LE JOUR OÙ ON A SOUFFLÉ À LʼOREILLE DE LAPORTE
FRÉDÉRIC BERNÈS (AVEC D. I.)

« LʼÉquipe » révèle qu'à l'occasion d'une visite du président de la FFR à Montpellier en juin, il lui a été demandé dʼintervenir en faveur du MHR. Cet élément éclaire lʼaffaire d'un jour nouveau.
Stéphane Mantey/
LÉquipe
Dès son interview au Parisien, le 29 août, Bernard Laporte reconnaissait l'existence d'un coup de fil à Jean-Daniel Simonet, le président de la commission d'appel de la FFR. Pour l'influencer ? Pour parler de la pluie et du beau temps ? « J'ai appelé M. Simonet (vraisemblablement dans la matinée du 30 juin) pour porter à sa connaissance ces événements (tensions entre la Ligue et la Fédé, projet de fusion Racing-Stade Français) afin qu'il en tienne compte dans sa décision… » En remontant le fil de cette histoire, tout porte à croire que l'idée d'une ingérence de Laporte en faveur de Montpellier soit née… à Montpellier.
Selon nos informations, l'ancien secrétaire d'État, qui n'a pas répondu à nos multiples sollicitations, a été entrepris sur le sujet lors d'une visite rendue au club de Mohed Altrad, autour de la mi-juin, en présence de ce dernier. Cette information réoriente l'angle de lecture donné à la suite des événements. Surtout, elle resserre les liens entre, d'un côté, le contrat d'image à 150 000 € passé entre Altrad et Laporte (mis à la poubelle après sa révélation par le JDD) et, d'un autre, la possible pression du président de la FFR sur la commission d'appel. Mi-juin, on peut imaginer qu'Altrad et son entourage se sentent d'autant mieux fondés à demander un « service » à Laporte que le mécène montpelliérain donne beaucoup de son argent à la fédération (sponsoring maillot, formation…) Inversement, l'oreille de Laporte est sans doute d'autant plus attentive qu'il est en affaires personnelles avec Altrad.
L'hypothèse renforcée d'un conflit d'intérêts oblige à se poser cette question : en téléphonant à Simonet, Laporte cherche-t-il à favoriser un argentier du rugby français ou un employeur personnel ? Que ce soit l'un ou l'autre, cette alternative n'est pas acceptable. Mais que ce soit l'un ou l'autre, cela ne veut pas dire la même chose. Hier, Alain Carré, le président de l'UCPR (l'union des clubs pros), s'exprimant sur les relations entre la FFR et Altrad, que l'organisation avait longuement entendu la veille, a durci le ton : « On considère que notre charte de déontologie n'a pas été respectée sur plusieurs points. On va réfléchir à la suite à donner. »
Des membres de la Ligue auditionnés aujourd'hui par les inspecteurs
Pendant ce temps-là, l'enquête administrative lancée par Laura Flessel, la ministre des Sports, le 30 août, se poursuit. Depuis quatorze jours, Martine Gustin-Fall et Patrick Lavaure, les deux inspecteurs de l'IGJS, noircissent des feuilles et des feuilles. Le 7 septembre, ils ont auditionné Bernard Laporte. Le lendemain, Philippe Peyramaure, le premier démissionnaire de la commission. Ils ont prévu d'entendre les treize membres de cette assemblée, ceux qui sont restés comme ceux qui l'ont quittée. « J'ai été entendu, confiait hier Dominique Petat. Je reste convaincu que Jean-Daniel Simonet n'a rien à se reprocher. » Simonet devait être interrogé ces jours-ci. Robert Malterre, le troisième « juge » ayant officié sur cette affaire, le sera le 3 octobre. La déposition de la juriste de la FFR Camille Denuziller, quatrième témoin direct de la séance du 29 juin, a, elle aussi, été programmée. Il semble clair que les enquêteurs n'ont voulu négliger aucun témoignage.
Aujourd'hui, c'est au tour de plusieurs membres de la Ligue de venir déposer. Leurs témoignages doivent intéresser les inspecteurs car la Ligue a été destinataire, dès le 29 juin, de plusieurs messages attestant d'un maintien des sanctions contre Montpellier (voir infographie). Cette communication démontre bien qu'une décision a été arrêtée dès la fin d'après-midi du 29. Et que rien ne justifiait qu'on prolonge le délibéré jusqu'au 30 juin, comme le prône la défense de Laporte. D'ailleurs, le SMS envoyé en catastrophe par le service juridique de la fédération, le 30 vers midi, demandant ne pas diffuser l'information de la veille, témoigne d'un changement de programme brutal et inattendu. Entre-temps, Laporte a téléphoné à Simonet...
Martine Gustin-Fall et Patrick Lavaure semblent se poser les bonnes questions, mais se gardent bien de divulguer ce qu'ils ont déjà appris lors des entretiens précédents. Pour eux, la prolongation du délibéré au 30 juin est-elle crédible ? Elle ne peut pas l'être tant qu'aucun élément matériel n'est produit, démontrant qu'une réunion tripartite entre Simonet, Malterre et Peyramaure a bien eu lieu ce jour-là. Nous savons que Malterre était déjà retourné à Pau. Nous aimerions maintenant savoir si, oui ou non, une conférence téléphonique à trois a été organisée ? Et comment la juriste de la FFR, censée rédiger la notification de la décision, a rendu compte de ce nouveau délibéré ? On lui en aurait fait la dictée ?
Le Racing entendu le 28 septembre par la commission d'appel
Le 29 août, Laporte assurait dans un communiqué qu'il allait produire « devant tout témoin l'ensemble des documents contredisant le récit mensonger qui a été fait de la réunion de la commission d'appel du 30 juin ». Reste à savoir si les inspecteurs ont été approvisionnés. Pour sortir de l'impasse du « parole contre parole » – la version de Peyramaure confrontée à celle de Simonet, Malterre et Laporte –, l'IGJS manque d'une trace écrite établissant qu'une décision irrévocable a été prise le 29. Cette « minute » n'entre pas dans les usages de cette commission, telle qu'elle a toujours fonctionné. Les inspecteurs recommanderont peut-être qu'il en soit rédigé une, dorénavant. Pour démêler le faux du vrai, l'IGJS peut se baser sur un témoignage nouveau ou des faits concordants. Le va-et-vient des infos contradictoires entre le 29 et le 30 en est un. L'argument technico-juridique avancé par les défenseurs de Laporte pour justifier d'un délibéré sur deux jours en est un autre. Si l'on en croit cette version, ce délai supplémentaire – absolument pas habituel pour cette commission – serait motivé par « la vérification de certains points juridiques, dont l'automaticité de la révocation du sursis en cas de sanction pécuniaire. » En clair, l'Altrad Stadium de Montpellier était sous le coup d'un sursis datant du 18 février 2015. Il fallait donc vérifier si l'amende à laquelle était condamné le MHR entraînait la levée du sursis et la suspension de terrain pour un match. Nous avons vérifié. L'article 46 du « Règlement et barèmes disciplinaires » pour la saison 2016-2017 ne mentionne en aucune façon la non-levée d'un sursis en cas d'amende. Or, le 30 juin, Simonet et Malterre ont décidé du contraire. Bizarre. Cette vérification était d'ailleurs tellement importante qu'elle n'est évoquée nulle part dans les attendus de la décision finale, la baisse des sanctions du MHR étant simplement justifiée par son caractère disproportionné. Re-bizarre.
Pendant ce temps, comme dit monsieur Petat, « la machine continue ». Le 28 septembre, la commission d'appel entendra notamment le Racing et son coach Laurent Labit, condamnés à 50 000 € d'amende et 15 semaines de suspension de banc suite à un match contre... Montpellier. D'ici là, les démissionnaires auront été remplacés par de nouveaux membres validés par le Comité directeur, vendredi à Avignon. Jean-Daniel Simonet ne siégera pas le 28. Un autre président de séance sera désigné. La machine continue... sans lui. '