CLERMONT-FERRAND - C'est souvent convenu un discours post-défaite, à ne pas sombrer dans le catastrophisme sans non plus promettre trop facilement un futur réveil. Alors imaginez-vous les Clermontois, qui viennent d'en enchaîner six en Top 14, depuis Noël... Personne ne leur en voudra de répéter semaine après semaine qu'ils ne vont « pas lâcher », qu'ils « ne trichent pas » tout en reconnaissant « un manque de confiance ». Il y a huit jours, après le revers contre Oyonnax (12-18), Alexandre Lapandry a utilisé toutes ces expressions balisées. Mais, d'un coup sec, le capitaine est sorti de ces autoroutes monotones de la « décla » d'après-match. « Ça me fait chier, s'est révolté le troisième-ligne. On a un jeune pilier de vingt ans qui rentre et normalement, putain, on devrait mener de trente points, il fait une mêlée, on retourne les mecs et on marque ! Pour le mettre en confiance ! »
En une pensée pour le jeune Sipili Falatea, qui disputait son deuxième bout de match dans l'élite, et devait quitter la pelouse tête basse une seconde fois, Lapandry s'était soudain animé. Pour traduire dans le réel ce qu'il nous disait quelques jours plus tôt sur son rôle de leader dans le vestiaire de l'ASM. « Quand je parle, ça vient souvent du coeur. C'est quelque chose que je lâche, beaucoup de ressenti », décrivait-il. Avant d'accélérer le débit, d'une voix plus passionnée : « C'est ce qui m'a fait venir au rugby, la valeur humaine. Le partage ! Je ne vais pas dire que c'est tout le temps comme ça dans le rugby d'aujourd'hui, mais si tu veux gagner quelque chose, il faut qu'il y ait une histoire vraie derrière ! »

À vingt-huit ans, Lapandry est de ceux qui apportent le lien dans la maison jaune et bleu. Parce qu'il la fréquente depuis treize ans déjà (au centre de formation), parce qu'il sait ce qu'il lui doit, un début de carrière fulgurant, en 2009-2010 quand, à vingt ans, il goûtait avec insouciance au premier Brennus de l'histoire de l'ASM, titulaire en finale du Top 14 (19-6 contre Perpignan), après avoir contribué au Grand Chelem de l'équipe de France, en sortie de banc, pour ses premières sélections. « Il a cette identité "asémiste", insiste Franck Azéma. Il est marqué par ce club, il en représente les valeurs. Il a pris le relais de garçons comme Aurélien Rougerie ou Elvis Vermeulen, il fait partie de ceux qui éduquent. »
Revenu près des Bleus
L'entraîneur apprécie l'homme mais ne ménage pas le joueur. La saison dernière, il l'a relégué en tribunes pour la conquête du titre de champion de France (22-16 contre Toulon). « Ça a été très dur à digérer, admet Lapandry. On a eu une bonne discussion avec Franck après... Et je n'ai pas fêté le titre, après... Mais je me suis vidé la tête pendant l'été. Je n'ai pas fait de sport... Ça ne m'était jamais arrivé ! Ça m'a fait du bien et je suis reparti sur quelque chose de nouveau. »
Pendant cette courte coupure, on parierait qu'il est revenu se ressourcer vers chez lui, autour de Paray-le-Monial. Cette Saône-et-Loire qui a façonné son besoin de partage. « Je viens d'une terre agricole où ces valeurs prédominent, explique ce membre d'une lignée de rugbymen, dont le grand-père, le père et les frères ont joué. Ma maison est entourée de prés avec des vaches charolaises. Mon frère et des oncles du côté de ma mère sont agriculteurs. Plus jeune, j'aimais bien, les étés, faire les foins ! J'emmenais des copains du rugby... Il y avait une bonne ambiance, parce que c'est quelque chose de vrai. De pur, de sincère. »

Un état d'esprit qu'il a retrouvé avec Bernard Goutta, nouvel entraîneur des avants auvergnats, « un fou, un passionné ! », s'emballe-t-il. Le Catalan lui a redonné une fraîcheur, de l'envie, pour un début de saison plus que convaincant, qui a attiré l'attention de Jacques Brunel. Lors du début du Tournoi, le nouveau sélectionneur a rappelé le flanker dans le groupe France, qu'il n'avait plus fréquenté depuis 2014. Il lui manque encore d'avoir reporté ce maillot bleu, mais Lapandry (10 sél.) n'est pas du genre à jurer que par le haut niveau. « Parfois, je prends exemple sur des équipes de série. Bon, sur le niveau de rugby, on peut trouver à redire, sourit-il. Mais c'est une bande de copains, et quand tu les vois se jeter dans les genoux... C'est magnifique ! On a la chance d'avoir ça au rugby, il faut en profiter, et s'en servir surtout ! »Ce qu'il ne manquera pas de faire dès aujourd'hui, contre La Rochelle.