Une petite autre...
FFR : des sponsors méfiants depuis l'arrivée d'Altrad sur le maillot des Bleus
L'arrivée d'Altrad comme sponsor maillot reste en travers de la gorge des autres partenaires de la Fédération française de rugby : GMF, Société Générale, Orange et BMW. Au vu des enjeux financiers, ils ne comptent pas se laisser faire.
Vendredi, c'est le 23 mars. Qui va bien pouvoir venir cette fois-ci ? Le 23 janvier, le parquet national financier et la brigade de répression de la délinquance économique perquisitionnaient, façon poulpe, à Marcoussis, ainsi qu'aux domiciles parisien de Bernard Laporte, président de la FFR, et héraultais de l'homme d'affaires Mohed Altrad. Puis, le 23 février, comme nous le révélions vendredi dernier, quatre huissiers de justice déboulaient au Vélodrome, à une heure et demie de France-Italie. Claude Atcher, conseiller officieux de Bernard Laporte et directeur de la candidature pour l'organisation de la Coupe du monde 2023, avait échappé à la première intrusion, pas à la seconde. C'est lui et le trésorier Alexandre Martinez qui ont «réceptionné» les auxiliaires de justice. D'après des témoins, leur malaise était palpable.
C'est que, dans ce genre de grosse opération de constat, les huissiers sont escortés de policiers. «Ça ne m'a pas choqué, assure Martinez au sujet de la procédure. Ça fait partie de la vie du partenariat. J'ai été cadre d'une grande entreprise (Orange), ce sont des choses qui arrivent. Il ne faut pas y voir d'arrière-pensées. Nous étions dans le cadre d'une délocalisation et, vu qu'on changeait de stade, la GMF a sans doute voulu s'assurer que le dispositif était bien conforme. Je suis certain que les clauses ont été parfaitement respectées.»
C'est souhaitable. On peut simplement signaler qu'à Aix, où les Bleus se sont préparés dix jours, les sponsors FFR ont brillé par leur absence au stade Maurice-David. Tant mieux pour ceux du club de Provence-Rugby, la CEPAC (Caisse d'Épargne) en tête. Et puis, si c'est tellement banal, pourquoi la GMF n'avait jamais éprouvé le besoin d'envoyer des huissiers avant ? En trente-trois ans de partenariat, elle n'en était pas à sa première délocalisation. Plus intrigant, la requête – que nous nous sommes procurée – atteste que les huissiers devaient aussi récolter des éléments sur la présence (visuelle, sonore...) de la marque Altrad. La confiance règne, n'est-ce pas ?
«Ce n'est pas un contrôle de routine, explique un huissier parisien spécialiste du droit des affaires. Pour obtenir l'autorisation d'une juridiction (le TGI de Marseille en l'occurrence), il faut apporter un dossier très solide. C'est très strictement encadré par les juges. Il y a deux scénarios : soit la GMF veut simplement vérifier que ses droits sont bien respectés, les messages sur les écrans, la taille du logo, etc. Soit elle a déjà des doutes, ou davantage que des doutes, et constitue un dossier pour un contentieux avéré qui peut se régler à l'amiable ou devant un tribunal.»
L'arrivée d'un sponsor maillot modifie mécaniquement l'équilibre des forces. Le « Big Four » d'avant (GMF, Société générale, Orange et BMW) et hors équipementier perd en visibilité ce que prend le « Special One » (Altrad). Tous attendent des compensations. Certains vont jusqu'à se sentir lésés. Pour l'instant, ils attendent un retour de la FFR. «Ça fait un an qu'on attend», dit l'un d'eux. La Société générale serait intéressée par le naming du maillot de l'équipe de France à 7 et celui des féminines. Problème : Atcher avait assuré qu'il avait vendu celui du 7 à Cap Gemini pour 3,2 millions d'euros (le tarif de base pour devenir partenaire majeur à la FFR). Il était si sûr de lui que cette rentrée financière avait été intégrée au budget. Or, si Cap Gemini a bien investi dans le rugby à 7, c'est en soutenant le circuit mondial et World Rugby. Le maillot des Bleus, lui, reste désespérément vierge.
Cette manne financière, pourtant budgettée, n'arrivera pas, pas plus que celle des droits télé du match contre les All Black bis à Lyon, en novembre. L'affiche avait été à la fois survendue et calée à un horaire mal pensé, 19 heures, qui a fait déguerpir France 2, la chaîne – ô surprise – ne souhaitant pas différer son JT de 20 heures à 21 heures. Un autre manque à gagner, 2 millions d'euros qui figurent aussi dans le budget, mais ne rentreront pas plus dans les caisses.
Si Orange compte aussi sur des compensations – «on discute de façon constructive, il n'y a aucune amertume», dit Stéphane Tardivel, directeur partenariats de l'opérateur télécoms –, BMW voudrait diminuer sa contribution. Après s'être félicitée d'avoir capté Altrad et ses millions (7 M€ annuels pour l'affichage maillot sur la période 2018-2023), la FFR pourrait donc perdre de l'argent des autres contributeurs.
Le constructeur allemand n'a pas souri en lisant dans L'Équipe, le 11 janvier, qu'une de ses voitures de la flotte fédérale se promenait à Toulon, à disposition de Julien Ory, un associé de Laporte dans le privé. Aujourd'hui, Ory n'a plus sa «béhème», selon le principe du «pas vu pas pris» qui a permis à Laporte d'avoir un contrat personnel d'image avec Altrad (150 000 euros) jusqu'à ce que ça fuite dans la presse. Concernant ce prêt indu, Christian Dullin, le secrétaire général de la Fédération, avait promis que Laporte allait «prendre le soin de répondre prochainement». Deux mois ont passé, toujours rien.
Les quatre partenaires avaient pourtant averti Bernard Laporte et Serge Simon, son vice-président, le 10 avril 2017, en cosignant une lettre dont nous reproduisons un extrait (ci-contre). Il y était question d'une image dégradée – les perquisitions ou la communication autour du licenciement de Novès ne l'ont pas arrangée – et d'une inquiétude quant à l'arrivée d'Altrad «sans réelle consultation». Le contrat de confiance est amoché. Le constat de défiance, lui, se trouve dans les mains des avocats de la GMF.
Dans sa requête, l'assureur regrettait que ses cosignataires et lui aient appris que les négociations pour le maillot étaient très avancées avec Altrad en lisant L'Équipe du 1er mars 2017. Le lendemain, Simon démentait... avant d'officialiser le deal cinq jours plus tard (#desintox). En le découvrant, les membres du Big Four ont dû frôler l'apoplexie. La FFR cédait le maillot à 1,5 M€ pour neuf matches alors qu'elle leur avait proposé un système de «tournante» où chacun s'afficherait sur le torse des Bleus à tour de rôle, au tarif d'un million le match. Un prix d'ami, quoi.
Après l'épisode des huissiers, la FFR a senti qu'il fallait passer de la pommade à la GMF. D'autant plus que la Fédération sait bien qu'elle ne trouvera personne sur le marché pour assurer les licenciés à des conditions aussi avantageuses. C'est sans doute pour ça que, dès le match suivant au Stade de France, contre l'Angleterre (le 10 mars), on a vu apparaître le nom GMF sur la moitié de la panneautique autour du terrain, appelée «main courante», alors que cette disposition ne figure pas dans le contrat. Cadeau de la maison.