Après la secousse autour du Comité d'organisation de la Coupe du monde de rugby 2023, l'inspection du travail lance son enquête Deux jours après les révélations de L'Équipe, l'inspection du travail a commencé vendredi son contrôle au GIP en charge de la Coupe du monde 2023, où la médecine du travail devrait réapparaître.
Le 22 juin, les événements se sont bousculés pour la direction du GIP (groupement d'intérêt public) France 2023. Le matin, L'Équipe publiait sur trois pages le récit alarmant, porté par une quinzaine de témoins, du climat social toxique dans l'open space du 24, de la rue Saint-Victor. Le soir, le ministère des Sports saisissait l'inspection du travail ainsi que le comité d'éthique du GIP.
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Entre les deux, la direction du GIP renouait enfin avec un organisme de médecine du travail. C'est du moins ce qu'elle a annoncé lors du CSE extraordinaire du 23 juin. « La direction générale précise que le GIP a été adhérent de Thalie Santé dans le cadre d'un premier contrat ayant couru entre juin 2018 et décembre 2021. Que le temps d'organiser une consultation conforme aux obligations du GIP en droit de la commande publique, la continuité du service de Thalie Santé a été assurée jusqu'en mai 2022. Aucun organisme de médecine du travail n'ayant déposé d'offre dans le cadre des deux consultations successives organisées par le GIP entre le 7 mars et le 31 mai 2022, la direction générale du GIP a dû engager une négociation de gré à gré avec certains de ces organismes qui a abouti à la conclusion d'un contrat avec Thalie Santé qui a pris effet le 22 juin 2022. »
Il a été demandé si le DG - Claude Atcher, dont le management a été fortement mis en cause dans notre enquête - envisageait de se mettre en retrait le temps des contrôles. Réponse : non.
Les éléments que nous avons pu recueillir démontrent que la « continuité de service avec Thalie Santé » n'a nullement existé. Des salariés en arrêt de travail, ayant justement contacté ce prestataire, au mois d'avril par exemple, ont reçu par mail la réponse suivante : « J'accuse bonne réception de votre demande. Cependant, je ne peux y répondre favorablement. En effet, notre centre n'assure plus le suivi des salariés de France 2023. Vous devez vous rapprocher de votre direction. »
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De quelle continuité s'agit-il ? D'autant qu'au même moment la responsable des ressources humaines, Sophie Coste, renvoyait les salariés vers un autre organisme, Efficience Santé, en précisant qu'une affiliation était en cours. Or ce prestataire a répondu aux salariés que la société France 2023 ne figurait pas parmi ses adhérents. La direction du GIP cherche toujours à masquer une réalité : dans une société en forte souffrance, où certains salariés craignent qu'elle empire (« Je suis persuadé que si ça continue, on aura un drame »), la disparition de la médecine du travail a perduré pendant six mois. Rien à voir avec « le délai de carence de quelques jours entre ancien et nouveau prestataire » dont nous parlait la direction du GIP quand nous l'avons interrogée avant la publication de nos articles. Il serait aussi intéressant de savoir pourquoi la passation de ce marché public (pour un contrat avec un prestataire santé) a finalement été déclarée infructueuse par la direction du GIP.
Au cours du CSE extraordinaire du 23 juin, les représentants du personnel « ont alerté sur les interrogations et les inquiétudes qu'ont engendrées les articles de "L'Équipe", est-il indiqué dans le compte rendu. Ils ont précisé qu'il ne fallait pas minimiser les articles parus et les conséquences sur le personnel ». Il a été décidé que les représentants du personnel désigneront prochainement une société externe chargée d'effectuer un audit du climat social tandis qu'une hotline sera bientôt opérationnelle afin que les salariés qui le souhaitent puissent dialoguer avec un psychologue. Pendant cette réunion, il a été demandé si le DG - Claude Atcher, dont le management a été fortement mis en cause dans notre enquête - envisageait de se mettre en retrait le temps des contrôles. Réponse : non.
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Selon nos informations, depuis nos révélations, l'agenda de M. Atcher va d'annulation en annulation. Le patron de la Coupe du monde 2023, qui aura lieu en France dans quatorze mois, s'est ainsi désisté d'une matinale sur France Inter, de la finale de Top 14 ainsi que d'une conférence de presse en compagnie du directeur de World Rugby Alan Gilpin, où sa présence avait été annoncée.
Le lendemain du CSE, le directeur général adjoint, Julien Collette, animait une réunion d'information avec les salariés, où l'on apprenait, entre autres, que des éléments de langage seraient bientôt fournis à tous les responsables du GIP. Encore fallait-il avoir été avisé de l'existence de ladite réunion. Ce qui n'a pas été le cas de salariés en arrêt maladie, qui ont constaté avec étonnement que leur ordinateur professionnel avait été verrouillé par la direction, les excluant de toute communication interne dans une période sensible pour tous les collaborateurs. En guise d'explication, Julien Collette a justifié cette coupure unilatérale comme la réponse « désormais automatique quand un arrêt de travail dépasse une semaine pour assurer au salarié son droit absolu à la déconnexion, la situation inverse exposant l'employeur à être sanctionné ». Clairement codifié, le droit à la déconnexion repose sur certaines plages horaires ou jours de repos, pas sur le fait de priver un salarié de ses accès à sa boîte pro tant qu'il fait partie des effectifs. Puisque le directeur général adjoint emploie le mot « désormais », est-ce à dire qu'il reconnaît que la direction du GIP, qui ne procédait pas de la sorte auparavant, s'exposait à des sanctions ?
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Depuis vendredi dernier, l'Inspection du travail, saisie un jour et demi plus tôt par le ministère des Sports, est à pied d'oeuvre dans les bureaux du GIP. « Logiquement, le siège étant situé à la Maison de la mutualité, c'est l'inspecteur du Ve arrondissement de Paris qui doit être chargé du contrôle, explique Gérard Filoche, retraité de l'inspection du travail. Il y a une compétence géographique. Le contrôleur peut à peu près tout faire. Il est en droit de demander tout document qu'il estime utile. Il peut avoir accès au registre du personnel, au relevé des horaires, à la liste des départs, des arrêts maladie, des licenciements, aux bulletins de paie... Naturellement, il peut auditionner tout le monde. Et garantit une absolue confidentialité à ses interlocuteurs. Dans la situation que vous décrivez, il semblerait pertinent d'entendre les salariés qui sont justement partis en raison des problèmes qui viennent d'être révélés. À l'issue de ses investigations, le contrôleur peut adresser des mises en demeure à l'employeur ou faire un signalement auprès du procureur de la République par l'article 40. »
Tous les indices d'une vraie mafia dans cet article. S'il en fallait davantage...