Petite devinette sous forme de stats. Qui a inscrit 18 essais en 33 sélections dont 8 sur les 7 dernières ? Un indice : il est le fils de son père, dont les qualités étaient ailleurs mais qui lui en a quand même transmis quelques-unes... Facile : Damian Penaud. Classe mondiale, vous avez dit classe mondiale ? En tout cas, on n'avait plus vu cela depuis Vincent Clerc en 2011 (67 sélections, 34 essais). « Il faudra juger sur la durée, estime Julien Candelon, ex-ailier international et expert pour beIN Sports. Ce qui est certain, c'est qu'il n'est pas facile à jouer. Ses adversaires ne doivent pas trop aimer l'affronter et ça, ce sont des bons signaux. Avec le pool d'analystes qui décryptent le rugby aujourd'hui, quand tu as un joueur comme lui dans un dispositif, à analyser c'est casse-pieds. »
On ne compte plus les atouts du serial marqueur, mais deux facteurs très concrets expliquent ses niveaux de performance actuels, et encore le week-end dernier face au Japon (23-42), avec un doublé à la clé : Il y a d'abord ses capacités physiques. Flashé à 35 km/h avec les Bleus, il est aujourd'hui à 25 ans l'un des trois-quarts aile les plus rapides de la planète.
« C'est un athlète magnifique (1,92 m, 94 kg), confirme Xavier Sadourny, l'entraîneur des trois-quarts à l'ASM. Le haut et le bas de son corps sont dissociés et il est très souple. Cela lui permet de changer de trajectoire sans jamais perdre de vitesse. » Des aptitudes athlétiques doublées d'un tempérament de battant, lui aussi hors de la norme de ses congénères, et pourtant pas toujours perceptibles : « Il y a quelques années j'avais réalisé un entretien croisé de lui avec Thomas Lombard et j'avais été scotché par son côté je-m'en-foutiste, reprend Candelon. Qu'il joue à la plaine des Jeux ou à Twickenham, c'est la même chose. La pression lui glisse sur la peau. »
Sadourny, qui l'a sous la main au quotidien, soulève le capot pour nous : « C'est quelqu'un qui aime jouer au sens propre, donc toucher des ballons. Il faut qu'il s'amuse et qu'il y ait de la compétition. Pour l'exciter, il n'y a que ça. Si tous ces facteurs sont réunis, il sera performant. Après Damian, il faut qu'il gagne, qu'il gagne. » Les petits jeux d'entraînement, un foot loisir ou les parties de squash avec son frère. « Il est dur avec lui-même et peut l'être avec ses partenaires. C'est ancré en lui, confirme le coach. Et quand tu as ça, que tu te remets en question tout le temps, que tu es à ce point exigeant, cela te tire vers le haut. »
Son sens de l'attaque
« Un peu comme les footballeurs qui se démarquent »
Xavier Sadourny, entraîneur des trois-quarts de Clermont
« Depuis quelque temps, il a affirmé son côté finisseur. Ce qui a changé, c'est qu'il est mieux servi aujourd'hui que par le passé, analyse l'ancien ailier Julien Candelon. Il se rend plus disponible aussi. Il sort plus de son couloir et dézone bien plus. Mais c'est lié aussi à la confiance collective des Bleus qui fait qu'il peut être plus électron libre. »
Sadourny, entraîneur clermontois, abonde avant d'ajouter : « On le disait, il a des moyens physiques exceptionnels et il a surtout la vision. Il est très bon dans les espaces et parvient à les lire avant même avant de toucher le ballon.Comme il est très intéressé par le jeu, il se propose beaucoup et partout. Et puis Il est capable de jouer dans la défense, de s'écarter sur une passe. C'est un peu comme les basketteurs ou les footballeurs qui se démarquent sans le ballon. Je n'ai pas envie de dire peu importe le poste. Quand il est deuxième centre, il touche plus de ballons mais, à l'aile, il dézone plus facilement. Et, comme il comprend le jeu parfaitement, à l'ASM on essaye de l'utiliser le plus possible dans nos lancements. »
Son jeu aérien
« Ça lui a pété la lèvre et une dent »
Xavier Sadourny
Haut perché (1, 92 m) et monté sur un train moteur à explosion, l'ailier est souvent utilisé sur les chandelles tapées dans son couloir pour monter très haut et tenter de rabattre le ballon vers son camp. Un exercice qui sied à son gabarit, donc, mais qui lui a coûté quelques points de vie, il y a peu de temps. « Honnêtement, c'était un domaine où il était très bon parce qu'il a une détente monstre et une lecture des trajectoires exceptionnelle », intervient Xavier Sadourny. Jusqu'à ce qu'un accident de milieu de semaine vienne le perturber, peut-être encore à l'heure actuelle : « C'était il y a deux ou trois ans, avec Rémy Grosso (ex-ailier de Clermont de 2017 à 2020). ils se sont rentrés dedans violemment lors d'un entraînement. Ça lui a pété la lèvre et une dent. Il a mis un peu de temps à reprendre confiance là-dessus et il n'est pas revenu au niveau où il était. C'est surtout une question de confiance, parce que ça l'a vraiment marqué. Il a été arrêté longtemps et c'était assez grave. »

Sa défense
« Il défend l'espace plus que l'homme »
Julien Candelon, ancien ailier international
Julien Candelon s'en amuse : « Au début je trouvais ça curieux, je me disais : qu'est-ce qu'il fait ? » Au premier coup d'oeil, Damian Penaud donne parfois l'impression d'être perdu défensivement, de ne pas savoir où se situer. Ce n'est qu'une impression. « En fait, il défend l'espace plus que l'homme, résume le consultant de beIN Sports. Sa défense, c'est du dissuasif et ça fonctionne. » En montant haut, il coupe la ligne de passe entre le porteur du ballon et l'ailier adverse quitte à laisser le couloir libre à son vis-à-vis. Cela oblige l'adversaire soit à renoncer à la solution extérieure, soit à tenter une passe lobée, donc risquée. « Comme il est grand et aérien, il se fait rarement lober. Ou alors l'attaquant doit faire une passe en cloche. Sur le temps de suspension du ballon, Penaud peut faire demi-tour et revenir. »
On l'a encore vu samedi contre le Japon en première période. Sa prise de risque est aussi régulièrement récompensée par des interceptions comme en novembre contre les All Blacks (40 -25) avec un essai au bout. « En attaque comme en défense, il a l'oeil, résume Sadourny. Il arrive à anticiper les choses, à monter, presque à se mettre en danger, mais comme il est rapide, il sait qu'il va récupérer derrière. »
Son jeu au pied
« Pas hérité de son père mais... »
Xavier Sadourny
« Alors ça, c'est quelque chose dont il n'a pas hérité de son père (Alain, ancien ouvreur des Bleus), plaisante Sadourny. Il est capable de taper dans un ballon, mais naturellement, sans le travailler. C'est sûrement un des axes de progression. » Pourtant, voilà un atout que Penaud utilise de plus en plus, avec des coups de pied à suivre dans la profondeur pour finir les coups ou mettre la pression sur le troisième rideau adverse. On l'a même vu tenter une reprise de volée lors du dernier Tournoi, signe de sa confiance.
« Avec le gabarit qu'il a, le défenseur s'attend au défi physique ou à être débordé, complète Candelon. Et là, il apporte une arme supplémentaire avec le jeu au pied. Ça me rappelle (le Fidjien) Rupeni Caucaunibuca à son top niveau. On s'attendait tellement à un duel ballon en main qu'on avait tendance à s'ancrer dans le sol pour subir le contact et là, hop, il avait aussi dans sa palette le jeu au pied par-dessus. Damian l'utilise de plus en plus, globalement à bon escient même s'il y a parfois du déchet. Mais il n'y a que celui qui ne tente rien qui n'a pas de déchet... »