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Jybril, le cousin de Yolaine Yengo, était étudiant en BTS au Lycée La Pérouse à Nouméa. La mort de ce Mélanésien (population issue des autochtones de la Mélanésie regroupant la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, et les îles Fidji) de 19 ans, le 15 mai, a exacerbé la colère déjà tangible des Kanaks qui manifestaient depuis le 13 mai pour s'opposer au dégel du corps électoral.
Cette réforme vise à permettre à plusieurs milliers de nouveaux électeurs, présents sur l'île depuis dix ans, de voter aux élections provinciales. « Un passage en force », estiment les Kanaks qui se revendiquent « peuple premier » et redoutent d'être mis de facto en minorité. « Les Kanaks ne se sentent pas entendus, estime Lax Wejieme, ancien athlète désormais en poste au Centre international sport et expertise et officie comme pasteur. On ne veut pas quitter la République, on veut la partager. Tisser une natte avec toutes les communautés. »
« Les manifestations se voulaient pacifistes. Elles ont été dépassées par des petits jeunes des quartiers qu'on appelle "les désobéissants" qui ont fait déraper les choses »
Lax Wejieme, ancien athlète désormais pasteur
La Nouvelle-Calédonie compte quelque 271 400 habitants, dont un tiers regroupé dans le grand Nouméa. Selon l'INSEE, la population est divisée en groupes ethniques : 41,2 % de Kanaks, 24,1 % d'Européens, 8,3 % de Wallisiens et Futuniens, mais aussi des Tahitiens, Indonésiens, Vietnamiens...
Selon Wejieme, les manifestations du CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain), entité indépendantiste, « se voulaient pacifistes. Elles ont été dépassées par des petits jeunes des quartiers qu'on appelle "les désobéissants" qui ont fait déraper les choses. Ils sont sous l'emprise du "trompeur" comme on appelle ici l'alcool. Carrefour, Décathlon, Monsieur Bricolage... Tout a été cramé. »
D'après nos informations, certains émeutiers, adolescents, hospitalisés après des heurts face aux forces de l'ordre, auraient déclaré : « Les grands viennent nous chercher, ils nous donnent à boire plus un petit cachet blanc. Du coup, on est bien excités. » Face à ce déferlement de violences, les populations du centre de Nouméa se sont organisées en « groupes de vigilances » avec leurs voisins pour se protéger des pillages.
Malgré la confusion sur place, une enquête réalisée par trois journalistes de Mediapart révèle que Jybril aurait été touché mortellement par un tir « dans le dos » d'un civil armé à Tindu, un quartier au nord de Nouméa. « Un mec a pété un plomb alors que des jeunes caillassaient une maison », nous a confié un policier. Le grand Nouméa a été dévasté par les pillages et les incendies. « On ne trouve plus rien dans les magasins. Ils ont tout brûlé, même la société de distribution de médicaments dont nous sommes dépendants », se désole ce membre de la famille d'un joueur de Top 14 qui souhaite rester anonyme.
« Dehors c'est le chaos »
Une médecin en Nouvelle-Calédonie
Les émeutiers ont aussi détruit le dispensaire de Paul Qaeze, premier médecin mélanésien. Un symbole. « Ce cabinet était celui du premier médecin kanak », soupire sa veuve, elle aussi médecin. « Même son portrait géant n'a pas fait réfléchir les délinquants. Et les malades dans tout ça ? »
L'accès aux soins et aux denrées est devenu problématique. « Dehors c'est le chaos, nous a confirmé cette Métropolitaine. On revit le confinement, l'angoisse en plus. Mais on n'est pas à plaindre, certains ont tout perdu. » Six personnes ont trouvé la mort : trois Mélanésiens, deux gendarmes et un Caldoche (le terme "Caldoche" désigne la partie de population néo-calédonienne essentiellement d'origine européenne).
L'archipel, déjà touché par la crise économique du secteur du nickel, aura du mal à s'en remettre comme le rappelle Independent Gyal, une artiste kanak dont le post Instagram a été relayé par Patrick Tuifua (*) : « À tous les petits frères sur les barrages, je viens de voir la vidéo du petit mec qui parle en votre nom. Donc le projet c'est que si rien ne change, vous brûlez tout ? (...) Vous pensez qu'on va vous remercier d'avoir mis nos papas et nos mamans au chômage ? (...) Ça crie Kanaky partout sur Nouméa, vous pensez être en train de faire avancer le pays vers l'indépendance (...) vous êtes juste en train de décrédibiliser la lutte et approfondir les stéréotypes sur nous (...) Arrêtez de crier "nique la France", "à bas Macron" et tout ça là ! C'est la France qui va réparer les dégâts au pays. C'est la France qui va nourrir vos familles. Ne pensez pas que je suis loyaliste hein ! Je suis kanak et indépendantiste, mais je ne suis pas avec vous dans ce que vous appelez votre lutte. »
Le père de Patrick, Jean-Philippe, est policier et affecté au commissariat de Rivière Salée, épicentre des violences. Il enchaîne les nuits blanches avec ses collègues pour tenter de sauvegarder la paix civile.
Le 15 mai, le Premier ministre Gabriel Attal a décrété l'état d'urgence et interdit TikTok. Le réseau social chinois qui s'est révélé un accélérateur de colère. Influences étrangères ? La Chine, implantée au Vanuatu voisin, lorgne ces territoires du Pacifique et leur nickel. Sur France Info, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a fustigé le rôle de l'Azerbaïdjan suspecté de financer le CCAT pour « gêner la France dans sa souveraineté ». Des représailles envers Paris qui a condamné les offensives des forces azerbaïdjanaises au Haut-Karabakh. Bien loin du drame quotidien que vivent aujourd'hui tous les Néo-Calédoniens.
