Après la saison 2004-2005 et le passage du Top 16 vers le Top 14 au motif, dixit Paul Goze (président de la Ligue nationale de rugby), « de sortir d'un problème insoluble de doublons », il est « compréhensible que cette question de la réduction de l'élite soit à nouveau posée », note Pierre-Yves Revol, patron de Castres, « dans cette période de grande instabilité sanitaire et en conséquence de la multiplication de doublons non prévus initialement. »
En effet, depuis plusieurs mois, les présidents et directeurs généraux du Stade Français, de Bordeaux-Bègles, Clermont, Toulouse et La Rochelle réfléchissent à cette cure d'amincissement dont « le seul avantage consiste à dégager quatre dates » de saison régulière (cinq si on ajoute la suppression des barrages), souligne Alain Gaillard, président de Tech XV, le syndicat des entraîneurs.
Un aspect des choses qui ne convainc pas Jacky Lorenzetti : « Je trouve des côtés vertueux aux doublons : on fait jouer des jeunes issus des centres de formation et ceux qui ont peu de temps de jeu. Ça équilibre le Championnat entre les clubs plus fortunés et les autres », assure le président du Racing 92, qui ajoute : « J'ai toujours été favorable à un Top 16. On a recruté ou formé des internationaux. Les voir partir en sélection, ce n'est pas une traîtrise. » À quoi pourrait ressembler l'élite française en cas d'émergence d'un Top 12 ?
« L'élite resserrée ne garantit pas des matches d'un meilleur niveau, lâche un entraîneur du Top 14. Ça veut dire qu'on enlèverait qui ? Brive et Agen ? Au nom de quoi ? Leurs performances sont loin d'être médiocres. Leur niveau de jeu est même supérieur à celui, par exemple, des provinces galloises que nous affrontons en Coupe d'Europe... » La part du jeu pèse peu dans les débats. « Le Top 12 peut devenir une Ligue encore plus fermée avec une seule descente, et le jeu pourrait en pâtir, craint Gaillard. On se rapprocherait à terme d'une élite avec six ou sept clubs qui se partageraient les meilleurs joueurs. » Projection pessimiste partagée par Paul Goze : « Réduire à douze clubs voire dix n'améliorera pas le jeu. Ou alors, il faut faire un Top 8. Et là, ce n'est plus un Championnat, c'est un petit arrangement entre amis... »
Côté terrain, le principal avantage d'un Top 12 concerne la santé des joueurs : « Aujourd'hui, le nombre de blessures augmente jusqu'à saturation, constate Patrick Wolff, ancien dirigeant de la LNR. Il faut impérativement évaluer le nombre de matches physiquement tolérables pour un joueur, ainsi que la durée d'une saison. Et ça ne laisse pas de place pour un Championnat au-delà de douze clubs », conclut le président de l'Association des fédérations sportives. Reste que le président du LOU, Yann Roubert, s'interroge : « Ne vaudrait-il pas mieux déterminer un nombre limité de feuilles de match, cinq par exemple, que peut enchaîner un joueur ? »
Selon le président de l'UBB, Laurent Marti, « le rugby d'élite souffre de ne pas être développé sur tout le territoire. Et le premier inconvénient du Top 12, c'est de retrancher deux opportunités d'être représenté sur le plan national. L'idée serait alors d'élargir la deuxième division professionnelle à deux poules de 12 (contre une poule de 16 à l'heure actuelle). Sur le plan économique, ça pourrait intéresser des sponsors nationaux et les diffuseurs récupéreraient un nouveau public. »
Un choix stratégique qui séduit le directeur technique d'Agen, Philippe Sella, mais avec un bémol à la clé : « Dans les deux Championnats professionnels actuels, il y a de la clarté, de la simplicité et de la lisibilité. Deux poules de douze en Pro D2 complexifieraient les choses. »
Quatre dates en moins, ce sont aussi deux matches à domicile qui disparaissent. « Pourquoi vouloir diminuer les recettes ? », râle Lorenzetti, propriétaire de l'Arena, doléance reprise en écho par Sella : « Le Top 12 réduit les ressources, les droits télé, le public, les partenaires, le marketing... Le monde du rugby vivrait dans une économie plus limitée alors que les masses salariales sont toujours à la hausse, tout comme les frais opérationnels. » Sans oublier la mauvaise fortune des clubs de bas de classement, sommés de rejoindre la Pro D2. « Un nombre de montées suffisant permettra que le système puisse vivre, en y ajoutant une répartition financière qui ne punisse pas à l'extrême les clubs qui descendent », propose Patrick Wolff.
Une fois le sort des relégués réglé, le « produit » Top 12 semble n'avoir que des vertus pour les heureux élus. « Tous les matches se joueront de manière plus intensive, et ça intéressera le diffuseur télé », imagine Marti. En off, un directeur général de Top 14 précise : « Supprimer des doublons permet une meilleure visibilité et fait monter en valeur le Championnat, et donc les droits télé et les droits de marketing. Aucun club ne galvaudera les matches, comme c'est le cas aujourd'hui, et ça permet de renforcer les campagnes d'abonnement, ce qui est intéressant pour les clubs disposant de grands stades de vingt mille places et plus. »
Pour tel président d'un club engagé en Coupe d'Europe, « le Top 12 impactera le format des compétitions européennes, lesquelles proposent aujourd'hui beaucoup trop de matches chers à organiser. Il faudrait coupler le Top 12 avec une diminution des rencontres européennes. On peut imaginer un format avec quatre matches de poules et ensuite une élimination directe. » Une synergie Top 12-Champions Cup facile à concevoir... « Depuis 2015 et la création de l'EPCR, les Fédérations n'ont plus la main sur les Coupes d'Europe : ce sont les ligues pro, en particulier l'Angleterre et la France, qui pèsent dans les décisions, décrypte un dirigeant de l'EPCR. Si demain, la LNR souhaite aller vers un Top 12, c'est elle qui redéfinira la structure des compétitions européennes. À l'exemple de ce qui s'est passé cette saison »
Ce que confirme le président du LOU, Yann Roubert : « Avec l'EPCR, on arrivera toujours à trouver une solution. La preuve : nous étions à 20 clubs, on a envisagé de descendre à 18 puis, pour des raisons conjoncturelles, nous sommes passés à 24... » Une perspective élargie par le président de Toulouse, Didier Lacroix : « Certains évoquent la création d'une Coupe du monde des clubs, qui aurait lieu tous les quatre ans, ce qui nous oblige à réfléchir sur la saison internationale et son calendrier. »
Considérant l'importance du rugby d'élite français, « il faut au préalable que les instances de gouvernance internationale et nationale déterminent ensemble un nombre maximum de matches internationaux », préconise Patrick Wolff, débat qui ne peut être envisagé, selon Pierre-Yves Revol, « qu'après la crise sanitaire ». Mais pour de nombreux présidents, impossible de faire dans ces conditions l'économie d'une nouvelle gouvernance de la LNR. « On a un président, un bureau, un comité directeur et des réunions de présidents. Peut-être que bureau et comité directeur ne devraient faire qu'un », propose Laurent Marti. Suivant le modèle anglais, installer à la tête de la LNR un directeur général qui ne serait pas issu du panel des présidents de clubs semble envisageable. « Ça fait effectivement partie de notre réflexion, répond Lacroix, car le prochain mandat de la LNR ne doit pas être défini en fonction d'une personne physique : il y a d'abord un projet à écrire, et à présenter rapidement. »
Un agenda que semble placer le président toulousain à l'horizon 2022. « On pourrait expérimenter tous ces changements de compétitions sur une saison d'avant Coupe du monde, avec une mise à disposition des internationaux plus importante. Mais avant de s'interroger sur le Top 12, il faut poser tout cela sur le papier. » Ce qui, d'après nos sources, semble en voie de réalisation.
Pour ou contre le Top 12 ? Les avis de Didier Lacroix (Toulouse) et de Paul Goze (LNR)
Pourquoi Didier Lacroix, président du Stade Toulousain, est pour le Top 12 - «Ça engage la refonte du rugby pro français»
«Je regrette qu'on soit caricatural avec le Top 12 : il n'a pas que des effets favorables mais il faut se donner le droit de s'interroger sur une possible évolution. Je n'ai aucune animosité envers Paul Goze (président de la Ligue nationale), sauf quand il est fermé au débat. Faut-il attendre qu'il ne soit plus président ? Peut-être.
En attendant, pour apprécier cette réduction de l'élite, il faut considérer la lecture des compétitions quand elles se superposent. Un Top 14 qui se dispute en même temps que le Tournoi des Six Nations, ça me dérange parce que ce sont les mêmes publics. Et les joueurs concernés ont envie de jouer avec leur club mais aussi avec l'équipe de France. Du coup, un club qui concentre des internationaux se trouve handicapé. Le Top 12 implique aussi la refonte du rugby professionnel français.
Créer deux poules en Pro D2 ? Y ajouter une troisième division ? Quoi qu'il en soit, LNR et FFR doivent s'associer pour effectuer la jonction entre le sommet du rugby amateur et le début du rugby professionnel, afin de dépasser les trente clubs comme actuellement. Un Top 12 améliorera la qualité des matches puisque les meilleurs joueurs seront davantage impliqués, mais il faut aussi penser à la formation et à l'intégration de jeunes joueurs qui ont besoin de matches pour éclore. Et pour cela travailler sur le marketing des matches amicaux ou d'une nouvelle compétition qui se disputerait le mercredi avec un diffuseur qui y trouverait son compte.
Ça viendrait compenser le manque à gagner des deux matches en moins à domicile. Ce sera enfin préserver le lien entre la structure associative et le secteur professionnel, car il ne peut y avoir qu'une seule et même réflexion sportive au sein d'un club.»
Pourquoi Paul Goze, président de la LNR, est contre le Top 12 - «L'intérêt de deux ou trois clubs seulement»
«Je suis totalement opposé au Top 12. C'est une très mauvaise idée véhiculée par deux ou trois clubs qui y ont, croient-ils, un intérêt parce qu'ils mettent à disposition du quinze de France un certain nombre d'internationaux. L'intérêt général du rugby n'est pas de se concentrer autour de ces deux ou trois clubs.
Premièrement, contrairement à d'autres sports, le rugby n'est pas financé par la télévision. Il est donc très dépendant des recettes jour de match. Avec un Top 12, les clubs perdraient deux recettes à domicile.
Deuxièmement, réduire le nombre de matches diminuerait le montant des droits télévisuels car deux coefficients - nombre de matches et durée de la saison - entrent dans ce calcul.
Troisièmement, ce n'est pas en réduisant le nombre de clubs qu'on va élargir la couverture territoriale du rugby, qui est un des facteurs importants du développement de notre sport dans les régions Nord, Ouest et Est, qui sont les plus peuplées, les plus riches et les plus jeunes.
Élargir la Pro D2 à deux poules (de douze), c'est risquer de la dénaturer. La Deuxième Division ne proposerait à chaque club que onze matches à domicile au lieu de quinze : les droits télé s'effondreraient et tout le monde s'appauvrirait. Ce serait le mouroir général. Quant à propulser des clubs comme Lille, Strasbourg ou Nantes dans l'élite, mieux vaut qu'ils passent par l'actuelle Pro D2 pour certifier qu'ils sont bien structurés.
De toute façon, tant que je serai président, c'est-à-dire jusqu'en mars, le Top 12 ne passera pas. Et quand je ne serai plus là, il ne verra pas le jour parce que les présidents qui veulent ce changement n'auront pas la majorité des voix des clubs au moment du vote.»