Un fofo aurait il ça ?
merci beaucoup
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France – Afrique du Sud – "La fin d’un mensonge" : le grand récit du lourd revers des Bleus face aux Springboks
Mis à jour à 16:04
Ils ont pris notre stade, nos rêves et même nos excuses. Tandis que Rassie Erasmus bâtit sa légende, la France du rugby tourne en rond, comme condamnée à revivre éternellement le même cauchemar…
On s’était inventé une belle histoire. Une fable tricolore pour supporter l’insupportable : la Gaule, trahie par un arbitre, volée par l’institution, martyrisée mais pas vaincue. Deux années à nourrir, avec une sorte de ferveur naïve, l’idée que la défaite de la France contre l’Afrique du Sud n’était point la nôtre, mais celle de Ben O’Keefe. On avait même tant choyé ce mensonge qu’il donnait à cet échec – dans les faits majuscule, éminent – la noblesse d’une injustice. Et puis ? Les Springboks sont revenus. Ils ont frappé comme une masse, joué comme des champions du monde, broyé les Bleus malgré un soldat de moins. Alors ce matin, la vérité est d’autant plus violente. KO debout, les yeux vides et la tête basse, on doit tous admettre que les Sud-Africains sont simplement supérieurs, que les Bleus ont pris une leçon et que cette révélation, finalement, sera une bien lourde croix, ces vingt prochains mois.
Remarquez, cette défaite à trente points, la quatrième consécutive pour la bande à Galthié, a au moins le mérite de rétablir l’équilibre d’un karma plutôt meurtri, samedi soir, par cet avant-match un rien poisseux, les 80 000 supporters tricolores ayant largement conspué les Sud-Africains un à un, lorsque la voix du stade égrena leurs noms en "berg", en "zen" ou en "kamp". Une clameur mauvaise, presque haineuse et pas très rugby, mes seigneurs. Comme si l’on espérait, en fait, couvrir 2023 sous le bruit. Sur le terrain, les coéquipiers de Gaël Fickou n’ont d’ailleurs fait guère mieux, croyant naïvement qu’une débauche d’engagement et d’énergie compenserait une pensée de jeu famélique et seulement sauvée par la dévotion de deux bouchers patriotes (Anthony Jelonch et Paul Boudehent), une attaque peu imaginative et ce gouffre physique qui, à l’heure de jeu, creva les yeux. Depuis la dernière fois, les Boks ont donc consolidé leurs forces quand le XV de France, perdu entre rancœur et nostalgie, s’est passé des ralentis.
Les Tricolores, certes vainqueurs du dernier Tournoi des 6 Nations, ont toujours autant de mal à répondre à la rush défense de leurs rivaux, doivent encore improviser des combinaisons en début d’alignement pour contourner les sauteurs sud-africains et surtout, ne semblent pas avoir avancé d’un iota dans le jeu aérien. Avant match, ils avaient pourtant tenté, nos Bleus, de combler leur retard dans ce domaine et, sous nos yeux ébahis, Marcoussis s’était soudainement transformé en laboratoire de la quille. Sur le terrain d’honneur, les Bleus répétaient, sautaient, retombaient, recommençaient. Mais dans l’Essonne, l’adversaire du jour n’était ni Kolbe, ni Kriel, ni Willemse. C’était un kiné de trente piges, réquisitionné pour l’exercice et armé d’une frite de piscine jaune poussin. Son rôle : frapper, gêner, perturber le confort et les appuis des réceptionneurs. À l’heure où on nous bassine avec les datas et les données GPS, le progrès passait donc par un boudin en mousse généreusement prêté par la piscine municipale de Montlhéry. C’était à la fois touchant, absurde et dérisoire…
Alldritt, Dupont : les absents ont toujours raison
Dès lors, à quoi doit-on que l’Afrique du Sud demeure le plafond de verre que cette génération tricolore ne parvient pas à fissurer ? Et pourquoi le rugby sud-africain est-il resté aussi meurtrier, au fil des âges ? François Pienaar nous le disait cette semaine, aux Oscars Midol : une équipe joue son plus beau rugby quand elle respire le pays dont elle porte les couleurs et ces Springboks sentent la terre, la sueur et le fer. Leur force vient du Veld, cet océan d’herbe grillée engendrant ses propres légendes : Andy Mac Donald, le pilier qui terrassa un lion à mains nues ; Frik du Preez, qui traversait une partie du Kalahari pour bosser son foncier ; Tiaan Strauss, qui s’entraînait en plaquant des gnous. Des gnous, putain…
La puissance des Sud-Africains a fait la différence.
La puissance des Sud-Africains a fait la différence.
Au sujet des maîtres du monde, demeure aussi cette évidence : l’expérience collective des Springboks, soudés par six mois de vie commune, de tournées d’été et de Rugby Championship, ne souffre pas la comparaison avec un XV de France rassemblé à la hâte, façonné en dix jours et cinq entraînements. Et puis il y a le reste : un Top 14 déjà épuisant après neuf journées à peine, énergivore au point de briser les corps avant qu’ils n’aient le temps de s’épanouir. Il tarde, à certains postes, à produire autre chose que des remplaçants de bonne volonté et à droite de la mêlée tricolore, Régis Montagne a par exemple fait ce qu’il a pu, sans jamais faire oublier Uini Atonio, ce géant de trente-quatre piges au genou en charpie. Hé quoi ? Quand la meilleure nation du Nord en est réduite à regretter les articulations d’un vétéran, c’est que le vivier s’est tari et in fine, ceci nous ramène à ces années grises où chaque défaite du XV de France servait à réhabiliter les absents. À ce titre, combien sommes-nous à penser aujourd’hui à Grégory Alldritt, écarté du groupe face à l’Afrique du Sud, aurait pu répondre aux ruades de Jasper Wiese ? Ou à Antoine Dupont, dépositaire d’un système offensif réduit samedi soir à peau de chagrin ? Et c’est peut-être ça, notre drame actuel : chercher dans l’absence la solution que le terrain s’est refusé à donner.
"Rassie" a encore gagné la partie d’échecs
Pour autant, sommes-nous trop injustes avec cette équipe qu’on portait encore en triomphe l’hiver dernier ? Peut-être. Mais comment ne pas s’attrister de voir l’Afrique du Sud faire de ce stade son domaine ? Deux sacres mondiaux, deux humiliations d’automne : la malédiction a pris racine ici et passé le crash, résonne encore dans nos têtes la voix tranquille de leur prophète, Erasmus, qui vantait avant match la "formidable richesse du rugby français". Comme pour faire oublier qu’un mois plus tôt, il avait rallumé nos egos blessés en ressortant sur les réseaux sociaux les images les plus cruelles du quart de finale de Coupe du monde. Depuis, le sélectionneur sud-africain n’a d’ailleurs plus jamais quitté le décor. Samedi soir, il a surtout remporté une nouvelle partie d’échecs face à son vis-à-vis Fabien Galthié : au moment du carton rouge, il a surpris le staff tricolore en sortant son capitaine Siya Kolisi – tout à coup bien meilleur en chauffeur de salle- pour lui préférer un colosse moins mobile mais autrement plus massif : Ruan Nortje.
Au fil des victoires de sa horde sauvage, le patron sud-africain façonne donc peu à peu sa légende et "Johan" Erasmus, de son identité véritable, appartient aujourd’hui à cette aristocratie singulière, celle des êtres (Zizou, Pelé, Richie…) qu’on ne désigne plus que par leur diminutif. Chez eux, Johan Erasmus est devenu "Rassie" : deux syllabes rondes, souples, presque familières, du genre qu’on peint sur les joues ou qu’on hurle dans les bars. Chez nous, loin de succomber à la complexité du personnage, on reconnaît néanmoins sa supériorité. Tout en se demandant si Thomas Ramos est vraiment sérieux lorsqu’il assure, dans une autre poésie du déni, que le XV de France "a fait samedi le match qu’il fallait pour les battre"…