Dimanche soir, à la mi-temps du match entre le Stade Toulousain et l’Union Bordeaux-Bègles, Yannick Bru a laissé sa place à Matthieu Jalibert. L’ex-talonneur n’avait bien sûr pas rechaussé les crampons pour aider son équipe à endiguer la furia rouge et noire. Il a observé la première période en tribune et est descendu vivre la seconde au bord du terrain. Et son ouvreur international, au repos mais présent à Ernest-Wallon, en a profité pour s’asseoir sur le siège du patron, entre les adjoints.
Le manager de l’UBB a l’habitude de changer de poste d’observation pendant ses matchs. « L’approche idéale, pour moi, c’est de prendre de la hauteur en première période pour voir les paramètres du match et amener une plus-value à la mi-temps. Au ras du sol, c’est beaucoup plus compliqué. Puis être en bas en seconde période, notamment pour le coaching : ça permet d’augmenter la réactivité, puisqu’il faut prendre des décisions en une minute et éviter une incompréhension vu que les matchs se jouent à rien. »
En haut avec écrans et data, en bas au plus près des joueurs, un peu des deux, dans cet ordre ou un autre : chaque manager de Top 14 a son mode opératoire en fonction de ses habitudes et du déroulé des matchs. Sans que ce soit gravé dans la roche. Cette saison, par exemple, Bru a plutôt tendance à passer l’intégralité des rencontres devant son banc de touche. « Quand il manque certains joueurs, du leadership, ça peut être intéressant. En ce moment je ressens que je suis plus utile en bas », explique-t-il.
« Connexion émotionnelle »
Le Rochelais Ronan O’Gara a souvent dû s’adapter en fonction des semaines de suspension qui lui étaient infligées pour ses propos peu amènes envers les arbitres. Lui aussi opte pour 40 minutes en tribune, « parce que d’en bas, on ne voit rien du tout », rigole son adjoint Romain Carmignani. Puis 40 en bas « parce qu’il aime pousser et finir fort avec les mecs », même si « avec le bruit, je ne suis même pas sûr qu’ils entendent », poursuit-il dans un sourire.
Le Palois Sébastien Piqueronies change, lui aussi, à la mi-temps. Mais fait l’inverse. « J’ai longtemps suivi les matchs 100 % en haut, puis j’étais 100 % en bas ces deux dernières saisons. Cette saison, je fais la première période en bas car j’aime avoir cette connexion émotionnelle avec mes joueurs. Je me sens proche d’eux et ça donne une capacité à sentir les moments de pression, à capter les forces et les faiblesses du groupe. Puis je prends de la hauteur en seconde période pour décider du coaching. »
Pas tous branchés
Paul Gustard est le seul manager actuel à vivre l’intégralité des matchs en tribune, alors que la majorité de ses confrères restent au bord du terrain du début à la fin. « J’aime observer l’intensité des collisions et le « body language » des mecs, deux paramètres hyper importants, glisse le Bayonnais Grégory Patat. Je monte parfois pendant les entraînements, et ça me manque. Je préfère être au cœur du combat. Il suffit d’un retour au jeu moins efficace, d’une attitude négative… En haut, on ne voit pas tout ça. »
D’où l’utilité pour un manager de se reposer sur son staff en toute confiance : pour faire passer ses consignes et appliquer ses choix quand il est en tribune, pour lui relayer des informations sur le plan de jeu adverses ou des données physiques quand il est au bord de la pelouse. « Mes adjoints reçoivent toutes les datas en direct et, après sept ou huit ans passés ensemble, connaissent ma sensibilité. Ça permet d’aller très vite pour ne me donner que des infos utiles », pose le Toulousain Ugo Mola.
Lui, le Lyonnais Karim Ghezal et le Racingman Patrice Collazo sont les seuls à ne pas être littéralement branchés. « Dans ce sport humain, il est important de garder une forme de libre arbitre, d’intuition et ne pas être trop pollué, estime l’entraîneur triple champion de France en titre. J’ai essayé le micro, mais je monopolisais un peu trop la parole et je n’étais pas très productif. Pour la qualité du travail de mon staff, c’est mieux que je n’en porte plus (sourire). »
Rotation
Casque, oreillette voire talkie-walkie équipent les onze autres managers du Top 14. « Au début, on parlait assez souvent, maintenant assez peu, illustre Piqueronies. En seconde période, j’annonce le timing et l’orientation des changements. Pour aller plus vite, on utilise des mots d’une syllabe pour désigner certains trucs. » Moins original que les grands signaux lumineux utilisés par le staff sud-africain lors du Mondial 2023…
Au Stade Rochelais, une rotation a été installée : tous les deux matchs, l’un des quatre adjoints de O’Gara (Carmignani, Sébastien Boboul, Donnacha Ryan ou Rémi Talès) va en bas, où Boboul était en permanence. « On voulait tous se rendre compte des problèmes qu’a Seb en bas, et que lui se rende compte des problèmes qu’on a en haut, pour mieux communiquer tous ensemble et mieux coacher les garçons », éclaire Carmignani. Dimanche dernier, Matthieu Jalibert aussi s’en est rendu compte.