« Je déteste perdre ! » Penaud est direct, percutant comme sur le terrain. « J'ai toujours été habité par ça, la compète, la gagne », reconnaît l'ailier de l'équipe de France (26 ans, 34 sélections), qui sera titulaire pour affronter l'Australie samedi (21 h au Stade de France). Depuis gamin, cette soif de la victoire ne l'a jamais quitté. « C'est inné, estime-t-il d'une voix posée, bien calé dans le canapé de sa maison clermontoise. Mon père l'était. J'ai hérité ça de lui. »
Son père Alain Penaud, ouvreur de renom, international à 32 reprises, a gagné le Brennus avec Toulouse (2001) et la Coupe d'Europe avec Brive (1997). « Quand j'allais le voir au stade, je l'observais, poursuit le fiston. Je me suis imprégné de ses attitudes. J'ai le souvenir d'une demi-finale perdue face au Stade Toulousain (9-12 en 2006 alors qu'il joue au Stade Français). À la fin du match, j'ai pleuré dans ses bras. C'est forcément marquant. Inconsciemment, ça a joué. »
Damian Penaud a longtemps versé des larmes les jours de défaites. « Aujourd'hui, je ne pleure plus, même si ça m'est arrivé dernièrement, admet-il pudiquement, sans se souvenir précisément du match en question. J'essaie de ne pas trop le montrer. »
« J'ai besoin d'extérioriser. Je gueule un coup, je fais un geste d'humeur ou je tire la tronche. Quand je perds, je ne suis vraiment pas bien »
Damian Penaud
En revanche, son agacement est plus visible. « J'ai besoin d'extérioriser, souffle le Clermontois. Je gueule un coup, je fais un geste d'humeur ou je tire la tronche. Quand je perds, je ne suis vraiment pas bien, surtout lors des matches importants. Tu fais des sacrifices toute l'année pour soulever le Brennus ou la Coupe d'Europe. Alors quand ça s'arrête d'un coup, la déception est immense. »
La gestion de la frustration se corse quand il se retrouve face à lui-même. Les parties de jeux vidéo en réseau, le ping-pong familial avec son frère cadet Adam (22 ans) et son père Alain (53 ans), ou encore les parcours de golf entre coéquipiers peuvent vite l'agacer. « Je suis très mauvais perdant, se marre l'intéressé. Le rugby est un sport collectif, mais le reste, c'est individuel, je ne peux m'en prendre qu'à moi », décrypte-t-il. « Il peut vite devenir insupportable, raille Adam. Il est compétiteur et s'énerve très vite dès qu'il joue mal et encore plus dès qu'il perd. Petits, on se chamaillait. » « C'était la guerre ! », se remémore l'aîné.
Aujourd'hui, ça chambre à tout va. Les manettes, les raquettes, les clubs valsent ! Des coups de sang que le Tricolore a du mal à s'expliquer. Il n'arrive pas à se raisonner. « Le pire, c'est quand je joue face à mon père. S'il me bat au ping-pong, je casse tout. Quatre ou cinq raquettes y sont passées, précise-t-il en montrant la table de ping-pong sur sa terrasse. Même si j'ai gagné les cinq premières parties, si je perds la sixième, j'arrête ! » Son père Alain le connaît par coeur et tente souvent de le canaliser. Mais tout ça reste bon enfant.
Damian Penaud, qui s'en veut surtout à lui-même, accepte volontiers les taquineries. « J'ai un souvenir avec Thomas Ramos en équipe de France. On se lance un défi du premier qui gagne cinq parties au ping-pong, raconte l'international tout sourire. Thomas me mettait des pièces car il menait au score. Ça me rendait fou, mais jamais au point de m'exclure d'un groupe ou de me fâcher avec quelqu'un. »
Une question nous taraude : a-t-il la sensation qu'on l'a déjà laissé gagner pour éviter un coup de chaud ? « Je ne sais pas... Peut-être mon père, interroge-t-il. D'une partie à l'autre, il lui arrive d'être vraiment nul ! » On gardera pour nous la réponse du papa...
Si la soif de succès de Damian Penaud est sans doute exacerbée, l'ailier dispose néanmoins d'une qualité forte : il n'est pas rancunier. Il digère vite et passe rapidement à autre chose.
« J'ai commencé à lui apprendre lors de la précédente tournée d'automne. Mais il est rapidement devenu meilleur que moi. En revanche, au ping-pong, je suis toujours son maître. Il n'a pas de mental ! »
Thomas Ramos, son coéquipier en équipe de France
Ultra-compétiteur, hyperactif, vivant, au fil de la discussion, on découvre également un Damian Penaud plus posé. Il a découvert récemment une nouvelle passion pour les échecs. « Même quand il perd, ça va, il ne gueule pas, il n'a jamais balancé l'échiquier, se marre son frère. Souvent, il se pose et joue une ou deux parties sur son téléphone, à la cool. » « Il s'y intéresse depuis environ un an », glisse Morgane qui partage sa vie depuis presque trois ans. Une passion initiée par Thomas Ramos. « J'ai commencé à lui apprendre lors de la précédente tournée d'automne, confirme l'arrière du Stade Toulousain. Mais il est rapidement devenu meilleur que moi. En revanche, au ping-pong, je suis toujours son maître. Il n'a pas de mental ! »
Les parties endiablées ont d'ailleurs repris depuis quinze jours dans les coulisses de Marcoussis. « Les échecs, Damian a accroché tout de suite, poursuit la jeune femme de 25 ans. Il est très cartésien. Il a un baccalauréat scientifique et physique. Il adore les calculs, la réflexion. C'est tout ce qu'il retrouve avec les échecs. En plus du côté stratégique qui lui plaît aussi. »
Un magnifique plateau d'échecs orne la table basse de son salon. Mais il y joue surtout sur son smartphone, sur une application, où il peut se frotter à différents niveaux de difficulté. « Il adore aussi affronter son père, son frère ou Miguel (Fernandez), son conseiller, sourit Morgane. Pour s'améliorer et performer, il passe enfin beaucoup de temps à regarder d'autres joueurs qui filment leurs parties pour décrypter leurs stratégies. Tous les jours, il a besoin de son moment échecs. » Y compris dans les vestiaires avant un match de Top 14. « Parfois, c'est cinq minutes, histoire de m'occuper, d'avoir la sensation d'être actif », précise l'intéressé.
Mais il est loin d'être dépendant au jeu, comme son image de « gamer », erronée, pourrait le laisser croire. « J'ai mes périodes, poursuit-il. Quand je suis en vacances, je décroche, je n'emmène jamais mon ordinateur. Certains jours, je ne joue pas. À l'inverse, parfois, j'aime bien me retrouver seul. Là, oui, je peux jouer dix heures non-stop ! »
Sans bouger ! Alors qu'il a du mal à rester assis quinze minutes pour regarder une série ou un film. Il s'est aménagé une petite pièce à lui, à l'étage de la maison qu'il partage avec Morgane, chirurgien-dentiste, qui se spécialise pour devenir orthodontiste. Un bureau, à la décoration très rugby, où se mélangent maillot des All Blacks, du pays de Galles, trophée de meilleur joueur de Coupe d'Europe, une de L'Équipe. « Si Mo (Morgane) n'est pas là, je vais m'enfermer dans ma pièce, je joue en ligne avec des potes, on discute de tout et de rien, détaille-t-il. Je pense à autre chose qu'au rugby, je me vide la tête. » Il déconnecte. « Même en vacances, c'est quasi impossible, je ne peux pas rester allongé sur un transat, révèle-t-il. Le lâcher-prise total, c'est très difficile. »
« Il a raté la cuisson du rôti de veau. Ce n'était pas assez rosé. Comme d'hab, il est parti au quart de tour ! Il a dit que c'est la première fois que ça lui arrivait. Il était fou. Mais il redescend très vite aussi »
Étienne Fourcade, son coéquipier à l'ASM
Damian Penaud cache une dernière échappatoire insoupçonnée. Sans trahir de secret, c'est son père Alain qui nous a mis sur la piste : « Il aime bien cuisiner. » Le fiston précise d'emblée : « Je ne sors pas le livre de recettes ! Je ne suis pas en mode Top Chef ! J'aime bien préparer un poisson ou une viande afin de partager un bon repas en famille ou entre amis. Je vais au marché, je passe à la poissonnerie ou à la boucherie, puis je prépare tout ça au four ou dans une belle cocotte. Il y a quelques semaines, j'étais friand d'un bon bar. En ce moment, je préfère les rôtis. Mais je suis surtout content de faire plaisir à mes invités et de manger de la bonne nourriture. »
Pourtant, même en cuisine, le naturel revient au galop. Le talonneur Étienne Fourcade, son coéquipier à l'ASM, qui était convié récemment à un dîner chez les Penaud en compagnie des deux troisième-ligne Thibaud Lanen et Alexandre Fischer, raconte : « Il a raté la cuisson du rôti de veau. Ce n'était pas assez rosé. Comme d'hab, il est parti au quart de tour ! Il a dit que c'est la première fois que ça lui arrivait. Il était fou. Mais il redescend très vite aussi. » « Ça m'a rendu dingue, j'étais dégoûté, mais nous avons quand même passé une bonne soirée », souffle le Tricolore, qui a remis le couvert lors de notre visite mi-octobre.
En revanche, s'il avoue un goût prononcé pour les petites touches sucrées, Damian Penaud ne s'aventure jamais côté pâtisserie. « Trop long, trop compliqué, trop chiant, lâche-t-il dans son style caractéristique. Et comme je ne suis pas patient... » Oui, on s'en est vite aperçu. Après moins d'une demi-heure, dans son esprit, la séance photos commençait déjà à s'éterniser. Avec l'international, il faut que ça aille vite, que ça percute. Une dernière question : « Le sommeil, ça se passe comment ? » « Je mets un peu de temps à m'endormir, mais ensuite, je dors paisiblement. »
