Laurent Marti revisite souvent ses souvenirs. Pour y chercher des émotions, pour mesurer aussi le chemin parcouru. Samedi après midi à Cardiff, en regardant Maxime Lucu et ses équipiers poser les mains sur la Champions Cup, il n’est pas impossible que le président de l’Union Bordeaux-Bègles ait été assailli par quelques images du passé. Un trajet solitaire jusqu’à Pau en écoutant Aznavour et Brel pour son premier match de président, un flash-back sur cette journée de mars 2010 où, seul dans son bureau du stade Moga, il a envisagé de tout plaquer, ou encore la liesse de ce dimanche de juin 2011 où l’UBB a accédé au Top 14 en battant Albi.
« Je fais tout le temps des retours en arrière, confiait-il mardi. « L’histoire de l’UBB, elle est atypique, elle est chaotique. Tu ne peux pas ne pas être marqué par tout ce qu’on a vécu. En plus, elle est complètement improbable. Un Bergeracois qui vit à Toulouse qui se retrouve à prendre le club de Bordeaux. Et le match que je me repasse tout le temps, c’est la finale de Pro D2. C’est celui qui m’a le plus marqué et qui m’a procuré le plus de plaisir. »
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« J’étais Jean de Florette. La source n’était pas loin mais personne ne me disait où elle était. »
Cette semaine, lui qui cherche parfois des signes pour calmer son inquiétude avait cru percevoir des similitudes dans l’approche de la finale de la Champions Cup. Pourtant quand nous l’avons appelé, il venait de passer une nuit sans sommeil ou presque. « Je n’aurais pas dû regarder ce putain de match de Northampton contre les Saracens avant de me coucher, pestait-il. J’ai dormi deux heures. Je me suis demandé comment ils avaient pu gagner. »
« Bon courage »
« Mais c’est marrant, avait-il enchaîné. J’ai un ressenti qui me rappelle la préparation de notre match contre Albi. La montée en Top 14, c’était le premier Graal recherché. C’est arrivé presque un peu plus tôt que prévu. Comme cette finale de Champions Cup. »
La victoire face à Northampton supplantera-t-elle le souvenir de cette accession en Top 14 dans le cœur de Laurent Marti (57 ans) ? Ce n’est pas sûr. La certitude, c’est que la conquête de ce trophée majeur concrétise la montée en puissance d’un club parti de pas grand-chose et qui doit tout à la volonté, à l’intelligence et à la ténacité d’un jeune chef d’entreprise amoureux de rugby.
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Aujourd’hui, l’Union Bordeaux-Bègles se classe premier public d’Europe et mobilise un territoire. Le club qui, il y a 17 ans, comptait un peu moins d’une centaine de partenaires, en a séduit plus de 800. Mais s’il est de bon ton de se montrer dans les loges de Chaban-Delmas, il faut se souvenir que rien n’a été donné à Laurent Marti. Il a dû frapper à toutes les portes, il a menacé de partir. Il a lâché aussi quelques millions d’euros pour maintenir à flot une embarcation dans laquelle il ramait seul ou presque.
Lors du dixième anniversaire de l’UBB, il avait évoqué cette éprouvante odyssée. « Je garde comme un traumatisme des premières années. Tout le monde s’en foutait un peu. J’étais Jean de Florette. La source n’était pas loin mais personne ne me disait où elle était. La première année, ça a été l’insouciance. Dès le début de la deuxième année, j’ai compris que j’étais dans la nasse. Il y avait une expression qui revenait sans cesse : “ bon courage ”. J’avais l’impression d’être atteint d’une maladie grave. Les gens compatissaient comme s’ils pensaient que c’était peine perdue. Mais leur affection m’a tenu. »
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Cela n’a pas été son seul point d’ancrage. Le fil rouge de ces 17 années de présidence, c’est une passion dévorante pour ce sport. Il y a bien sûr une part d’ego dans l’aventure. Parmi ses pairs, nombreux sont ceux qui courent après une reconnaissance sociale. Lui vient y chercher d’abord des émotions, avec l’envie aussi de confronter son point de vue, sa connaissance du jeu, avec ses entraîneurs.
Pendant longtemps, il s’est usé les yeux à chercher des recrues potentielles. « Les heures et les nuits passées à regarder des matchs, il ne faut que pas que j’en fasse le compte. Il y a une époque où c’était n’importe quoi. En Pro D2 et lors des premières années de Top 14, j’étais à l’affût de tout. Maintenant c’est moins. Mais il n’y a pas une semaine où je ne regarde pas quelque chose », assure-t-il.
Cette envie de « vivre rugby », c’est elle qui le conduit systématiquement dans le vestiaire, avant et après les matchs. Comme on se rend dans un sanctuaire pour y puiser une énergie. « Ce sont les meilleurs moments. Tu retrouves un peu tes sensations de joueur, confie-t-il. Que tu sois entraîneur, responsable de la vidéo, ou chargé de la logistique, quand tu es dans le vestiaire, tu as la chance de vivre le truc par procuration. On a une vraie adrénaline. C’est le moment où on est tous solidaires. »
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Bru, le bon binôme
Il lui arrive d’être agacé, de bouillir mais il s’interdit de prendre la parole à la mi-temps, soucieux de ne pas parasiter les messages des coaches. Ses relations avec ses entraîneurs ont toujours été respectueuses mais pas toujours harmonieuses. Il est exigeant, entêté, abrupt parfois quand il négocie. Mais avec Yannick Bru, il a trouvé depuis dix-huit mois le binôme qu’il espérait.
« On le voit comme celui qui a posé les premières pierres plus que comme l’homme qui signe des chèques. »
« Laurent c’est un président facile à vivre, explique l’ancien talonneur. La répartition des rôles est claire. L’un et l’autre, on prend beaucoup de plaisir à cet échange car il n’y a pas de sous-entendu. Il est à la fois le propriétaire du club, le grand architecte. On le voit comme celui qui a posé les premières pierres plus que comme l’homme qui signe des chèques. »
« Il a une connaissance du rugby qui est pointue, poursuit Yannick Bru. Il a joué, il a eu beaucoup d’expériences en matière de recrutement. Il a une expertise autour du joueur et de la gestion des contrats que je n’ai pas. Il est aussi finalement le directeur sportif du club qui dialogue avec le « head coach » sur l’après. Le manager que je suis est à 80 % sur le présent, la rencontre du samedi et à 20 % sur demain. Et lui est à 80 % sur demain. Il y a une complémentarité qui me donne beaucoup de confiance. »
Parfois, il arrive que le président de l’UBB passe devant, se substitue à son entraîneur. « Quand c’est violent. » Comme en juin dernier, au soir de la déroute vécue en finale du Top 14 face au Stade Toulousain (59-3) où il a été le premier à prendre la parole dans le vestiaire du Stade-Vélodrome. « On s’est fait humilier. On va l’assumer mais dans l’humiliation, il y a une source de motivation, avait dit Laurent Marti à ses joueurs. L’histoire de l’UBB c’est ça. On va se moquer de nous mais on va s’en servir. Et on va revenir. Et on va gagner. »
Depuis samedi, c’est fait.