L'équipe du jour :
RUGBY
«ON» EST UN CON
PIERRE MICHEL BONNOT
L'opulence rendrait-elle grossier ? En tout cas, les présidents disposant de deux des plus beaux outils d'entraînement de France se sont sérieusement laissés aller ce weekend. « Je dirais presque qu'ils se sont comportés comme des petits cons », a grondé le président Jacky Lorenzetti après la défaite du Racing contre Glasgow (22-5). « C'est pas très correct, c'est même très con », a assené le président Cromières à propos du tweet de Cudmore réclamant un coup de balai à la tête de Clermont, éliminé contre Bordeaux-Bègles (28-37). Mais s'ils parlaient tous deux d'un même cher souci, leurs joueurs pareillement élevés le cul dans le beurre, le parallèle s'arrête là.
Car si les Racingmen semblent bien se forger une histoire commune dans ce confort ouaté, voici les Auvergnats renvoyés à cette image de losers surpayés qui faisait déjà ricaner aux temps héroïques où le trésorier de l'ASM feignait chaque mois d'oublier que la combinaison du coffre était 1515, avant de refiler des enveloppes épaisses comme des pneus de tracteurs aux futurs déçus du Brennus. « Il faut travailler », a lâché Franck Azéma sans doute convaincu « qu'on joue comme on s'entraîne ».
Toulon et Paris, les deux héros du weekend sevrés d'entraînements pour cause de grosse fatigue ou de terrains gelés, ont surtout démontré qu'à la fin « on joue comme on s'entraide ». Mais foin de « on », ce pernicieux pronom extrêmement indéfini qui sert si souvent de cache-misère au sport collectif. « On fait trop de fautes », « on laisse des points bêtement », et pendant ce temps « on » cache commodément ses torts derrière les erreurs de tous. Alors bien sûr que le « front office » de Clermont a ses torts, et que Franck Azéma pourra bien se laisser pousser les sourcils jusqu'à la fin des temps sans jamais inspirer la crainte du Cotter des premières heures.
Et bien sûr qu'on pourra demander à Jean-Marc Lhermet pourquoi l'incontrôlable Julien Bardy est encore en mesure de nuire, quelle image de sa politique de recrutement renvoie le réengagement de Jacquet, dix ans en jaune et bleu et incapable de s'imposer en titulaire, ou qui a bien pu lui faire croire qu'Hosea Gear était encore une affaire. On pourra. Ça n'empêchera pas que dimanche, à Michelin, on n'a vu que la joie de jouer des Bordelais Serin, Dubié, Botha, et qu'en face d'eux se traînaient des internationaux en partance pour le Tournoi. Qui n'auront jamais assez de « on » dans la manche pour empêcher leur président de penser qu'ils l'ont tous pris pour un con.
-------------------
COMMENT CLERMONT EN EST ARRIVÉ LÀ
AURÉLIEN BOUISSET
L'ASM A ÉTÉ SECOUÉE PAR SON ÉLIMINATION EN COUPE D'EUROPE DIMANCHE. LE DOUBLE FINALISTE DE LA SAISON DERNIÈRE EST EN PERTE DE VITESSE ET SE PRÉPARE À DES SEMAINES AGITÉES. LE MAL EST-IL PROFOND ?
Ce matin, l'affluence médiatique au centre d'entraînement de Clermont promet d'être un peu plus fournie que d'habitude. Il faut dire que l'ASM sort d'un week-end de troubles rares sur une terre où même les volcans sont endormis. Le finaliste de la dernière édition s'est fait sortir de la Coupe d'Europe dès la phase de poules sur une défaite à domicile rocambolesque contre Bordeaux (28-37). Une première à ce stade de la compétition depuis 2011 (voir par ailleurs). Mais ce n'est sans doute pas seulement ce qui pousse le président Éric de Cromières à accompagner Franck Azéma, son entraîneur, ce midi, devant la presse. Car, depuis septembre, Clermont révèle par ses résultats en dents de scie un visage nouveau. Celui d'une équipe qui occupe certes la deuxième place du Top 14, mais qui n'apparaît plus comme l'un des grands favoris pour le titre. Comment l'ASM en est-elle arrivée là et est-ce plus grave qu'il n'y paraît ?
Deux finales au prix fort
Si certains clubs ont fait du turnover de leur effectif une philosophie, celui auquel se livre Clermont depuis le début de la saison est subi. Finaliste du Top 14 (battu par le Stade Français, 12-6) comme de la Coupe d'Europe (perdue contre Toulon, 24-18), l'ASM est, sur tout le Vieux Continent, l'équipe qui a joué le plus de matches lors de la dernière saison. Et le paye depuis août, après une préparation physique réduite à quatre semaines, une litanie de blessés impressionnante. Les bobos ont été plus ou moins graves et à peu près tout le monde y est passé.
Sans remonter bien loin, Morgan Parra et Sébastien Vahaamahina ont dû renoncer au stage de l'équipe de France de ce début de semaine, touchés lors du match contre l'UBB. Clément Ric et Dato Zirakachvili indisponibles, Franck Azéma vient de titulariser le même pilier droit, Dan Kotze, lors des six derniers matches de l'ASM ! Et, dimanche, la ligne des trois-quarts était privée de ses deux arguments offensifs les plus convaincants de la saison, Nick Abendanon et David Strettle.
Les cadres à la peine
C'est peut-être un corollaire de la longue saison 2014-2015, et de la Coupe du monde qui a suivi pour certains, mais une bonne partie des joueurs majeurs de la double épopée est loin de son rayonnement passé. La colonne vertébrale souffre : Benjamin Kayser est souvent cantonné à un rôle de remplaçant, Vincent Debaty a presque disparu de la circulation, Jamie Cudmore ne rejouera peut-être jamais en jaune et bleu, Fritz Lee est loin d'avoir le même tranchant, Damien Chouly ne rayonne pas, Wesley Fofana, tout juste de retour de blessure, ne pèse pas autant...
Les grands noms n'exercent pas le leadership technique et mental qu'on attend d'eux. L'emprise d'Aurélien Rougerie, dimanche, avec son entrée en jeu pleine d'allant, a fait rejaillir en creux ce caractère émollient des cadres.
Un staff à l'épreuve
On le promet au sein du club, la conférence de presse de ce matin ne cache aucune annonce exceptionnelle. Le jeu de l'ASM est en grande souffrance conquête très aléatoire, indiscipline incroyable au plus haut niveau, manque de puissance ou de combativité, attaque qui semble encore dépendre des éclairs de quelques individualités. Ceux qui en sont les garants risquentils leur place ?
« On nous dit malades, morts... Ils peuvent prendre les mesures pour le cercueil, mais je ne suis pas encore dedans ! On est une maison solide ! », réplique Franck Azéma. On l'oublie parfois après les deux finales de 2015, mais l'ancien adjoint de Vern Cotter est entraîneur principal depuis un an et demi. On assure au club que son message passe toujours, qu'il a l'adhésion de son vestiaire. Et le personnage est combatif comme à la recherche de solutions pour ses troupes. Autant ces dernières paraissaient souffrir en silence lors de la pesante dernière année de Cotter au club (2013-2014), autant elles semblent bien vivre cette saison.
La philosophie du club en question
La sortie de Jamie Cudmore (voir par ailleurs) est peut-être balayée d'un revers de main, mais elle n'est pas tombée du ciel. Sa mention de Vern Cotter rappelle que l'actuel sélectionneur de l'Écosse était en désaccord profond avec l'orientation sportive prise par la direction du club, qui refusait d'entrer dans la course à l'armement lancée par le Racing ou Toulon.
Plus qu'un véritable retour de Cotter, Cudmore ne souhaitait-il pas plutôt une réapparition de sa ligne directrice ? En tout cas, le président Éric de Cromières, chahuté la saison dernière par les supporters et peut-être ébranlé par les deux finales perdues, opère une reprise en main. Des têtes changent actuellement dans l'administratif jaune et bleu.
Est-ce cosmétique, ou cela signifie-t-il que le président luimême est en pleine phase d'interrogation, du genre : « Est-ce que Clermont met tout en oeuvre pour gagner dans le contexte du rugby actuel ? » Le club a appris ces dernières années à moins étouffer ses propres questionnements. Et ses supporters échaudés guettent d'autres signaux que de récurrents appels à la patience. Et si une formulation claire et lucide de ses réelles ambitions comme de ses vrais moyens aidait l'ASM à se réconcilier avec son jeu, son public et ses résultats ?
-------------------
Cudmore calme le jeu
AURÉLIEN BOUISSET
RARE AU CLUB, LA SORTIE MÉDIATIQUE DU DEUXIÈME-LIGNE DE CLERMONT A ÉTÉ MAL REÇUE EN INTERNE. ET LE CANADIEN A PRÉFÉRÉ TEMPORISER.
Dès dimanche soir, sur la traînée de poudre enflammée par son tweet laconique quelques minutes avant, Jamie Cudmore avait tenté de verser un peu d'eau. Clermont tout juste éliminé de la Coupe d'Europe, le deuxième-ligne canadien s'était lâché sur Twitter : « nettoyez le bureau décisionnaire ! #ramenezvern ». Pour, dans la foulée, re-gazouiller : « Pour être clair L'ÉQUIPE est unie et va se remettre au boulot pour ramener à la maison du matériel en juin ! »
Les cendres de cet appel à Cotter, l'homme du Brennus 2010, encore fumantes, Cudmore nous a concédé hier avoir « peut-être poussé un coup de gueule déplacé, et avec un mauvais timing... » : « Mais il n'y a pas de crise, c'était juste de la colère parce qu'on vaut beaucoup mieux que ça, et de la frustration de ma part parce que je ne peux pas jouer... »
RENDEZ-VOUS AVEC LE PRÉSIDENT AUJOURD'HUI
Opéré des cervicales il y a huit jours au CHU de Clermont, rentré chez lui avec une minerve le lendemain, Cudmore est coincé, depuis : « Entre mon lit et mon canapé ! » Pas sûr qu'il rejoue cette saison, puisqu'on lui promet plusieurs mois de convalescence. Et encore moins sûr qu'on le revoie sous le maillot de l'ASM, puisque le club n'a pas renouvelé son contrat et n'a pas très bien vécu cette sortie.
« Ce n'est pas bien malin ! fustige Franck Azéma. Ça ne se fait pas, ce n'est pas ma conception de la vie d'un groupe. J'ai eu une discussion avec lui ce matin (hier) et il s'est excusé... »
D'autres rendez-vous attendent dès aujourd'hui le rugueux avant : le directeur sportif, Jean-Marc Lhermet, puis le président Éric de Cromières, qui, dans les colonnes de la Montagne, a déjà recadré le joueur en des termes fleuris : « Ce n'est pas correct de sa part, c'est même très con. Jamie a dégoupillé comme il lui arrivait de le faire sur le terrain. (...) Peut-être est-ce pour camoufler ses petits problèmes personnels. »
Sous-entendu, ses soucis physiques qui pourraient, à trentesept ans, précipiter la fin de sa carrière sportive. « Pendant des années, il était incassable, et ces derniers mois, il y a eu ces commotions (en fin de saison dernière) et maintenant les cervicales..., essaie de comprendre Azéma. Il se pose des questions sur son avenir, est-ce qu'il va être joueur, entraîneur, businessman ? »
Cudmore doit-il s'attendre à des sanctions ? « Ce qui est sûr, c'est que tu ne peux pas laisser passer ce genre de tweets déplacés, précise Lhermet, et qui, de façon très vague, remettent en question des membres du staff. Ça mérite des éclaircissements et de notre discussion avec lui dépendra notre décision. » Si, sur les réseaux sociaux, cet appel limite révolutionnaire a reçu le soutien de supporters, qui l'adorent depuis son arrivée au club en 2005, il est assez énigmatique, comme le remarque Lhermet. « Je n'ai aucun problème personnel avec quiconque, réfute Cudmore. Et ce n'était pas du tout contre Franck (Azéma). »
. bien dit
