Il a cette réputation de joueur insaisissable sur les terrains et, en dehors, Marcus Smith (25 ans, 32 sél.) est tout l'inverse : l'ouvreur des Harlequins a trouvé un moment, mercredi, dans une semaine charnière pour son club, pour se rendre disponible, en visio. Il ne s'est pas échappé non plus pour aborder tous les sujets, la progression de son club, qui découvre les demi-finales de Coupe des champions (dimanche 16 h face à Toulouse), celle de l'Angleterre, et son goût pour le Top 14 qu'il a failli rejoindre l'année dernière.
« Les Harlequins disputent aujourd'hui la première demi-finale de Coupe des champions de leur histoire. Cela en a fait un moment spécial ?
C'est très excitant, un des rêves de ma carrière de rugbyman, j'aspire à ça. Je veux relever ce défi, me mesurer aux meilleurs. On n'a encore rien fait, mais avoir l'opportunité de jouer à Toulouse, contre l'équipe qui a gagné cinq fois cette compétition, un club historique avec tant de joueurs et un staff incroyables, ça sera spécial ! On devra être prêts émotionnellement et physiquement pour obtenir le résultat qu'on veut. Il y a de l'excitation parce qu'on est un groupe de jeunes joueurs, dont beaucoup sont passés par le centre de formation. Et on veut écrire notre histoire. S'arrêter en demi-finales, ça ne nous satisferait pas.
Toulouse vous avait fail mal en poules dans votre stade (19-47, le 17 décembre)...
Au Stoop, c'était une leçon d'humilité pour nous. On en a appris beaucoup, on n'était pas à 100 % et contre les meilleurs clubs, tu ne peux pas t'en tirer comme ça. On en a tiré les leçons, et on a planifié certaines choses pour montrer un visage différent à Toulouse. Je suis sûr que ça sera un spectacle incroyable pour les fans !
« Je suis plus à l'aise pour faire passer des messages à mes coéquipiers, savoir comment les remettre à l'ouvrage »
Marcus Smith
Comme le Stade, vous proposez un rugby ambitieux offensivement. Comment définiriez-vous l'identité de jeu des Harlequins ?
Notre philosophie, c'est "allons-y, soyons courageux, n'ayons peur de rien et prenons du plaisir". Notre club est dans la région londonienne, le stade est souvent plein, on veut divertir le public. Parfois, on n'y arrive pas, bien sûr, mais c'est cette attitude qui nous a permis de gagner au Racing (28-31, le 10 décembre) puis à Bordeaux (41-42 en quarts). Être agressif et malin aussi. C'est notre similarité avec Toulouse, que j'ai tant regardé, de mon enfance à plus récemment : leur état d'esprit est le même, s'il y a de l'espace, même de loin, ils vont y aller, ils ont confiance en leur adresse et leur talent pour se tirer d'affaire ! C'est comme ça qu'on veut jouer aussi, alors, je croise les doigts, ça pourrait être un match avec beaucoup de points.
Vous allez aussi livrer un duel à distance avec Romain Ntamack. Vous avez pris des nouvelles durant sa convalescence, racontait-il ?
Je joue contre Romain depuis les catégories de -20 ans et on avait perdu la finale de la Coupe du monde 2018 contre lui. On a toujours gardé le contact depuis. J'adore sa manière de jouer, de conduire son équipe. Alors c'était terrible de le voir se blesser juste avant une Coupe du monde à la maison, alors qu'il jouait si bien pour Toulouse et la France. La France a beaucoup de demis d'ouverture de talent, avec Matthieu Jalibert et même Louis Carbonel, tous ceux contre qui j'ai joué en grandissant, et tous aiment faire vivre le ballon. Et Romain est de cette trempe. Il vient d'une belle famille de rugby, il a déjà eu beaucoup de succès sous le maillot toulousain. Ça sera un honneur de l'affronter, j'aime comment il joue et après, j'espère qu'on pourra partager une bière !
D'un point de vue personnel, vous avez disputé votre première coupe du monde, avec l'Angleterre, à l'automne. Qu'en avez-vous tiré ?
Cette année passée, j'ai énormément appris au contact de George Ford et Owen Farrell. Les Coupes du monde, c'est tellement différent. Ce sont des matches éliminatoires dès le début. Il faut être malin, aux aguets, et parfois pragmatiques, parce qu'il ne s'y présente pas beaucoup d'occasions. Ça va ressembler à ce qu'on va vivre ce dimanche contre Toulouse et ce qu'on a vécu contre Bordeaux en quarts. Tout ça m'a fait progresser : mon leadership s'est amélioré, je suis plus à l'aise pour faire passer des messages à mes coéquipiers, savoir comment les remettre à l'ouvrage. Je pense aussi qu'avoir évolué à différents postes m'a beaucoup aidé, sur les contre-attaques, sous les ballons hauts et la compréhension du fond du terrain. Je n'en serais pas là où j'en suis aujourd'hui sans cette expérience.
« Chaque fois que j'ai eu la chance de jouer en France, c'était du bonheur ! »
Puis vous avez raté le début du Tournoi des Six Nations sur blessure (mollet), avant de pouvoir jouer les deux derniers matches. Comment l'avez-vous vécu ?
Je crois que tout arrive pour une raison. J'étais en grande forme avant le Tournoi et j'étais dégoûté de me blesser. Mais je savais que mes coéquipiers étaient prêts et je suis resté avec eux, j'ai pu les observer, partager des idées et j'ai appris aussi de cette période. J'ai essayé de prendre tout ça du bon côté, de développer mon jeu d'autre manière et j'ai été heureux finalement de pouvoir porter le maillot anglais sur les deux derniers matches, j'avais tellement envie d'aider l'équipe.
Le quinze de la Rose a montré cette année plus d'ambition dans son jeu. Ça vous convient ?
On voulait faire un pas en avant après la médaille de bronze à la Coupe du monde, où on était si proche de la finale. Le groupe qui s'est retrouvé pour les 6 Nations voulait ajouter de nouveaux éléments à son jeu, en ayant appris des meilleures équipes au monde, sur la volonté d'inscrire des essais, de faire vivre le ballon.
Pourtant, beaucoup de vos coéquipiers rejoignent le Top 14 et ne seront plus sélectionnables. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Chacun a ses propres buts dans la vie. Le Top 14 est un Championnat incroyable, avec cette difficulté semaine après semaine, ces stades pleins. Chaque fois que j'ai eu la chance de jouer en France, c'était du bonheur ! Tous ces gars qui y vont, ils essayent d'y progresser. Je leur souhaite bonne chance, mais de mon côté, je suis aux Harlequins. Peut-être qu'un jour, je jouerai en Top 14 !
Vous avez failli le rejoindre, au Racing 92 de Stuart Lancaster...
C'était intéressant d'échanger avec Stuart. Pour moi, le Racing c'est un club historique, incroyable, avec ce style, cette élégance dans le maillot, surtout le numéro 10, qui a été porté par des joueurs de classe mondiale. J'ai étudié cette option très sérieusement. Mais là, je suis heureux, en paix avec moi-même aux Harlequins. On a quand même des carrières courtes, alors un jour, le Top 14 sera vraiment une possibilité pour moi. »