Trois questions pour Fabien Galthié, une pour Antoine Dupont. Le sujet Bastien Chalureau est revenu avec insistance dans la première conférence de presse officielle des Bleus dimanche en fin d'après-midi à Roland-Garros. La conclusion d'un week-end où l'antécédent judiciaire du deuxième-ligne de Montpellier a alimenté une polémique amplifiée par l'effet loupe de la Coupe du monde sur ses protagonistes. Un effet encore plus fort quand l'événement se joue à domicile.
Bastien Chalureau (31 ans, 6 sélections) est en équipe de France depuis dix mois et voilà trois jours que son nom revient en boucle pour les mauvaises raisons. Le deuxième-ligne de Montpellier, qui avait effectué toute la préparation estivale et était réserviste après la réduction du groupe à 33 joueurs le 21 août, a remplacé vendredi son coéquipier Paul Willemse, victime d'une déchirure à une cuisse. La nouvelle à peine officialisée, le site satirique Boucherie Ovalie avait dégainé sur X (ex-Twitter) en rappelant avec ironie sa condamnation en 2020 et en pointant ses "like" sous des posts Instagram du rappeur d'extrême droite Millésime K.

En novembre 2020, Chalureau avait en effet été condamné par le tribunal correctionnel de Toulouse à six mois de prison avec sursis pour « faits de violence avec la circonstance que ces derniers ont été commis en raison de la race ou de l'ethnie de la victime ». Fin janvier de cette même année, à Toulouse, il avait violemment agressé deux personnes, dont l'ancien joueur Yannick Larguet, à l'issue d'une soirée arrosée.
Depuis la fin de semaine, les réseaux sociaux ont ainsi donné un nouvel écho, plus puissant, à une affaire dont les médias ne s'étaient jusque-là pas ou peu emparés, pas même lorsque le joueur était devenu international il y a dix mois.
En juin 2022, quelques jours avant la finale du Top 14 contre Castres (29-10), le deuxième-ligne nous avait livré sa version des faits, survenus à une époque où il ne jouait pas à Toulouse, son club formateur, après deux bonnes saisons en Pro D2 à Nevers : « Je suis au placard, cantonné à de la préparation physique. Regis Sonnes (l'entraîneur des avants) n'aimait pas ma gueule. Du coup, je sors, je sors beaucoup. Ce soir-là, ce mec m'a fait ch... toute la soirée, donc à un moment il a pris une tarte. Le coup, il l'a pris. Les propos racistes ? Jamais. »
« Je suis un peu gêné parce que je suis ami de la victime et j'ai un avis assez arrêté sur cette affaire. J'ai toujours eu un problème avec lui en équipe de France »
Thierry Dusautoir
Il a fait appel dans la foulée de sa condamnation et attend encore une date pour le procès en appel. « Il a reconnu la violence et la regrette, a répété son entourage dimanche. Mais il a toujours nié les propos racistes, c'est pour ça qu'il a fait appel. Le procès est en cours, donc Bastien est présumé innocent. » Son avocat, Me Antoine Tugas, n'a pas répondu à nos sollicitations dimanche. Yannick Larguet avait raconté une tout autre version de l'histoire à nos confrères de la Dépêche du Midi quelques jours après les faits : « J'ai entendu une personne qui criait "Ça va les bougnoules ?" Je me suis retourné et j'ai aperçu un gars costaud qui traversait les allées Jean-Jaurès avec un copain. Il continuait sans cesse ses insultes racistes. J'ai voulu me retourner et il m'a décroché un coup de poing de toutes ses forces dans la mâchoire (...) Je ne savais pas qui m'avait agressé mais ses amis l'appelaient "Chalu". »
Licencié par le Stade Toulousain, le colosse avait rebondi rapidement à Montpellier comme joker médical. Il s'est stabilisé dans sa vie privée et s'est relancé sportivement, jusqu'à devenir champion de France en 2022 et donc international quelques mois plus tard. Sa réputation n'est pas toute rose dans le monde du rugby - ce que le staff des Bleus était loin d'ignorer en le convoquant -, mais à Montpellier, aucun reproche n'est remonté en privé.
Thierry Dusautoir, figure du quinze de France et ancien capitaine des Bleus, s'est exprimé sur le sujet sur le plateau du Canal Rugby Club, dimanche soir : « Je suis un peu gêné parce que je suis ami de la victime et j'ai un avis assez arrêté sur cette affaire, a expliqué l'ancien Toulousain. J'ai toujours eu un problème avec lui en équipe de France. Bastien Chalureau a été sélectionné en 2022. Les faits précèdent sa sélection. Je suis surpris du timing de cette polémique, les faits ont été rendus publics, mais je n'étais pas présent, il y a une procédure. Je suis conscient que je ne suis pas objectif dans cette affaire. »
Le sujet a aussi pris une dimension politique : deux députés de La France Insoumise, Thomas Portes et François Piquemal, ont annoncé dans le week-end leur volonté de saisir la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra « pour qu'elle intervienne et qu'elle demande à l'équipe de France de ne pas le sélectionner », comme affirmé par le premier sur RMC dimanche matin.

Le ministère a répondu par communiqué dans l'après-midi, assurant qu'Amélie Oudéa-Castéra, après s'être entretenue sur le sujet avec le président de la FFR Florian Grill et le manager des Bleus Raphaël Ibañez, avait « pu s'assurer que le joueur, qui a fait appel, maintient sa version des faits et nie toujours formellement avoir tenu des propos racistes, raison pour laquelle il a procédé à cet appel. Dans l'attente de la décision de justice définitive, chacun doit laisser la justice faire sereinement son travail. »
Même son de cloche autour de la présomption d'innocence de la part de Florian Grill, le président de la FFR, joint dimanche midi. « Les propos racistes n'ont évidemment pas leur place dans le rugby mais il faut laisser faire la justice. » Juridiquement, la situation est différente de Mohamed Haouas, condamné fin mai à un an de prison ferme pour violences conjugales mais qui n'a pas fait appel. Le staff a évidemment convoqué régulièrement Chalureau en ayant connaissance de la gravité des faits pour lesquels il avait été condamné, sans imaginer une telle polémique à quelques jours de la Coupe du monde.
« Bastien nous a informés de cette affaire. Il nie fermement et formellement les faits. Une procédure est en cours », a réagi Fabien Galthié dimanche. Relance d'un confrère : « Le groupe est-il affecté par cette affaire ? » « La Coupe du monde, ce n'est pas pour les mauviettes. Il faut être costaud. » « On n'a pas été affectés, a développé le capitaine Antoine Dupont. On était au courant. Avec Bastien, ça se passe très bien depuis qu'il est avec nous. Il a toujours eu une attitude exemplaire, que ce soit sur le terrain et en dehors. » À quatre jours du match contre la Nouvelle-Zélande, il n'a jamais été question en interne de l'exclure du groupe. C'est dans ce contexte délicat que le Président Emmanuel Macron déjeunera avec les Bleus pour « apporter son soutien et celui de tout le pays aux joueurs et au staff de l'équipe de France ».