Présidence de la FFR : qui est Florian Grill, l'opposant de Bernard Laporte ?
Le 24 juin, le président de la Ligue Île-de-France Florian Grill lancera officiellement, avec Serge Blanco et Jean-Claude Skrela, la campagne face à Bernard Laporte pour la présidence de la FFR. Portrait d'un ancien deuxième-ligne qui monte en première.
par Richard Escot dans l'Equipe
À l'heure où, sur les réseaux sociaux, des milliers de récurrences proposent le panégyrique de la moindre starlette de télé réalité, googleliser Florian Grill (53 ans) est inutile. Il n'existe aucune notice biographique de cet homme de média, fondateur et dirigeant depuis 1992 de sociétés de communication. «Il n'y a pas vocation à personnaliser, dit-il. Je suis pour le travail d'équipe. Cela vient sans doute de mes racines protestantes : on a une urgence à faire davantage qu'à dire.» Des racines durement secouées lors du rite de passage qu'il vécut à treize ans. «En troisième, j'avais un an d'avance mais je travaillais peu. Mes parents m'ont envoyé en Allemagne pendant quatre mois dans un collège très catholique, avec trois messes par semaine en latin et en allemand. Personne ne parlait français, c'était la chiourme en guise d'ambiance», raconte-t-il. Son jeune frère Christophe constatera : «Il en est revenu changé.» Florian Grill avait trouvé son chemin de Damas.
Lors des prochaines élections fédérales prévues à Marcoussis à la fin de l'année 2020, il sera, aux côtés de figures comme Serge Blanco et Jean-Claude Skrela, le nouveau visage d'une liste d'opposition à Bernard Laporte. «Mais personne ne le connaît si ce n'est sa mère donc on s'en fout», lâchait l'actuel président de la FFR, lors d'une interview accordée au Bien Public début juin.
Sur la liste de Camou en 2016
Sûr qu'en face de l'ancien demi de mêlée de Gaillac et de Bègles et ex-entraîneur à succès du Stade Français et des Bleus, le président de la Ligue Île-de-France présente un modeste CV : une finale perdue en juniors Reichel avec le PUC et quelques matches avec l'équipe d'HEC. Pis, Florian Grill n'aurait jamais dû jouer au rugby : issue d'une famille «bourgeoise privilégiée» selon ses propres termes, élevé dans le VIIe arrondissement, ce frêle échalas toucha à l'escrime, au basket et au judo avant d'être inscrit au PUC par son père, féru d'ovale. «Ce qui m'a marqué, dit l'intéressé, c'est que je me suis trouvé tout de suite des copains, comme une deuxième famille. Et puis tous les à-côtés, les déplacements en car, les fêtes...»
Pour autant, il jouait en réserve, dans toute l'acception du terme. «Il n'a pas souvent montré son cul, sourit son ancien coéquipier de la deuxième-ligne et ami, le Catalan Eric Morell. On ne l'a pas vu, non plus, se mettre minable en petit collant rose. Disons qu'il était sobre dans les festivités.»
Effectivement, pas facile de mener de front études et rugby. «Dans le bus, il était toujours assis devant, en train de bûcher ses cours», se souvient Morell. Nous sommes en 1986 : Florian Grill réussit le concours d'entrée à HEC. Deux ans plus tard, après quelques matches en équipe première, il raccroche le maillot du PUC. Mais pas les crampons et continue, universitaire, à pousser en mêlée dans la cage. Quelques années passent, le temps de créer deux entreprises, de les installer à Paris, Lyon et Tours, d'habiter le XIXe arrondissement et de fonder une famille. En 2000, son fils, six ans, lui demande de jouer au rugby. «J'avais besoin d'activité physique et des copains m'ont proposé de rejoindre l'ACBB, histoire de faire de l'aviron.»
La suite raconte une série d'engagements qui l'amènera jusqu'à Marcoussis.«J'ai accompagné mon fils à son premier entraînement et là, pas d'éducateur... On m'a demandé de filer un coup de main et je me suis retrouvé auprès des poussins de l'ACBB.» Pendant quinze ans, Florian Grill cochera toutes les cases, d'éducateur jusqu'à la présidence, pan de vie ovale marqué par un combat - conserver un stade de rugby à Boulogne-Billancourt - et une ascension, de Fédérale 3 à Fédérale 1. «Ces moteurs nous ont donné un supplément d'âme», note Grill.
«Le déficit de notoriété, ce n'est pas important si tu sais travailler en équipe» - Florian Grill
Ainsi, placé à son corps défendant sous les projecteurs, il attire l'oeil du président de la FFR de l'époque, Pierre Camou, qui l'invite à rejoindre le comité d'Île-de-France. «J'ai été accueilli par Jean-Louis Boujon (l'ancien président), qui m'a bombardé vice-président.» En charge du conseil des présidents de clubs de la région parisienne, il sera aussi l'initiateur du rugby à 5 (à toucher). Les idées qu'il récolte, Grill les met alors à disposition de Pierre Camou, qui lui demande illico de contribuer à sa campagne électorale de 2016 face à Bernard Laporte et à Alain Doucet. Le voici numéro 4 sur la liste. «Il aurait été nommé secrétaire général de la FFR si Camou avait été réélu», signale un édile fédéral. Mais Bernard Laporte est plébiscité par les clubs. «J'ai été respectueux des urnes, dit Grill. J'avais même effectué une étude sur la géolocalisation des licenciés, que j'ai transmise aux nouveaux dirigeants fédéraux. Mais considérant la posture clanique de Laporte et ses multiples dérapages, je me suis décidé à faire quelque chose...»
En novembre 2018, quand le rugby français est secoué par une série de décès accidentels sur les terrains, Grill synthétise une trentaine de propositions concernant la santé des joueurs, qu'il envoie à la FFR. À Lourdes, lors du comité directeur, et alors que Laporte a squeezé cette réunion pour enregistrer son intervention télé chez Cyril Hanouna, Grill monte au créneau. «Cette inversion des valeurs, c'était carton rouge ! Ce fut un déclencheur !» Le voici en première ligne. Ce qu'il ne souhaite pas obligatoirement.
«Il faudra faire de la politique, pas sûr que ce soit son meilleur profil. Ça et un déficit de notoriété...», note un connaisseur du dossier. Réponse de l'intéressé ? «Gagner les élections fédérales, c'est une chose mais il faut gérer. Le déficit de notoriété, ce n'est pas important si tu sais travailler en équipe et identifier les bonnes personnes, cerner leurs talents. Je ne vais pas apprendre le rugby à Laporte mais je crois à l'importance du management des hommes.» À sa façon. Pas d'assistante ni de secrétaire ; son bureau est en open space ; il apprécie le télétravail et reconnaît une forme d'impatience. «Je peux être saoulant, avoue-t-il. J'aime que ça aille vite.» Tendance confirmée par un proche : «Cette ténacité met tout le monde en pression. Il ne donne pas du temps au temps.» Mais il en prend pour lire Malraux, Kessel ou la poésie de La Fontaine. «Il a osé dire des choses à une époque où c'était compliqué, remarque Florian Grill. Il critique les dérives de l'être humain, mais avec une formidable envie de transformer.»Comme une mise en abyme de sa propre démarche ovale.
La tête de liste connue mardi
Mardi, ils étaient douze à Paris pour une réunion dont le but était de dégager le nom de la tête de la liste d'opposition à Bernard Laporte pour l'élection fédérale de fin 2020. Mais l'absence de consensus a repoussé cette annonce à mardi 25 juin, après une ultime réunion la veille au soir. «Ils» sont aujourd'hui une quinzaine. Mais ça n'a pas toujours été le cas.
En janvier 2019, une première réunion regroupa Florian Grill, Fabien Pelous et Serge Blanco - à savoir les anciens de la liste Camou -, aux côtés de Jean-Claude Skrela, Charles Mascetti (président du club de Marcoussis) et Joël Terrier, élu de la Ligue Grand Est. Marc Lièvremont, Jean-Marc Lhermet, Olivier Magne et Éric Champ se joignirent à cette petite bande des six, qui monta vite à quinze avec d'autres soutiens.
Si Magne s'est éloigné par la suite, c'est surtout le départ de Lièvremont, pour incompatibilité d'humeur avec Blanco, qui a affecté plusieurs membres du groupe. Au sein des quinze, une majorité serait aujourd'hui favorable à Grill, mais Blanco et Skrela ne souhaitent pas disparaître dans le ventre mou de la liste. Une tribune collective devrait être publiée lundi avant le congrès de la FFR à Nantes (27 et 28 juin), qui s'annonce animé.