Carton rouge de 20 minutes : un débat d'idées et de chiffres Jeudi 9 mai, les fédérations voteront pour étendre ou non l'expérimentation du carton rouge light (20 minutes d'exclusion). La France et le Nord sont défavorables, au contraire de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Une question de principe, d'éducation et de chiffres.
Sportainment vs sécurité ?
Derrière ce projet de réforme important, consistant à pouvoir remplacer au bout de vingt minutes un joueur ayant reçu un carton rouge, assiste-t-on à l'affrontement, sur le terrain des idées, entre les gens sensibles avant tout au sportainment (anglicisme désagréable pour évoquer la dimension divertissement et spectacle d'un événement sportif) et ceux qui ne mettront jamais rien au-dessus de la protection de la santé des acteurs ? C'est probable et sans doute un peu trop schématique.
Certes, les courbes se croisent et il est évident que la menace dissuasive d'un carton rouge a accéléré des changements de comportements, de techniques et d'habitudes de plaquage ou de déblayage. Pour Jean-Marc Lhermet, vice-président de la FFR en charge de ce dossier, la responsabilisation de tous passe par l'impact sévère que peut et doit revêtir un carton rouge. « Si on affaiblit ce risque, ne va-t-on pas envoyer un mauvais message disant que les conséquences d'un jeu déloyal dangereux ne sont pas si plombantes ou insurmontables ? Pour nous, ce n'est pas la bonne réponse à apporter à une réflexion qui mérite d'être menée puisque, c'est avéré, le nombre de cartons rouges distribués ne fait que croître. »
À titre d'exemple, 14 des 20 cartons rouges donnés dans toute l'histoire du Tournoi des Six Nations l'ont été depuis 2020. Au niveau international, les souvenirs du dernier France-Irlande (Paul Willemse exclu à la 32e minute) ou du Angleterre-Irlande du Tournoi 2022 (Charlie Ewels expulsé dès la 2e), voire de la finale de la Coupe du monde 2023 (le Néo-Zélandais Sam Cane a été exclu à la 34e) nourrissent à coup sûr l'argumentaire des tenants d'une sanction plus ciblée sur le fautif que sur son équipe, et donc moins à même de déséquilibrer un match.
Dans le projet qui sera soumis au vote du Council de World Rugby jeudi 9 mai, il est question de durcir les sanctions a posteriori pour le coupable qui, rappelons-le, ne pourra pas revenir lui-même sur le terrain mais sera remplacé numériquement par un coéquipier.
Absente du bureau exécutif, la France pourra faire usage de ses trois voix, tout comme l'Angleterre, l'Italie, l'Écosse, l'Irlande, Galles, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, l'Afrique du Sud, l'Argentine et le Japon. Mais a-t-on la certitude qu'un match de rugby est faussé par un carton rouge, même s'il survient tôt ?
Carton rouge reçu en première mi-temps : un impact relatif
Dans son plaidoyer adressé à World Rugby avant le vote, la FFR a produit de nombreuses statistiques. « Sur les 161 matches internationaux (entre nations du Tier 1) depuis 2021, 31 cartons rouges ont été distribués, nous expliquait Lhermet. Dans 59 % de ces cas, l'équipe ayant reçu le rouge a perdu. Le rouge a un impact sur le résultat, oui, et heureusement. Mais c'est loin d'être systématique. Sur 320 matches de Top 14 (ces deux dernières saisons), la proportion de défaite est de 61 %. » Ces statistiques correspondent à l'étude du résultat final quel que soit le moment du carton rouge.
Si on resserre la focale sur les cartons rouges reçus en première période (le temps en infériorité numérique est théoriquement d'au moins une mi-temps), sur les 320 matches de Top 14 précédemment évoqués, l'équipe sanctionnée d'un carton rouge entre la 1re et la 40e minute a perdu dans 62 % des cas. Le temps ne changerait pas grand-chose à l'affaire.
Si on s'en tient à l'échantillon de matches internationaux visés, on remarque qu'il est plus difficile de s'en sortir s'il a fallu absorber un rouge en première période. Une fois soustraits les cas où l'équipe a gagné malgré le carton rouge (24 %) et ceux où elle a perdu mais perdait déjà au moment de la sanction (38 %), il reste 38 % des cas où le carton rouge reçu en première période a précédé un changement de main dans le résultat.
Rappelons que le carton rouge de vingt minutes a été expérimenté dans plusieurs compétitions de l'hémisphère sud ces deux dernières saisons, avec, paraît-il, des résultats très positifs. « Bizarrement, nous n'avons jamais vu ces données alors qu'on les demande depuis un moment », indique Lhermet. Si le « oui » l'emporte dans huit jours, une phase de tests de courte durée serait lancée cet été (Coupe du monde U20, tournées estivales...) pour que les nations du Nord se confrontent à cette nouveauté, avant un vote sur une possible expérimentation globale en novembre.
Canal+ ne pousse pas dans ce sens
Ces dernières années, l'hémisphère sud a souvent été à l'initiative des projets de réforme législative, la plupart du temps dans le but d'accélérer le jeu. Dès la création du Super Rugby, le diffuseur Sky a multiplié les propositions, plus ou moins pertinentes. Cette fois encore, l'idée du « rouge allégé » vient de Nouvelle-Zélande, avec l'appui de l'Australie.
Diffuseur historique du Top 14 en France, Canal+ ne considère pas que son rôle « soit d'intervenir au niveau des règlements, indique Éric Bayle, patron du rugby pour le groupe. C'est le rôle des gouvernances, ce sont elles les maîtresses des règles. Il me semble que la protection des joueurs doit rester la priorité numéro 1 et qu'un ramollissement du carton rouge n'envoie pas un message positif dans ce sens. L'argument du petit gain de spectacle en plus, qui n'est même pas garanti, n'est pas suffisamment fort pour remettre en cause un principe qui, lui, est fort. C'est même une question d'éducation. Si on diminue les conséquences d'un carton rouge, on se doute que ce secteur sera petit à petit moins travaillé. »
« À Canal, nous n'avons jamais eu de remontées de nos téléspectateurs se plaignant de l'effet d'un rouge sur un tel ou tel match, poursuit-il. Aujourd'hui, on sait tous que la décision arbitrale est bien pesée en général, avec l'apport des ralentis et de tous les angles de vue disponibles. Cette saison, en Top 14, l'équipe sanctionnée d'un rouge a gagné une fois sur deux. Nous, au commentaire, on peut valoriser la solidarité, la générosité d'une équipe réduite à quatorze. C'est aussi intéressant. Nous diffusons le Super Rugby et j'ai la sensation visuelle que là-bas, les plaquages hauts sont moins sanctionnés. On peut s'en étonner. Aujourd'hui, ce qu'il faut redouter pour le rugby, ce n'est pas une éventuelle baisse de spectacle, c'est plutôt un accident grave. »
Nous diffusons le Super Rugby et j'ai la sensation visuelle que là-bas, les plaquages hauts sont moins sanctionnés. On peut s'en étonner. Aujourd'hui, ce qu'il faut redouter pour le rugby, ce n'est pas une éventuelle baisse de spectacle, c'est plutôt un accident grave. »
... nous dit C+ qui vend son rugby comme on vendrait du MMA...
Il a raison sur la moindre sanction des plaquages hauts en SR, mais ça concerne avant ou les plaquages limites, ceux sur lesquels on a en Europe et en Top 14 25 ralentis pour montrer qu'en fin de geste, l'auriculaire du joueur a touché le cou, et donc que c'est rouge.. Par contre côté blessure sur mauvais geste ou geste mal contrôlé, je demande à avoir les stats (qui n'existent pas).