24/02/2005

A quelques heures d'un choc décisif samedi au Stade de France, face au Pays de Galles, adversaire direct dans la quête d'un nouveau Grand Chelem, Bernard Laporte, serein et détendu, évoque ses Bleus, la soi-disante disparition du french-flair, le duel Delaigue-Michalak, la polémique Villepreux, les Dragons gallois et plus encore... Plus volontaire et offensif que jamais, le sélectionneur parle à cœur ouvert. Tout irait pour le mieux dans le monde des Bleus. Si Bernie le dit...
Gareth Thomas, dans une interview accordée à la BBC, s'interroge sur le public français qui semble accorder plus de signification à la nécessité d'en avoir pour son argent qu'à la victoire finale. Pensez-vous que l'incompréhension actuelle autour du XV de France soit de cet ordre?
Il n'y a pas d'incompréhension avec notre public. Je ne nie pas notre mauvais match face à l'Ecosse mais dans la foulée, nous sommes allés gagner à Twickenham et là, je peux vous dire que tous nos supporters étaient heureux de ce succès, notre tour d'honneur nous l'a prouvé. Aujourd'hui, après deux journées, nous comptons deux victoires. Alors, non, je ne suis pas inquiet. Ce qui serait plutôt de nature à m'inquiéter, c'est le fait de n'être pas parvenu à lancer le jeu comme on l'aurait voulu, en raison notamment du très peu de ballons offensifs dont nous avons disposé.
Un seul essai inscrit lors de vos trois derniers matches: on parle beaucoup d'un "French-flair" perdu. Ces Bleus ne savent-ils donc plus attaquer?
Mais le "French-flair", on l'a toujours. Regardez l'essai de Frédéric Michalak face à l'Australie, à l'automne dernier. Cet essai, il se le crée tout seul en prenant d'un coup d'un seul la défense australienne à revers. Mais aujourd'hui, le "French-flair" ne veut plus dire grand chose. Aujourd'hui, on déborde une défense avant tout collectivement. Mais le "Welsh-flair", les Gallois l'ont retrouvé parce qu'ils ont retrouvé les joueurs capables de l'exprimer. Shane Williams n'est pas français mais il possède cette inspiration... Chez nous, Michalak n'est pas le seul. Rougerie a cette capacité, Laharrague également...
Le public semble garder une vision très romantique du jeu, là où le rugby du XXIe siècle commande avant tout de savoir répondre au défi physique proposé. C'est l'enseignement majeur de la claque reçue face aux Blacks (6-45)?
C'est évident. Ça allait trop vite pour nous. Là où le ballon se trouvait ce soir-là, il y avait quatre Noirs pour deux Bleus. D'où l'aspect fondamental des tests physiques que nous avons institués afin de réduire cet écart avec l'hémisphère sud où les sélections disposent de cinq mois de préparation. Ce n'est pas un hasard si les équipes du Sud dominent le rugby mondial depuis l'institution du professionnalisme. Et l'Irlande qui a adopté une organisation similaire dans ses provinces touche les premiers résultats de cette politique.
A l'image d'un Sébastien Chabal dont la chance est passée en ce début de Tournoi sans qu'il ait pu évoluer à son poste, vos nombreux changements tactiques ne manquent pas d'interroger...
Que voulez-vous, la concurrence bat son plein dans cette équipe de France. C'est aussi simple que cela. A l'image de certains, on attendait autre chose de Sébastien. Mais il n'est pas pour autant écarté, on a l'intention de lui redonner sa chance, notamment au poste de deuxième ligne. Mais derrière, en troisième ligne, Imanol (Harinordoquy), Yannick (Nyanga) poussent très fort.
Incompréhension toujours concernant Frédéric Michalak dont vous n'aviez de cesse d'affirmer qu'il avait avant tout besoin de temps de jeu. Or, voilà trois matches durant lesquels il fait banquette?
Fred n'a pas fait une bonne tournée d'automne. Il lui fallait prendre du recul, retrouver de cette sérénité perdue même en club où il accumulait les blessures à répétition. Il fallait le soustraire à cette pression médiatique. On l'avait monté au pinacle et on était en train de le tuer...

Yann Delaigue vous apporte-t-il pour autant toutes les garanties nécessaires pour un ouvreur de niveau international?
Yann a besoin de jouer. On ne peut pas dire qu'il a réalisé deux très grands matches face à l'Ecosse et l'Angleterre. Mais j'aurai besoin, l'équipe de France aura besoin de deux ouvreurs de très haut niveau à la Coupe du monde, Michalak et Delaigue. Yann le dit lui-même: "Je ne suis pas vieux". Et il a raison, à ce que je sache, Fabien Galthié a disputé la Coupe du monde à 34 ans, Delaigue n'en aura que 33 en 2007.
La polémique déclenchée par vos propos à l'encontre de Pierre Villepreux n'était-elle pas malvenue à l'approche d'un choc aussi important face aux Gallois?
Mais ça n'a rien d'une polémique. Certains sont jaloux et ont du mal à cacher leur aigreur, c'est tout. Vous savez, nous, cette semaine, avec les joueurs, ça nous fait rire. Le rugby doit apporter le respect et l'humilité. Lui (Pierre Villepreux) est allé trop loin. C'est trop facile de critiquer quand tu es passé par ce poste et que tu n'as rien gagné. De la part de Clive Woodward ou Rod McQueen, j'entends les remarques, ce sont des personnes avec lesquelles j'ai plaisir à débattre. Je suis prêt et disposé à accepter la critique mais là, il s'agit d'une question de respect. Maintenant, le débat est clos.
Samedi, face aux Gallois, une victoire ne serait qu'une étape vers le Grand Chelem avant le déplacement à Dublin. Confiant?
Disons que ce match sera ouvert. Ces Gallois jouent et présentent une équipe homogène depuis la Coupe du monde. Je n'oublie pas qu'ils ont été à deux doigts de battre l'Angleterre en quart de finale... C'est un match charnière pour eux comme pour nous. C'est une des finales de la compétition. En battant l'Angleterre, nous l'avons éliminée de la course à la victoire finale. Si nous battons les Gallois, nous écartons un autre candidat potentiel.
(Propos recueillis par SYLVAIN LABBE de Sports.fr)