A partir de quand avez-vous été mobilisé ?
La mobilisation à l’hôpital de Bayonne a débuté en février, on a modifié nos pratiques de prise en charge avec la réorganisation de notre service d’urgences pour avoir une partie liée au dépistage, en coopération avec les infectiologues et le Samu, pour orienter les patients qui pouvaient avoir eu des contacts en Italie et en Chine, afin d’isoler d’éventuels clusters. Ça a plutôt bien marché dans notre région puisqu’on a eu très peu de cas. Ensuite, quand on est passés au seuil épidémique, on a fait une montée en charge, on a redimensionné nos systèmes sur la régulation médicale avec davantage de personnel pour répondre aux appels du Samu. On a poursuivi notre activité de dépistage et adapté notre service d’accueil pour faire du tri de patients qui arrivent avec des difficultés respiratoires et de la fièvre, pour dépister très précisément et éviter de mélanger des infectés avec des non infectés. En parallèle, la régulation du Samu continue à orienter les patients et contribue à faire ce qu’on appelle du délestage. Par exemple, un trauma du poignet peut aller à la clinique Belharra plutôt qu’à l’hôpital.
Quelle est la situation aux urgences de Bayonne ?
LA RÉDACTION VOUS CONSEILLE
On n’est pas dans une situation de saturation, l’organisation est en place, elle est suffisamment dimensionnée et tient la route pour accueillir correctement les patients, contrairement à ce qui peut se voir à Paris ou dans le grand Est.
A quoi ressemble votre quotidien à l’hôpital ?
Pour les urgentistes, c’est selon le poste occupé : le médecin régulateur régule les urgences médicales et les questions Covid, l’urgentiste reste en place car il y a le tout venant comme les AVC, les infarctus, et il y a les urgentistes dédiés à la prise en charge des possible Covid. Eux aussi sont en première ligne. On travaille de concert avec les infectiologues et les réanimateurs si le cas est suffisamment grave pour nécessiter réanimation. Tous les jours, on change de poste.
Constatez-vous un manque de moyens matériels et/ou humains ?
On fait attention à l’utilisation du matériel. On ne dépiste pas à la sauvette, on suit scrupuleusement les recommandations nationales. Sur le plan des masques, on respecte là aussi les recommandations, dans quelles situations on en utilise ou non. C’est une denrée assez précieuse, mais on n’a pas non plus de pénurie à déplorer.
Comment vit-on et travaille-t-on à l’hôpital avec la crainte de contracter le virus ?
Il ne faut pas avoir peur. Il faut être prudent, systématique, méthodique dans sa façon de se préparer, de s’habiller, de se déshabiller, en condition d’asepsie pour éviter la transmission d’un potentiel virus hors de la chambre du patient. Mais sans avoir peur car la peur est un obstacle à une prise en charge efficace. Si les soignants commencent à avoir peur, on ne va pas être efficaces dans notre travail de soin et de pédagogie.
Dans vos deux métiers, vous devez prendre des décisions parfois très importantes en quelques secondes maximum. Est-ce que l’arbitre aide le médecin ou l’inverse ?
Mon métier et mon loisir sont complémentaires : si vous êtes capable d’arbitrer sous pression, avec une exposition constante, dans une ambiance potentiellement hostile avec des décisions qui doivent être prises dans la seconde, ça nécessite de l’analyse technique, de la sérénité qui sera utile pour prendre des décisions importantes, et potentiellement vitales dans le cadre de la médecine d’urgence. Dans l’autre sens, côtoyer des situations graves ou critiques permet de relativiser et d’appréhender plus sereinement un match de rugby, quand bien même il serait à haut niveau. Car en arrière pensée, je n’oublie pas que ça ne reste que du sport.
Les arbitres sont souvent critiqués sur les réseaux sociaux voire dans les médias après les matchs. Pour le coup, le personnel soignant est unanimement salué. Ça fait bizarre de passer de l’un à l’autre ?
Franchement, ça ne me perturbe pas tant que ça parce que j’ai l’habitude de switcher d’une fonction à l’autre rapidement, d’un jour de match à une garde. Je fais la part des choses sans trop de difficultés. On voit quand même des choses un peu similaires même si je ne passe pas mon temps sur les réseaux sociaux pour lire tout ce qu’on peut y trouver. En rugby, de nombreuses personnes, sans avoir une réelle expertise ou une maîtrise des situations, donnent leur avis en disant de grosses bêtises, et on voit la même chose sur la médecine ou beaucoup de gens, en particulier des politiques puisqu’on ne parle pas assez d’eux en ce moment, veulent faire de l’ingérence dans la science, donnent leur avis sur comment gérer la crise, quels médicaments utiliser… Alors qu’ils n’ont aucune légitimité.
Dans ce contexte, gardez-vous un œil sur ce qui se décide à propos de la fin de saison de Top 14 et Pro D2 ?
Un œil lointain, un peu distrait, mais de temps en temps c’est bien de lire autre chose que des articles de médecine aussi (sourire). Je vois passer des choses ou on me pose des questions sur l’organisation du championnat, je ne m’y suis pas vraiment penché. J’entends parler de Top 16, de phase finale améliorée, je n’ai pas d’avis là-dessus. Si on repart arbitrer, on le fera avec plaisir, et ça voudra dire qu’on aura réussi ce qu’on mène actuellement.
Une reprise de la compétition fin mai/début juin est évoquée. Selon ce que vous observez, cela vous semble-t-il crédible ?
Je suis médecin urgentiste, je reçois, trie et stabilise des patients, je n’ai pas le recul nécessaire avec une étude chiffrée sur la circulation du virus pour me permettre de répondre à cette question. C’est plutôt le travail des épidémiologistes, des virologues et la direction générale de la santé qui seront capables de nous dire à quel moment le virus ne sera plus circulant et si le confinement peut être levé. J’ai le nez dans le guidon. Comme au rugby, l’entraîneur des avants au bord du terrain n’a pas forcément le recul pour l’analyse tactique, contrairement à son manager en haut de la tribune avec une vision très large et plus posée du match.
Arrivez-vous à vous projeter de nouveau sur un terrain de rugby, une fois que tout cela sera fini ?
J’avoue que je ne me pose pas réellement cette question, on a des journées assez bien remplies pour ne pas trop gamberger ou réfléchir à l’avenir. On pense surtout à comment organiser notre système de santé dans les jours à venir, si on devait faire face à un afflux plus important de patients. Sur le plan sportif, j’essaie en respectant les mesures de confinement et les règles barrières d’aller courir un peu pour garder la forme, mais pas plus que ça.
En temps normal, les joueurs savent-ils que vous êtes médecin urgentiste ?
Tous les joueurs, ça m’étonnerait, car je ne suis pas un élément important pour eux ni pour le monde du rugby, mais certains clubs connaissent mon métier, j’ai de très bonnes relations avec différents médecins de clubs avec lesquels j’ai des discussions avant les matchs, différentes de ce que peuvent avoir certains collègues arbitres.
Pensez-vous qu’après cet épisode pandémique, votre relation avec les joueurs pourrait changer, en sachant votre métier ?
C’est une vision très optimiste (sourire) mais pour connaître un peu mon Top 14 je n’y crois absolument pas ! Je recherche pas ça, d’abord, et ensuite connaissant la façon dont réagissent les joueurs de Top 14 quand ils sont concentrés dans leur mach, leur préparation mentale… Les joueurs ont une faculté à se concentrer sur leur objectif immédiat de 80 minutes et tout ce qui n’est pas dans leur process mental n’entre pas en ligne de compte.