Top 14 : début de saison cauchemardesque pour le RC Toulon
Publié le
mardi 30 octobre 2018 à 00:09
| Mis à jour le
30/10/2018 à 00:22 par Aurelien Bouisset
Au tiers du Championnat, Toulon est avant-dernier du Top 14, loin de son standing. L'équipe est surtout frappée d'impuissance offensive malgré un effectif riche de joueurs internationaux.
Le vent et la pluie se sont levés hier matin dans le Var, et c'est comme si les éléments s'étaient mis au diapason du rugby du club phare de la région. Encore battu dimanche par La Rochelle (9-13), Toulon, treizième du Top 14, traverse une grosse tempête, comme il n'en avait plus connu depuis plus d'une décennie. À Mayol, les spectateurs ont commencé à quitter les gradins un peu avant la fin du match. Pas parce qu'ils voulaient déjà se mettre à l'abri ! Comme si le public savait que ses Rouge et Noir n'arriveraient jamais à marquer ce petit essai qui leur manquait pour repasser devant les Maritimes. Et pour cause : l'impuissance offensive des Varois fait d'eux la deuxième plus mauvaise attaque du Top 14, juste derrière Agen (15,5 points marqués par match en moyenne, contre 14,3 pour le SUA). Essais (14 en 8 matches dont 5 en une seule rencontre contre Agen), ou buts (1,5 par match), Toulon ne score pas, et c'était flagrant dimanche encore. L'impression visuelle fait pâlir les CV ronflants de la ligne de trois-quarts. Deux All Blacks certifiés (Savea et Fekitoa), deux internationaux français (Bastareaud et Bonneval) et un autre Fidjien (Tuisova) n'y ont rien fait contre La Rochelle. Avec encore une fois l'impression pénible d'improvisation constante, de manque de solutions, de phases hachées. Un défaut d'organisation ? Un rejet du système de jeu du nouveau staff, cornaqué par Patrice Collazo ?
11 Comme le nombre de joueurs toulonnais qui ont débuté un match à un autre poste que le leur depuis le début de la saison.
« Surtout, dans cette animation offensive, on ressent le manque de confiance, tranche Mathieu Blin, l'ancien entraîneur d'Agen. Ça se voit sur les timings de courses, trop près ou trop loin. Sur ces fautes de main dues à une passe un peu risquée et pas très bien réalisée. Sur la redistribution offensive aussi. C'est comme si chacun avait la bonne intention de sauver la patrie et finissait par s'isoler. On a pu le voir sur des charges de Bastareaud ou Fekitoa ! »
«Par le passé, on a réussi en s'en remettant à des individualités ; là, ça va passer par le collectif» - Mathieu Bastareaud, centre de Toulon
L'argument du manque de confiance trouve un écho intéressant dans une autre série de statistiques, selon Blin. Ce RCT a une conquête solide : la meilleure touche du Top 14 (89 % de réussite), une mêlée costaude (91 %), de l'efficacité dans le jeu au sol (6,8 ballons grattés par match). « Ces indicateurs, c'est le signe d'un groupe solidaire, avance l'ex-talonneur du Stade Français. Ce sont les premiers qui lâchent quand la tête n'y est pas. » Pour que ce goût du combat ne s'étiole pas une fois le jeu lancé, Blin prône pour le RCT un « meilleur partage énergétique » des tâches entre avants et trois-quarts : « Les avants ne peuvent pas faire que tabasser, il faudrait que Savea et Tuisova utilisent plus leur puissance aussi pour les soulager sur des charges. C'est là où le RCT peut viser une simplification de son jeu. C'est-à-dire rendre encore plus qualitatifs tous ses basiques, être plus efficace. En fait, optimiser la simplification de leur jeu ! » Est-ce alors le manque de talent qui scotche le RCT à quai ?
Dimanche, il comptait onze internationaux dans son quinze de départ, dont deux champions du monde (Fekitoa, Savea) et deux récents capitaines de l'équipe de France (Guirado, Bastareaud). De quoi voyager en Top 14, non ? « Quand j'entends un ancien entraîneur dire qu'ils ont un meilleur effectif cette saison que l'an dernier, il doit avoir des trous de mémoire, proteste Jacques Delmas, adjoint des triomphales années Laporte. Le RCT a perdu cinq joueurs essentiels qu'étaient Attwood et Vermeulen devant, plus Nonu, Radradra, et Ashton derrière. Donc, 30 % de l'équipe ! Et quand tu perds 30 % de ton équipe type, même si tu recrutes Savea et Messam, tu peux considérer que tu es en phase de reconstruction. Ils n'ont pas le même matériel que nous on avait entre 2013 et 2016, et même pas celui de la saison passée. »
7 Comme le nombre de charnières différentes qui ont été alignées depuis le début de saison sur dix rencontres (Top 14 et Coupe d'Europe confondus)
Surtout, les recrues ne donnent pas encore leur meilleur, à part peut-être Liam Messam. Rhys Webb, le demi de mêlée international gallois, n'a joué que trois matches avant de se blesser. Son retour est espéré à Bordeaux, le 24 novembre. Julian Savea, lui, n'est que l'ombre de la machine à marquer sous le maillot noir de la Nouvelle-Zélande (46 essais en 54 sélections). Conscient de ces problèmes, Boudjellal a promis cinq arrivées, et le Samoan Brian Alainu'uese a bien accosté dans la Rade, jouant même sa première rencontre contre le Stade Rochelais et apportant un surplus de dimension physique au près. Mais la mission « urgence recrutement » lancée en Afrique du Sud n'a pour l'instant abouti à aucune prise. Alors Patrice Collazo fait avec les hommes qu'il a, dont il répète qu'ils lui conviennent, lancent des jeunes. Dimanche, Yoann Cottin (20 ans) disputait son premier match pro à la mêlée. À côté, Florent Vanverberghe (18 ans) paraissait expérimenté, avec ses trois matches ! Sont-ils dans les meilleures conditions pour débuter, quand les résultats deviennent nécessaires et la pression plus forte ? « C'est tellement facile de critiquer les compos d'équipes quand ça perd, défend Delmas. Patrice Collazo doit reconstruire et il décide de le faire avec des jeunes. Entraîner, c'est aussi faire des choix. » Et ceux du patron du RCT sont compris par Mathieu Blin : « À Agen, je faisais la même chose. On s'en prenait plein la gueule de la part des observateurs, mais après, les Hériteau, Fouyssac, Béthune, Marchois, tout le monde se les est arrachés en Top 14 ! »
39 Comme le nombre de joueurs différents qui ont été utilisés, dont 6 au centre 5 à l'arrière et 4 à la mêlée.
Collazo viserait donc le long terme quand, à Toulon, seul le jour même semble pouvoir exister. Une partie de ses joueurs semble l'avoir compris, sans accepter la situation actuelle avec des oeillères. « Si on ne change pas certaines choses, on court à la catastrophe, a prévenu Mathieu Bastareaud, avant de s'éclipser avec l'équipe de France. Par le passé, on a réussi en s'en remettant à des individualités ; là, ça va passer par le collectif. C'est tous ensemble qu'on s'en sortira. »
Le spectre de la relégation
Les chiffres ramènent Toulon à une époque où le RCT n'existait pas sur la carte européenne, où Wilkinson and Co n'avaient pas encore enflammé la Rade, et où Mourad Boudjellal n'était même pas encore président. Avec 10 points en 8 journées, le club varois, avant-dernier, réalise son pire début de saison depuis 2005-2006, année de son premier - et fugace - retour dans l'élite. Cette saison-là, avec Dridi, Jagr ou Labadze dans ses rangs, Toulon n'avait glané que 7 points après 8 matches, et avait fini par redescendre à l'étage inférieur (dernier de la première édition du Top 14). Un tel scénario est-il envisageable treize ans plus tard, avec Savea, Bastareaud ou Guirado ? Alors que Mourad Boudjella admet que la question existe - « on va regarder en bas », disait-il dimanche -, Jacques Delmas, entraîneur des avants époque Bernard Laporte, n'y croit pas : « On ne peut jamais dire que ça ne tombera pas dessus, mais Toulon relégué en Pro D 2, quand même pas ! Personnellement, vu l'effectif qu'ils ont, je ne l'imagine même pas une seule seconde ! Là, on peut penser qu'ils vont lutter dans le bas de tableau avec Grenoble, Agen et Perpignan. Ils peuvent être en danger, oui, mais encore une fois, vu l'effectif de Toulon, quand ils vont allumer la lumière, ils vont se reconnaître quand même, non ? » Guilhem Guirado pourra cependant témoigner que la catastrophe est possible même quand on a un gros effectif. Le talonneur international jouait à l'USAP quand le club catalan, tout surpris de se battre pour ne pas descendre cinq ans après avoir été champion de France, avait été relégué à l'issue de l'exercice 2013-2014. Depuis, la formule du Championnat a changé - une seule descente automatique, le 13e disputant un barrage. Cela réduit un peu le risque pour le RCT, qui a en plus le bonheur de voir... l'USAP se traîner tout en bas du classement (3 points). Attention, cependant, à ne pas relancer les Catalans ce samedi, à Mayol, dans ce qui sera un choc pour le maintien. La qualification pour les phases finales et la prochaine Coupe d'Europe, elle, tiendrait du miracle : un seul club avant-dernier après 8 journées de Top 14 est parvenu à accrocher les barrages. Il s'agit d'Oyonnax, poussif au début de la saison 2014-2015, mais qui a fini en trombe pour arracher la sixième place.