Jacky et Amélie
Amélie Oudéa-Castéra écarta avec précaution la pile de parapheurs en équilibre instable qui bouchait sa vue. Elle reposa la lettre « anonyme » émanant d’un journaliste du Parisien du nom d’Olivier François, qui avait pourtant pris soin de coller minutieusement des caractères typographiques variés sur son papier à en-tête, laissant au passage des empreintes papillaires incriminantes dans la colle fraîche.
L’odorat de la ministre l’avait prévenue que les grilles d’une porcherie industrielle avaient laissé échapper un contingent de truies et de verrats couverts d’effluents sui generis. Amélie posa les yeux sur les fauteuils visiteurs et constata la présence odorante de Bernard Laporte et Jacky Lorenzetti.
- Bernard Laporte, Jacky Lorenzetti, qu’est-ce que vous faites dans mon bureau ? Qui vous a laissé rentrer ?
- Le petit-fils de l’huissier de garde joue en Crabos à Saint-Cirq Lapopie et on a offert une télé à son club avec les sous de… commença Bernard Laporte
- On entre partout quand on se sent légitime ! coupa Jacky Lorenzetti qui décocha un coup de pied dans les tibias de son acolyte. On est venu pour…
- Et vous allez repartir aussi vite, trancha la ministre d’un ton glacial, allez, du balai !
- Mais il en va de l’avenir du sport français ! glapit Laporte, des larmes épaisses roulant sur ses joues à travers ce qui semblait être une fameuse couche de crasse.
- C’est bon, je vous donne cinq minutes, mais grands dieux, qu’est-ce qui sent comme ça ?
- On est sorti de Fresnes par les égouts et… tenta Laporte qui reçu un deuxième coup de pied sur le même tibia.
- On a voyagé derrière un camion poubelle, lança maladroitement Jacky !
- Bon qu’est-ce qui vous amène à la fin ?
Les deux complices se jetèrent un regard entendu puis se désignèrent l’un et l’autre du doigt, tâchant de savoir qui prendrait la parole, si bien qu’ils déclarèrent à l’unisson :
- Faut virer Grill et Galthié ! Vous avez vu la débâcle, la déroute, la raclée, la fessée, haletèrent les évadés.
- Voilà reprit Laporte, alors moi je ferai Galthié et Jacky ferait Grill et tout le monde y gagnerait, fit-il en faisant le geste de palper un billet imaginaire avec un sourire canaille.
- - Je sais ne pas être ingrat en effet susurra Jacky Lorenzetti qui jugea opportun de lâcher une caisse, l’odeur épouvantable qui régnait dans le bureau ne pouvant pas vraiment empirer.
- Vous allez retourner en cabane. On passe vous chercher le temps que je décroche mon téléphone ! siffla la ministre.
- Mais il y a une campagne de presse contre ce loser de Galthié ! Vous avez lu le Parisien ?
- Je n’ai pas lu l’article mais j’en connais l’auteur, trancha Amélie Oudéa-Castéra en soulevant la lettre anonyme.
Outre l’en-tête au nom d’Olivier François on pouvait y lire « Galthiais y couche avec ta famme ! » prose typique d’un journaliste qui ne pouvait se passer de correcteur orthographique, son inculture n’ayant d’égal que sa fatuité.
- Vous direz a monsieur François que j’ai épousé un homme, sourit la ministre. Sécurité ?