Jeudi dernier, veille de barrage à Jean-Dauger, Eric Bayle dévie son footing matinal vers la mise en place de l’Aviron Bayonnais. Sous son survêtement, un maillot ciel et blanc. Sommé de s’expliquer en place publique sur cette entorse à la sacro-sainte neutralité journalistique, le patron du rugby sur Canal+ pirouette : « Je fais toujours du sport avec un maillot de l’Aviron. Celui-là était celui… du foot. » Le Bayonnais était aux commentaires du « quart » face à Clermont (20-3), le 13 juin. Il récidive une semaine plus tard, à Lyon, pour la demi-finale de Bayonne face à Toulouse (21 h 05). « Il n’est pas exclu que le staff toulousain me regarde un peu de travers. Je lui dirai que ça aurait pu être pire, j’avais demandé à arbitrer… »
« En tant que commentateur du Top 14, j’ai le peu enviable privilège d’être considéré anti toutes les équipes de la division »
L’Aviron Bayonnais, son « club de cœur ». C’est de naissance. « On a le droit. On est de quelque part. Dans mon équipe, j’en ai qui sont de Montauban, de Paris, de Toulouse, de Toulon. Moi, je suis de Bayonne et fier de l’être. » Peut-on aimer et être juste ? Vous avez 80 minutes, un peu plus avec les arrêts de jeu. Eric Bayle a réécouté sa prestation en barrage. « Je ne pense pas avoir donné une seule occasion de se plaindre aux supporters de Clermont. »
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En 1983, l’Aviron s’inclinait en demi-finale du championnat de France face à Béziers (12-19), malgré un essai du jeune Patrice Lagisquet. Le club bleu et blanc n’allait plus revoir ce niveau. L’ailier international non plus
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Le 16 mai 1992, l’ailier du BO décochait un coup de pied céleste, qui faisait basculer le match entre les frères ennemis. C’était en quart de finale du championnat de France. La dernière apparition de l’Aviron à ce niveau
Comme s’il fallait des raisons objectives aux fans pour ranger l’autre dans le camp d’en face. Surtout lorsqu’il détient quelque autorité, fut-elle celle modeste du journaliste. « En tant que commentateur du Top 14, j’ai le peu enviable privilège d’être considéré anti toutes les équipes de la division. Les supporters pensent deux choses : que l’arbitre est contre eux et que le commentateur aussi. » Eric Bayle est anti Castres, anti Toulon, anti Toulouse… « Anti tout ! Je pense même qu’à Bayonne, des gens doivent le penser. » Des courriers de plainte à la chaîne en feraient foi. « Ça fait rigoler mes confrères. »
Élans du cœur
L’ « anti » aussi s’en amuse. « C’est finalement le plus beau compliment que l’on puisse faire à un journaliste. Si après un match, chaque équipe dit que vous avez été contre elle, c’est que le boulot a été bien fait, avec mesure et neutralité. »
« Ce que les gens ne comprennent pas, c‘est qu’on a plus d’occasions de s’enthousiasmer pour une équipe qui marque quatre essais que pour une qui n’en marque aucun »
Pour autant, le plus flegmatique des stoïciens n’est qu’un homme et une percée de Maqala est vite arrivée. « Je sais qu’il faut que je fasse attention à mes élans. » Pas une grande inquiétude pour le professionnel : « Je prendrai l’exemple de la F1 ou de la moto : quand tu mets ton casque, tu entres dans un autre monde. Tu oublies ce qu’il y a autour, tu te concentres sur ce que tu dois faire ou dire. »
En équilibre entre analyse distanciée, désormais campée sur les datas, et transmission des émotions. « Commenter, c’est un plaisir fantastique. Et des phases finales, c’est magnifique. On donne de nous. On s’enthousiasme. Ce que les gens ne comprennent pas, c‘est qu’on a plus d’occasions de s’enthousiasmer pour une équipe qui marque quatre essais que pour une qui n’en marque aucun. Je m’emballe pour le rugby. » CQFD.
Seul LE derby…
Il y a tout de même moins de péril à commenter un France - Angleterre qu’un Pau - Lyon. « On ne va pas vous reprocher d’être pro Français. » Mais pas touche au clocher ! Le rugby mondialisé n’y a rien changé. « Sur le Top 14, les supporteurs font attention à tout ce qui est dit, ils interprètent jusqu’aux intonations. C’est normal. Je trouve ça plutôt drôle. J’ai 30 ans de métier, je suis un peu habitué. »
Lors d’un derby entre l’Aviron et Biarritz, avec le Biarrot Nicolas Brusque et l’ancien président de l’Aviron Francis Salagoïty.
Archive Jean-Daniel Chopin
Malgré l’expérience Eric Bayle s’est toujours tenu à distance prudente du derby basque. « C’est le seul match que je n’ai jamais voulu commenter. » Pour d’évidentes raisons sanitaires : « Je suis malade, en général, pendant le derby. » Le Bayonnais s’abstient aussi « parce que c’est (sa) région » et « par respect pour les supporters de Biarritz ». Toute rationalité s’égare entre les avenues André-Grimard et Henri-Haget, phénomène scientifiquement prouvé.
Pain noir
Eric Bayle ne pourra empêcher les supporters versés dans l’occultisme de l’imaginer en lobbyiste bayonnais dans les sphères nébuleuses où tout se décide. Et surtout les doublons Tournoi des VI Nations - championnat. Eric Bayle pourrait balayer le fantasme d’un constat : « son » club n’a jamais connu les phases finales de l’élite depuis l’avènement du rugby professionnel. Pas si efficace, le deus ex machina des bords de Nive.
« Je leur ai dit ‘‘les gars, vous avez eu tellement de caviar, pensez aux supporters de l’Aviron’’ »
« Honnêtement, je pensais finir ma carrière sans commenter l’Aviron en phases finales. C’est pour ça que je me suis autodésigné sur le barrage et la demie. » Le « Monsieur rugby » de Canal est entré dans la maison cryptée le 1er juin 1992, soit exactement deux semaines après la dernière apparition de l’Aviron à ce niveau : un quart de finale perdu contre… Biarritz. « Ça ne m’a pas empêché de travailler avec Serge Blanco par la suite, je ne suis pas rancunier. »
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Talonneur de Bayonne durant huit saisons (2007-2015), David Roumieu (43 ans) a terminé sa carrière en 2018 au Stade Toulousain. Désormais restaurateur à Biarritz, il jette un regard dans la boîte à souvenirs avant la demi-finale du Top 14 entre les deux clubs
Samedi dernier, au marché de Bayonne, Eric Bayle a croisé des supporters auvergnats malheureux. « Je leur ai dit ‘‘les gars, vous avez eu tellement de caviar, pensez aux supporters de l’Aviron’’. » Au pain noir et à l’eau depuis si longtemps, en bascule perpétuelle entre Pro D2 et Top 14. « Aux Bayonnais de savourer un peu ! »
Sella et le bon cru
Surtout ceux trop jeunes pour avoir connu les belles heures de leur club. « J’envie les ados, les gamins de 20 ans qui vont pouvoir vivre ce que moi j’ai vécu avec mes potes. Quand on partait en train pour les matchs de phases finales. Je ne remercierai jamais assez l’Aviron de 1982 pour ce bonheur-là. » Il avait 19 ans, une licence à l’Aviron cyclisme et rêvait de devenir le nouveau Bernard Hinault. Ses idoles de jeunesse s’appelaient Bernard Duprat, Roland Pétrissans, Christian Bélascain, Laurent Pardo, Peio Dospital, Dominique Sagarzazu… « J’avais 5 ans, quand mon père m’amenait à Saint-Léon. Quand j’en ai eu 10, je recopiais les compositions d’équipe inscrites à la craie sur un tableau près des vestiaires. »
Eric Bayle et ses copains « montent » au Parc des Princes pour la finale de 1982, perdue contre Agen (18-9). « Dans le stade, on était derrière les poteaux où Philippe Sella marque sur un contre (1). Je ne savais pas à l’époque que j’allais partager l’antenne avec lui pendant dix ans. À chaque fois qu’il m’invitait chez lui, il me sortait une bouteille de 1982. Un excellent cru pour me rappeler ce souvenir fatal. »
Quels souvenirs pousseront sur la pelouse lyonnaise, ce soir ? Même Eric Bayle ne le sait pas. « Souhaitez-moi que le score ne soit pas serré à la fin du match, sourit-il. Parce que là, il n’est pas exclu que je passe par l’infirmerie. » En toute neutralité.
(1) À la troisième minute du match, Philippe Sella contre un renvoi au 22 de l’arrière bayonnais Claude Uthurrisq.