
Empêtré dans une affaire de favoritisme présumé pour le club de Mohed Altrad, Bernard Laporte, le président de la FFR, doit fournir des documents pour prouver sa bonne foi au ministère des Sports.
FrédéricLancelot/LÉquipeOù va finir ce qui commence à devenir l'affaire Laporte-Altrad ? Le trouble et les soupçons créés il y a deux semaines par les révélations du JDD se sont accentués la semaine passée avec la démission d'un membre de la commission d'appel de la FFR(voir la chronologie). Étonné, choqué, le milieu se tait pour l'instant. Ou parle en «off ». Hier, un président du Top 14 nous disait :« Il arrive un moment où on ne peut pas trouver tout normal, tout justifier et tenter d'expliquer l'inexplicable. Il y a des choses qui ne se font pas. » On attend pour le début de la semaine un communiqué de la Ligue nationale de rugby, dont le bureau directeur doit se réunir. Le club d'Agen, qui n'aurait pas dû jouer à Montpellier samedi dernier, a convoqué un conseil d'administration jeudi, notamment pour discuter des suites à donner à cette affaire. Pour l'instant, Bernard Laporte garde le silence et prépare sa riposte : ses explications sont attendues cette semaine.
QUELS RISQUES POUR LAPORTE ?Hier, le Journal du Dimanche publiait un extrait du contrat signé le 19 février entre la société Altrad Investment Authority et BL Communication, gérée par Bernard Laporte. Pour quatre interventions, le président de la FFR aurait empoché 150 000 euros. Intitulée « Article 6. Garanties », une annexe au contrat oblige Laporte à « s'interdire toute déclaration ou tout comportement en public susceptible de nuire à la réputation d'Altrad […], ses produits, ses salariés ». Il s'engage aussi à « ne commettre aucune infraction ou action susceptible d'avoir un effet néfaste à son image ».
Au regard de la loi Éthique et Sport du 1er mars 2017, le ministère des Sports aura sans doute des questions légitimes à poser quant à l'existence d'un tel contrat entre le président de la FFR, qui régit le Championnat et désigne les arbitres, et un président de club. Ce serait d'autant plus légitime que des soupçons de pression sur sa commission d'appel fédérale, en faveur de Montpellier, club de Mohed Altrad, pèsent aujourd'hui sur Laporte.
Selon nos informations, le contact a été établi entre Chantal de Singly, la directrice de cabinet de Laura Flessel, et le président de la FFR. La ministre voulait des explications, Laporte (qui rentre d'une tournée de promotion de la candidature de la France à la Coupe du monde 2023) compte lui en fournir. Après l'avoir assurée de sa bonne foi et du fait qu'il n'avait pas cherché à influer sur la commission d'appel, il doit maintenant lui adresser un certain nombre de documents allant en ce sens. Une fois ces éléments étudiés, la ministre décidera si cela mérite une convocation, une enquête de l'Inspection générale ou rien du tout. Pour aller plus loin, il faudrait qu'une plainte soit déposée par un licencié, un club qui se sentirait lésé ou pourquoi pas la Ligue, dont la décision de première instance a potentiellement été manipulée. « Si les faits sont avérés, explique un avocat membre de la commission d'appel fédérale, Bernard Laporte ne peut pas rester en poste. Sur le plan juridique, c'est évident. Mais après, il y a l'aspect politique… » Certains se demandent si le ministère ne serait pas tenté de jouer la montre devant l'imminence de la désignation du pays hôte pour la Coupe du monde, annoncée le 15 novembre. Mais dans cette période de moralisation qui touche jusqu'au sommet de l'État, cette affaire pourrait coûter cher à Laporte.
PEYRAMAURE PEUT-IL ÊTRE TÉLÉGUIDÉ PAR LA LIGUE ?C'est ce qu'ont insinué certains articles, notamment un qui reniflait « un règlement de comptes à plein nez » (Midi Olympique, 18 août). La thèse de la conspiration ourdie par la Ligue et son président Paul Goze prend sa source dans la dénomination du rôle de Peyramaure au sein de la commission d'appel fédérale. Il est, parmi les treize « juges », celui qui a été désigné pour quatre ans par la LNR. Les textes prévoient que la Ligue a le droit de désigner un membre, mais cela ne fait pas de Peyramaure son représentant, son porte-flingue ou son œil de Moscou, quelle que soit la fraîcheur des relations entre Goze et La porte.
D'après nos informations, il n'a jamais adressé la parole à Paul Goze de sa vie. Ce que l'actuel patron de la LNR nous a confirmé hier : « Je n'ai jamais eu aucun contact avec M. Peyramaure depuis sa nomination. Ni aucun depuis sa démission. » La carrière sans tache de cet avocat de soixante-quinze ans – il a dirigé un grand cabinet – et sa réputation de probité semblent en outre faire consensus. Nommé à la commission juridique de la FFR par Marcel Martin, Peyramaure n'appartient à aucun clan.
Ses collègues de la commission d'appel louent tous son indépendance, sa droiture. « Effectivement, si Peyramaure a démissionné pour ce motif, on n'a aucune raison de ne pas le croire », nous disait l'un d'eux. « Je ne vois pas Peyramaure raconter des salades », complétait un autre. Depuis le début de l'affaire, l'homme qui a dit non le 30 juin n'a pas cherché à démentir quoi que ce soit. Ni à faire la publicité de sa démission.
"Si les faits sont avérés, Bernard Laporte ne peut plus rester en poste. Sur le plan juridique c'est évident. Mais après il y a l'aspect politique... Un avocat membre de la commission d'appel fédérale LA COMMISSION VA-T-ELLE IMPLOSER ?Il faut s'y attendre. A priori, plusieurs membres comptent démissionner dans les prochains jours. « Et pas des moindres », ajoute un informateur. Comment cette instance, aujourd'hui affaiblie et discréditée, pourrait-elle se réunir comme prévu mercredi à Marcoussis ? Ce jour-là, trois membres, convoqués depuis longtemps, doivent statuer sur l'appel formulé par le Racing 92 après les sanctions de la LNR (15 semaines de suspension de banc pour Labit, 50 000 euros d'amende contre le club), à la suite du match du 22 avril contre Montpellier, aujourd'hui au cœur de tous les soupçons. Cette perspective paraît insensée. Dominique Petat fait partie des trois membres consignés. Mais il s'imagine mal faire comme si de rien n'était. Philippe Peyramaure était également convoqué mais il a démissionné jeudi. Jean-Daniel Simonet devait présider les débats mais comment le pourrait-il maintenant qu'il est soupçonné d'avoir modifié une décision à la demande de Laporte ?
Parmi le collège de treize, il en est un, Olivier de Chazeaux, qui tire la sonnette d'alarme : « C'est très grave ce qui se dit. C'est pourquoi je demande à ce que la séance de mercredi soit reportée. M. Simonet ne peut plus présider en l'état actuel des choses. Il est extrêmement urgent que cette commission se réunisse en formation plénière, en présence du membre démissionnaire. Pour qu'on sache ce qui s'est passé. Le silence de Simonet et Malterre (qui siégeait le 29 juin) est hallucinant. Ce silence ne plaide pas en leur faveur, ça démontre la gêne. La faute la plus importante serait celle de Simonet qui aurait accepté le pacte de corruption. Il y a toujours des corrupteurs mais la corruption n'existe que si le corrompu accepte. Je comprendrais qu'il démissionne. Question de pudeur et d'honneur. » Tenu par son devoir de réserve, « mais peut-être que ça ne va pas durer longtemps », Robert Malterre nous a juste affirmé qu'il « était très à l'aise ». '