Mon pays
Vous connaissez le Parigot : toujours le mot pour rire, un sacré boute-en-train, il a bouffé un clown et gageons que cette soirée n’engendrera pas la mélancolie. Il est vrai que j’invoque plus souvent qu’à mon tour les mânes de Fernand Raynaud et du fantaisiste Rigolex et que je consacre ma pause biquotidienne à écrire de plaisantes sottises.
Mais, quand le clairon sonne, mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
Parigot, on sait que tu es du goupillon, serais-tu du sabre en plusse ?
Ma foi non. J’étais le plus mauvais soldat de l’Armée Française, viré des paras en préparation, cassant camions et véhicules légers au gré de mes errances sur les routes d’Alsace et d’Ile de France. Ma (très très brève) expérience de la guerre (2 heures au milieu d’une explication Serbo-Bosniaque en 93) m’a fait comprendre que j’avais une frousse bleue, noire et violette quand ça tirait pour de bon.
Les glorieux soldats sont mes ancêtres : monsieur Angeli, maître d’armes à Saumur au temps de la guerre franco-prussienne, capitaine Angeli (son fils) gazé à Verdun, adjudant Bruge un arrière-grand-père maternel, porté disparu à la bataille du Matz en 1918, lui qui s’était engagé en 1902 et qui avait vécu toutes les offensives de la Grande Guerre plus Verdun. Ses orphelins le Colonel Bruge (mon grand-père maternel) et le général Bruge : prise de Tunis avec les corps francs, débarquement en Provence en 44, bataille de Toulon, boucle du Doubs, traversée du Rhin. Indochine : siège de Huê en 1946, fait prisonnier en 49, cinq années de camp de prisonnier Viêt. Algérie : remis des camps Viêts il forme des officiers. Paul C. paternel du Parigot, appelé puis élève officier puis parachutiste du train aéroporté puis détaché au 1er régiment Etranger de Parachutistes en Algérie.27 mois de guérilla, variable, au sein d’une guerre ordinaire c’est-à-dire cruelle et sanguinaire.
Tous ces exemples me faisaient marrer quand j’avais seize ans, maintenant que j’ai passé les soixante je les regarde avec plus de respect. Car j’aime mon pays.
Rital de troisième génération par le paternel, j’ai reçu quelques fortes maximes du bréviaire de l’immigré « on rasait les murs, moinsse on parlait de nous, mieux on se portait ». J’ai bien tenté de manger de la racine familiale en Sicile, mais ces gens, au demeurant très gentils, ne me ressemblent pas je suis un Parigot et mon pays c’est la France.
On a tous des souvenirs de paysages enchantés. C’est mon cas : la brume sur les champs bretons en hiver, la courbe de la Seine où se dévoile la Conciergerie, le port de Kerdruc (en breton on dit « le charmant petit port » de Kerdruc), la villa close de Concarneau… Groix…
L’Histoire ne nous a épargné ni la défaite ni la honte mais quand on regarde d’un œil un peu honnête on se tient pas trop mal à la table des nations. Ne sombrons pas dans les débats politiques mais on passe notre temps à se plaindre d’être bien soignés, d’avoir des routes en bon état (allez voir en Youké) et des congés les plusses longs du monde. Moi j’ai l’impression de vivre au paradis, même si je bosse en PME, que j’ai deux heures de transport aller et retour et ma retraite à taux plein à 67 ans (loi Touraine). Je n'aimerais simplement pas du tout que mon pays soit dirigé par des maquereaux.
Youpi la France donc, chrétienne ou pas chrétienne, laïque, républicaine, où l’on cultive parfois avec déraison l’esprit critique. Youpi la France. Voilà. Pouvez vous asseoir.
Oui bon ça aussi c'est une chance de pouvoir gueuler sans se faire enfermer. 
