On peut prendre en défaut une encyclopédie vivante du ballon ovale avec une question simple. Quelle était la finale du Challenge européen la saison dernière ? Dans les sous-sols de St James' Park, les mémoires ont buggé sévère hier, avant d'imbriquer correctement les éléments « Cardiff » - « Gloucester » - « stade San Mamés de Bilbao ». Clermont et La Rochelle ne se mentent pas non plus, les deux clubs français savent que leur duel, dans cette deuxième compétition continentale, captera infiniment moins les imaginaires que le Leinster-Saracens de demain pour la « vraie » Coupe d'Europe.
Mais aucun des deux clubs ne dédaignera non plus ce Challenge. Dans les deux camps, le miroitement d'un trophée a fait rejaillir des attitudes de phase finale. Une cachotterie sur l'effectif par-ci, comme le retour surprise de Fritz Lee, côté auvergnat, trois semaines tout juste après une commotion. Un choix tactique intrigant par-là, comme la titularisation de Vincent Rattez à l'arrière à la place de Kini Murimurivalu, côté rochelais. Chez les Jaunards comme chez les Maritimes, on a aussi accordé les discours sur les sources de motivation activées dans la semaine, eux qui savent que la compétition est autrement plus compétitive qu'à l'époque où les Anglais la snobaient, avec quatre premières finales franco-françaises entre 1997 et 2000. « Si on gagne, dans dix ans, on s'en souviendra encore », prophétisait le centre clermontois Damian Penaud. « Un titre, c'est un titre », calculait le Rochelais Geoffrey Doumayrou.

Mais derrière ces cabrades de circonstance, il y a la tectonique plus profonde de deux clubs qui se ressemblent et se respectent. Ébranlés par une saison 2017-2018 éprouvante, l'ASM, privée de phase finale de Top 14 pour la première fois depuis 2006, et le Stade Rochelais, blessé par une séparation houleuse avec son manager, Patrice Collazo, se sont investis à fond dans cette aventure annexe, que beaucoup n'hésitent pas à sacrifier, accaparés par les enjeux domestiques. Et cela pour réaffirmer avec force une identité plus que pour soigner un traumatisme.
Investis de Timisoara à Krasnoïarsk
Clermont, déjà victorieux deux fois de ce trophée (1999, 2007), a des ambitions ? Elles se devaient d'être totales, et Franck Azéma a tenu à ce que ses troupes les expriment aussi bien dans les travées vides et frigorifiées de Timisoara, dans la Roumanie neigeuse de décembre dernier (14-47), que lors des prestigieuses affiches de Coupe d'Europe, dont elles avaient pris l'habitude. « C'est le voyage qui nous a construits », se félicitait ainsi le coach auvergnat. Tout aussi heureux de voir ses joueurs retrouver leur sérieux et leur compétitivité après le marasme de l'an dernier.

Il y a sans doute cette même satisfaction de la renaissance à La Rochelle, aussi impliquée dans son périple automnal à Krasnaoïarsk (21-82), en Sibérie, que lors de son premier quart européen de 2018 (perdu face à Llanelli, 29-17). Et, plus encore, les Maritimes auront ce sentiment d'avoir repris, sur cette scène qu'on peut croire parallèle, le cours d'un sillon tracé patiemment. « On commence à jouer dans la cour des grands », imageait ainsi Romain Sazy, hier. Le capitaine est un symbole : il est arrivé sur la côte Atlantique en 2010, s'y est affirmé pendant trois saisons de Pro D 2 avant de le stabiliser en Top 14 depuis 2014. « On est passés par beaucoup d'étapes pour arriver jusque-là, contait-il. On a eu des moments difficiles comme des moments de bonheur. Le club progresse continuellement, on sent l'évolution tant dans la structure que dans les joueurs. On se donne les moyens de grandir. »

C'est là le parallèle entre les deux institutions, souligné par Azéma hier : « La Rochelle a de la stabilité, ils ont construit sur le long terme, pour ne plus faire l'ascenseur Pro D 2 - Top 14, doucement mais sûrement. C'est aussi la force de Clermont. Et chez eux comme chez nous, il y a une communion et un socle solide dans la relation avec les supporters, un tissu profond. » La Yellow Army et les Bagnards, exilés sur une terre au rugby bousculé, puisque le club de Newcastle, qui a enfanté Jonny Wilkinson, vient d'être relégué en Deuxième Division, ne pourront pas se faire entendre aussi fort que d'habitude. On attend 25 000 spectateurs dans un St James' Park à moitié vide, qui ne retrouvera pas là ces moments où il vibrait pour des Français côté ballon rond, comme à l'époque de David Ginola, dont quelques photos pâles ornent encore les couloirs défraîchis de cette enceinte baroque. Mais ni Clermont ni La Rochelle ne s'offusqueront de ce relatif anonymat. Il y a plus qu'une gloire éphémère à conquérir ici, il y a une ligne à graver avec force pour se donner le goût d'en rajouter encore aux encyclopédies ovales.