Lacroix a-t-il combattu ce règlement illégal avant que n'éclate l'affaire du transfert de Melvyn Jaminet, transaction bouclée en 2022? Si oui, quelles démarches a-t-il entrepris pour modifier ce règlement hors la loi ? Des prises de parole publiques du Stade Toulousain existent-elles sur ce sujet ? À notre connaissance, rien n'a été effectué en ce sens.
En tant que président d'un club du Top 14, Lacroix appose sa signature chaque saison sous le règlement salary-cap, le validant très officiellement et s'engageant surtout à le respecter tel quel. C'est parce que la direction du Stade Toulousain connaissait le règlement et savait qu'en déclarant cette somme de 450 000 euros - équivalente au remboursement de la clause libératoire payée par Jaminet à I'USAP -, sa masse salariale déclarée dépasserait le plafond autorisé, qu'un montage alternatif a été imaginé. En procédant au remboursement de Jaminet ces derniers jours, le Stade Toulousain a d'autant plus attesté qu'il s'agissait de facto d'un dépassement de salary-cap qui, rappelons-le, englobe toutes sommes ou avantages versés à un joueur et/ou à une partie associée du joueur.
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« La pratique consistant, pour certains clubs, à imposer aux joueurs des indemnités prohibitives sans contrepartie légitime, est illicite. »
Là encore, qui fixe les limites de l'illicite ? Quand décide-t-on qu'un joueur est forcé à signer une clause ? Sur ce point, Lacroix vise frontalement Perpignan. Or, selon nos informations, alors que la médiation n'était pas terminée, Lacroix et ses collaborateurs ont fait le forcing pour réécrire l'histoire, en demandant à l'USAP de prêter son concours à un nouveau micmac en remboursant elle-même les 450 000 euros à Melvyn Jaminet pendant que Toulouse s'acquittait de cette même somme au bénéfice du club catalan sous la forme d'indemnités de formation qui, elles, n'entrent pas dans le calcul du salary-cap.
Autre avantage recherché, Toulouse n'aurait pas payé de charges et Jaminet pas d'impôts. L'USAP a fini par décliner. En effet, comment dénoncer, trois ans plus tard, un contrat et une clause, basés sur une matrice créée par la Ligue, qui jusqu'ici n'avaient dérangé personne ?
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« Par ailleurs, et c'est probablement le plus préoccupant pour nos joueurs, ceux-ci ne devraient pas avoir à indemniser leur club d'origine pour des montants qui peuvent s'avérer exceptionnellement élevés, au risque de s'endetter personnellement et/ou d'être privés de toute possibilité de mutation vers un autre club. »
Sur le fond, si la question du joueur lui-même est bien centrale, rediscuter de ce principe ne devrait pas être un problème. D'autres clubs de Top 14 ont déjà soulevé ce sujet. Mais quel est le problème au juste ? L'existence d'indemnités, leurs montants qui ne sont pas plafonnés, leur intégration au salary-cap? Peut-être que le Stade Toulousain s'en est ouvert bien avant cette affaire auprès de Provale, le syndicat des joueurs. À eux de nous le dire. Mais ce qui est curieux, c'est que Didier Lacroix avait une occasion en or en 2022 pour mettre ce sujet sur la table, puisqu'il savait mieux que quiconque qu'un de ses futurs joueurs devait s'endetter à hauteur de 450 000 euros. S'est-il élevé contre cette situation? Non, il a plutôt cherché, avec un intermédiaire, à contourner le règlement.
Dans son courrier, Lacroix écrit qu'il voulait éviter la survenue « pour tous les acteurs du rugby professionnel d'un débat public et stérile sur l'illégalité pourtant manifeste de notre réglementation, et ses effets induits pour nos joueurs. »
Quel étrange raisonnement. Si le règlement est illégal, s'il est nocif aux joueurs, n'est-il pas au contraire urgent d'en débattre pour le changer? Plus loin, Lacroix va jusqu'à écrire que c'est au nom de ses valeurs morales que le Stade Toulousain n'a pas engagé de recours juridique qu'il était certain de gagner et qui aurait donc permis de protéger tous les joueurs contre un règlement illégal.
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« Le Stade Toulousain a dû composer avec cette réalité lors du recrutement de Melvyn Jaminet, en l'aidant à se désengager du piège économique dans lequel ce dernier était tombé. »
De quel piège s'agit-il et qui l'a posé ? Melvyn Jaminet et ses représentants ont accepté, après négociations avec L'USAP, de signer un avenant au contrat du joueur ajoutant cette clause - tout à fait réglementaire - de 450 000 euros en échange d'une rémunération augmentée. Il était libre de ne pas signer. Le problème (le piège serait-on tenté d'écrire) est apparu ensuite, quand les mois et les mois ont passé sans que le Stade Toulousain exécute le remboursement des sommes empruntées par Jaminet.
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« Pour la formalisation de ce transfert, le Stade Toulousain a accordé sa confiance à des intervenants auxquels il n'aurait objectivement jamais dû confier ses intérêts. C'est probablement le tort principal de notre club dans cette affaire. Ce manque de vigilance a conduit à la situation que chacun des destinataires de la présente lettre connaît mais que les médias n'ont cessé de déformer. La seule chose que le Stade Toulousain a reconnue, et par conséquent choisi d'assumer, est d'avoir manqué à son obligation de transparence et de coopération à l'égard du salary-cap manager. À l'époque, nous aurions dû communiquer spontanément au salary-cap manager les conventions conclues, sur la recommandation de Monsieur Arnaud Dubois, avec la société Pacific Heart. »
Contrairement à la version donnée
récemment par Mourad Boudjellal dans une vidéo, l'implication de l'ancien avocat Arnaud Dubois - de M. Boudjellal par exemple -, désormais président du directoire du Biarritz Olympique, n'est donc pas une lubie de L'Équipe. Mais dans le courrier de Didier Lacroix, il n'est pas explicité pourquoi le Stade Toulousain n'aurait jamais dû faire confiance à Dubois. Que s'est-il passé exactement ? Pourquoi ne pas dire les choses ? Le fait que Me Dubois, avocat de Jaminet pour ce transfert, était aussi un des avocats du Stade Toulousain, n'aurait-il pas déjà dû interpeller l'état-major toulousain?
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« Nous avons constaté à l'occasion de cette médiation que le Stade Toulousain n'avait pas son mot à dire sur l'illégalité de notre réglementation et que le montant de la contribution qu'il nous a été demandé de régler prenait la couleur d'une amende punitive. (...) Le Stade Toulousain s'est trouvé pris au jeu d'une médiation-sanction (...) imposé par la LNR. »
Encore un piège. Rien ni personne n'obligeait le Stade Toulousain à emprunter cette voie de la médiation ni à payer tel ou tel montant de contribution. À tout moment, jusqu'au dernier, le club pouvait mettre fin à ce processus et privilégier un passage devant la commission de discipline.
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« Aucune confidentialité n'a
été observée à l'occasion de
cette médiation : son contenu a immédiatement été relaté par la presse (...) sans rien reprendre de nos arguments en défense. »
Le premier long article de L'Équipe date du 28 janvier 2025. La médiation n'avait pas encore commencé. Il n'en était même pas question. Le 23 janvier, sollicité en amont de cette publication, M. Lacroix nous écrivait qu'il allait revenir vers nous, ce qu'il n'a pas fait. Notre second article a été publié le 26 février. Nous avons plusieurs fois sollicité Didier Lacroix, ainsi que d'autres dirigeants du club, pour qu'ils répondent à nos questions, avant la médiation et après. Ils n'ont jamais. voulu le faire. Dans un de ses messages à notre attention, Didier Lacroix jugeait même nos « sollicitations comme excessives ».
Extrait de la lettre de Didier Lacroix
« Conformément aux valeurs morales du rugby, le Stade Toulousain s'est employé au cours des dernières semaines, avec énergie et détermination, à régler sa dette d'honneur à l'égard de Melvyn Jaminet. »
Une dette d'honneur donc. Orale ou précédée d'un écrit sous-seing privé ? Il serait d'ailleurs plus qu'intéressant de savoir comment le Stade Toulousain a justifié dans sa comptabilité le versement aujourd'hui d'une somme pareille à un joueur qui n'est plus son employé depuis novembre 2023, qui est sous contrat avec un autre club (Toulon) et dont le départ n'avait soulevé aucun litige ni préjudice ?
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