L’information judiciaire ouverte par le juge d’instruction Serge Rey pour homicide involontaire dans le cadre de la disparition en mer de Medhi Narjissi, le 7 août 2024 au cap de Bonne-Espérance, a pris une nouvelle tournure ce mardi 15 avril avec le placement en garde à vue au commissariat d’Agen de l’ancien manager des U18, Stéphane Cambos.
Afin de déterminer le degré des responsabilités dans ce drame, les policiers s’appuient entre autres sur deux rapports : celui de Jean-Marc Bédérède, manager de la haute performance au sein de la Fédération française de rugby (FFR), pour le compte de la fédé, et celui de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) engagée le 4 septembre, laquelle a auditionné pas moins de 92 personnes. « Sud Ouest » a pu consulter les deux documents, le long desquels se dégage une chronologie du drame et, en filigrane, ses causes.
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L’ancien manager des U18 du XV de France a été interrogé dans le cadre de l’enquête relative à la disparition en Afrique du Sud de Medhi Narjissi, Agenais de 17 ans, joueur du Stade toulousain. Il a été relâché vers 16 heures
« On n’entraîne pas des GI. On n’a pas besoin de conditions extrêmes »
Le 7 août est « une journée off » avec passage à Boulders Penguin pour y pique-niquer, puis visite du cap de Bonne-Espérance. Sur le planning validé par le staff figure, en fin d’après-midi, « soins et récup », ce qui désignerait la piscine de l’hôtel. Le lundi 4 août, lors d’une réunion, un autre lieu de récupération est évoqué par Robin Ladauge : la plage de Dias Beach. Ce choix interpelle Didier Lacroix, président du Stade Toulousain, également partie civile. Dans son audition, il dit son incompréhension : « On n’entraîne pas des GI. On n’a pas besoin de conditions extrêmes. » Alors pourquoi là ? « Un endroit magique », se justifie Robin Ladauge auprès de Jean-Marc Bédérède. Le préparateur connaît l’endroit et s’y est même baigné deux fois.
À la réunion du 4 août, le voyagiste, qui méditait sur le parking le jour du drame, le déconseille, arguant des dangers de la plage.
« Un endroit magique »
Cependant, le 7 août, à 8 h 14, le préparateur physique envoie un message sur le groupe WhatsApp de la sélection : obligation d’une séance de récupération en eau froide avec deux options « au choix », l’une sur « une plage du cap de Bonne-Espérance », l’autre dans la piscine de l’hôtel.
Durant le trajet, Stéphane Cambos aurait fait part, selon ses dires, de son désaccord « à trois reprises » à Robin Ladauge au sujet de Dias Beach. Ce dernier nie et indique qu’il était convenu avec son manager qu’il aille reconnaître les conditions de sécurité pendant que le groupe visiterait le phare du Cap. Aucun joueur ni encadrant ne dit avoir été témoin de ce désaccord.
À 15 heures, quand le bus arrive à l’aplomb de Dias Beach, Robin Ladauge va donc seul à la plage après avoir descendu les 200 marches qui la séparent du parking. Il a une combinaison et se saisit d’une « bouée rescue » présente sur les lieux. Selon ses déclarations, il dit ne pas avoir vu les panneaux – l’un à entrée du chemin, l’autre à la sortie – avisant des dangers de nager à cet endroit. Les joueurs interrogés ainsi que le staff assurent ne pas les avoir vus non plus. Ce qui étonne tous les observateurs.
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« Sud Ouest » a pu consulter le rapport de l’enquête administrative qui pointe les défaillances de la FFR dans le cadre du séjour en Afrique du Sud
24 joueurs se mettent dans une eau à 12 °C avec pour consigne d’avoir de l’eau au maximum jusqu’à la taille. Mais la séance tourne « à la baignade »
Le préparateur physique envoie un nouveau message sur WhatsApp avisant des conditions favorables, mentionnant « des vagues un peu solides » (une vidéo atteste de « l’ampleur des vagues »). Le message ne sera jamais distribué faute de réseau. Joueurs et éléments du staff reviennent progressivement du phare. Vingt-quatre joueurs se mettent dans une eau à 12 °C avec pour consigne d’avoir de l’eau au maximum jusqu’à la taille. Mais la séance tourne « à la baignade », juge l’IGESR. Il y a neuf encadrants au maximum, mais aucun n’a un rôle prédéterminé. Seuls Robin Ladauge et l’autre préparateur physique Axel Dupont marquent une ligne à ne pas dépasser.
Cinq minutes fatales
Stéphane Cambos serait arrivé en dernier sur la plage. Selon sa version, il aurait donné « un coup d’épaule » à Robin Ladauge en raison d’une séance « improvisée » et « lancée à son insu ». Le préparateur physique, lui, parle d’« un plaquage avec le sourire ». Il aurait d’ailleurs immédiatement reproché à Stéphane Cambos son attitude, lui rappelant qu’il était en train de surveiller les jeunes.
La séance devait durer initialement quinze minutes. Elle est rallongée de cinq minutes. Cinq minutes fatales.
On connaît la suite. Medhi Narjissi est pris par un courant d’arrachement. Le joueur du Stade Rochelais Oscar Boutez, ayant fait de la nage de compétition, se porte à son secours. Il est le seul. Il parvient à le mettre sur son dos mais « un mur d’eau de 5 à 6 mètres », témoigne-t-il, se casse à l’endroit où le duo se trouve. Medhi Narjissi est emporté. C’est « la panique totale » sur la plage.
Aux yeux de l’IGESR, le préparateur porte « la responsabilité principale » de l’organisation de la séance, le manager celle de « ne pas l’avoir empêché ».