Avec un peu de recul, quels enseignements peut-on tirer de cette défaite du XV de France vendredi soir contre le Pays de Galles ?
Olivier Magne : D’abord, nous n’avons pas de joueurs capables de répondre à une intensité maximale sur quatre vingts minutes, ce qui explique que l’équipe se retrouve en difficulté dès lors qu’il faut prendre des décisions importantes. Même si la rencontre ne se joue pas là-dessus, ça y contribue. Et puis, il y a l’aspect mental. Au premier accroc, ces joueurs-là s’effondrent psychologiquement. Pour résumer, les joueurs ont du mal à affronter les exigences du haut niveau. Et malheureusement, ça ne date pas du match de vendredi. Cette génération de joueur est associée à la défaite depuis trop longtemps. C’est assez désastreux pour notre rugby car ils sont profondément traumatisés.
Si c’était un problème mental, l’équipe de France n’aurait peut-être pas été en mesure de reprendre l’avantage au score à dix minutes de la fin (19-17, 70ème). N’est-ce pas plus profond ?
O.M. : Pour prendre les bonnes décisions, il faut de l’intelligence, c’est une évidence. Les leaders doivent avoir cette capacité de réflexion, cette capacité à s’interroger sur le jeu et cette capacité à transmettre à leurs partenaires la bonne décision. L’interrogation est légitime. Aujourd’hui, même si certains joueurs, à des postes clés, pensent prendre la bonne décision, ils le font seul. Ils sont incapables de transmettre, de partager.
Ce manque d’intellect, n’est-ce pas une des dérives de la professionnalisation du rugby ?
O.M. : Mais, c’est exactement ça ! D’abord, en quelques années, le joueur de rugby s’est isolé de la société. Et c’est terrible. Pour avoir les pieds sur terre, prendre bien conscience de la réalité des choses, c’est important de rester connecté avec la vraie vie. C’est ce qui, à mon sens, permet sur le terrain de mieux exprimer l’homme que tu es. Ensuite, cette génération de joueurs a oublié, pour tout un tas de raison, que le rugby n’est qu’un jeu qui demande de la responsabilité et de l’initiative. Seulement, on a basculé sur un rugby ultra-programmé. Toi, tu te mets là; toi, tu te mets là-bas. Et après tel temps de jeu, tu dois être là. Bref, on a totalement déresponsabilisé les joueurs. Pour eux, faire exactement sur le terrain ce que l’entraîneur demande, ça suffit. (Il s’agace) Mais non! Ce n’est pas possible. Quand j’entends certains joueurs après les matchs, ce n’est jamais de leur faute. Parce qu’ils ne sortent pas du système, ils pensent qu’ils sont dans le vrai. Mais ce n’est pas ça, le rugby.
Quel est l’avenir immédiat de l’équipe de France ?
O.M. : Je suis peut-être excessif mais si j’étais Jacques Brunel je ne me poserai même pas la question : je prendrai tous les jeunes pour me lancer dans une autre aventure. On a une génération qui n’a baigné que dans la défaite, on ne gagnera rien avec elle. Je ne dis pas qu’il faut la sacrifier mais donner la priorité aux jeunes qui ont fait leurs preuves. Donnons-leur des responsabilités sur du long terme. Qu’est-ce qu’on risque? De toute façon, les matchs, on les perd. On ne sera pas plus mauvais… Autant permettre à des joueurs d’apprendre et d’engranger de l’expérience. Peut-être que le public serait d’ailleurs beaucoup moins critique avec cette nouvelle génération qu’avec l’ancienne. Les gens en ont marre de voir les mêmes têtes abattues à la fin des matchs, d’entendre les mêmes discours.
Le risque n’est-il pas grand aujourd’hui de voir l’équipe de France jouer la cuillère de bois contre l’Italie ?
O.M. : C’est dur à dire mais oui! J’étais persuadé qu’on allait battre le pays de Galles. J’ai eu raison seulement durant 40 minutes. Et quand on voit le programme qui nous attend, ça ne prête pas à l’optimisme. Perdu pour perdu, lançons les jeunes, envoyons un message fort. J’aimerais voir des garçons comme Macalou, une charnière toulousaine avec Dupont et Ntamack et d’autres… Je ne remets pas en question les qualités de Lopez et Parra. Pour moi, Parra était le meilleur demi de mêlée il y a dix ans. Il aurait dû être le plus grand capitaine de l’histoire de l’équipe de France. Mais aujourd’hui… (Il souffle) Dupont est devant Parra, c’est une évidence. Installons les jeunes et, s’il faut, laissons-leur du temps.
Et si rien ne change ?
O.M. : Si certains veulent miser sur une victoire en Angleterre ou en Irlande sans rien changer, qu’ils le fassent. Moi, je ne parierai ni ma maison, ni le moindre centime (rires). Rendez-vous compte d’un truc: l’équipe alignée contre le pays de Galles, c’est un vrai paradoxe quand même. D’un côté, un paquet d’avant de presque une tonne, qui n’a pas été ultra-dominateur et, de l’autre, une ligne de trois-quarts où on essaie d’installer plus de vitesse. Où va-t-on ? Je ne comprends pas ce que veulent mettre en place Jacques Brunel et son staff. On navigue à vue. Bascule-t-on directement sur ce rugby de mouvement et de vitesse pratiqué au plus haut niveau ? Si oui, il nous faut ces joueurs pour pratiquer ce rugby-là. Et on sait pertinemment qu’il y a certains éléments dans cette équipe qui n’en sont pas capables. Si non, que Jacques Brunel nous dise: "moi je préfère verrouiller devant avec un gros pack", mais dans ce cas, autant le faire du un au quinze. Parce qu’une équipe coupée en deux comme celle de vendredi, ça ne peut pas marcher. Mettre du mouvement dans la ligne de trois-quarts, sans que ce ne soit relayé par les avants pendant 80 minutes - parce que 40 minutes, on l’a bien vu, ce n’est pas suffisant - c’est l’assurance d’avoir une équipe toujours en difficulté.
Quelles sont les causes de ce manque de rythme ?
O.M. : Le Top 14 a juste été très bien « marketé » par le diffuseur. C’est un championnat avec des joueurs très bien payés, une affluence de stars venues de l’étranger, mais c’est tout. Et beaucoup viennent en pré-retraites. Arrêtons de nous mentir… Je ne blâme pas les joueurs, simplement le système. Un joueur avec un gros CV à qui l’on propose un gros chèque, tant mieux pour lui. Maintenant, je trouve que certaines équipes ont compris qu’il fallait aller vers un jeu attractif, un jeu qui crée de l’émotion. Un exemple : le Stade toulousain, dont les tribunes se vidaient il y a quelques années, propose aujourd’hui un jeu de bien meilleure qualité. La Rochelle ou le Racing sont dans la même dynamique. Et bizarrement, ces équipes-là remplissent les stades et gagnent. Le Top 14 a tout pour devenir le meilleur championnat du monde mais il se doit de devenir une compétition spectaculaire.
Que manque-t-il pour atteindre le haut niveau ?
O.M. : Le rugby a besoin de joueurs avec une condition physique irréprochable. À ce sujet, je trouve que la préparation physique est encore très moyenne par rapport aux exigences du très haut niveau. J’ai vu certains joueurs, vendredi soir, qui ne sont absolument pas prêts pour jouer au niveau international. Quand j’entraînais les moins de vingt ans, le physique je n’en parlais pas. Pour moi, avoir une VMA de 18 ou 19, ça me semblait être une évidence. De la préparation physique, il en faut donc. De la musculation aussi. Mais on ne peut pas laisser de côté l’intelligence du joueur. Malheureusement, on l’a parfois oublié. Et pourtant, nous avons des garçons comme Penaud, Dupont, Iturria ou encore Lambey qui sont capables d’avoir toutes ces qualités.