Jean-Claude Pats, quelle est la situation de l’ASM Clermont Auvergne ?
Le club a perdu cette saison près de 6,5 millions d’euros. C’est un déficit substantiel lié à des raisons structurelles et conjoncturelles propre au club et qui dépassent le club. En Top 14, la majorité des clubs ne gagne pas d’argent et peu font des bénéfices. Même si la France n’est pas trop mal lotie, l’économie du rugby est fragile, ici comme en Europe. Je constate aussi que le poids des droits télés, 20 % de notre budget, ne suffit pas à asseoir le club économiquement, contrairement à d’autres sports. Et lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur, ça se voit rapidement sur la billetterie et les partenariats, qui représentent deux tiers de nos revenus.
Est-ce la seule explication ?
Non, il y a d’autres raisons spécifiques au club, avec des départs négociés qui ont généré des charges exceptionnelles et le fait de ne plus être un grand fournisseur de l’équipe de France, ce qui diminue les aides compensatoires de la fédération. Et des raisons liées au contexte : les effets du Covid dans la durée, avec la fin des exonérations accordées par l’État ou les PGE qu’il faut rembourser, et bien entendu l’inflation, qui joue sur nos dépenses.
Le club était-il en danger ?
Il était dans l’incapacité de faire face. A minima, le club allait être relégué, au pire, il pouvait disparaître. La réalité d’aujourd’hui nous amène à dire que c’était un chemin sans issue.
Michelin intervient donc. Était-ce la seule solution ?
Les fonds propres du club étaient à zéro, la trésorerie aussi, ou presque. La seule solution était d’augmenter le capital. Ce que l’ASM Omnisports ne pouvait pas faire, car c’est une association et elle n’a pas les fonds. Le groupe Michelin injecte 11 millions d’euros et devient propriétaire du club à 100 %., Il le fait par devoir, mais sur la base de nouvelles ambitions. Pour l’entreprise, compte tenu de ce que le club et elle-même représentent pour le territoire, la relégation ou la disparition n’était pas envisageable. Un partenaire, Michelin ou autre, aurait pu simplement combler le déficit, mais cela n’aurait résolu en rien le problème de fond. Il fallait imaginer autre chose, réinventer un modèle sain, qui ne dépend pas de subventions publiques (elles pèsent 0,2 % du budget).
Le conseil d’administration présidé par Jean-Michel Guillon, où je siégeais, a pris conscience de la gravité de la situation dès le début de l’année. Un gros travail a été mené au printemps pour élaborer un projet de relance, présenté en mai et voté à l’unanimité. Mon mandat, aujourd’hui, est de le mettre en œuvre. Avec l’ambition, le plus vite possible, d’ouvrir le capital à d’autres partenaires. Car Michelin n’a pas vocation à rester propriétaire d’un club sportif.
Quel est ce projet ?
C’est bien celui du club et Michelin va aider l’entreprise à le réaliser. Le groupe va jouer pleinement son rôle d’actionnaire, qui est d’accompagner le développement du club. Il s’agit de mettre en œuvre un modèle économique qui permette d’être à l’équilibre même en eaux basses (de résultats sportifs, NDLR) et de générer des bénéfices quand ça va bien sportivement. La feuille de route, que les équipes de l’ASMCA ont établie, vise à diminuer nos dépenses partout où c’est possible, et à se réapproprier la marque ASM et le stade pour développer nos recettes. La marque ASM est magnifique, mais le club n’a pas bénéficié totalement de ce que la marque pouvait générer ces dernières années. Je pense aux boutiques et au merchandising, mais pas seulement.
Les 11 millions injectés ne sont-ils qu’une étape ?
C’est un montant défini par nos experts sur la base de la situation et sur des projections en termes de résultats sur les trois prochaines saisons. Cela doit permettre au club de s’asseoir sur des fonds propres suffisants pour lui donner les moyens de mettre en œuvre son nouveau modèle économique. À nous de travailler pour que Michelin ne soit pas obligé de combler d’autres pertes. Pour moi, c’est inenvisageable. Michelin reste aussi partenaire (à hauteur de 2,8 millions d’euros, NDLR). Le groupe assume ses responsabilités. Mais plus que jamais, nous allons avoir besoin dans les mois qui viennent du soutien de nos supporters et partenaires. Le groupe Michelin ne les remplacera pas, nous aurons besoin de tout le monde.
Le stade Michelin est-il au cœur du futur modèle économique ?
C’est un des éléments. Il faut se réapproprier le stade Michelin. D’aucuns disent, ce stade est déjà la propriété du club. Si c’était le cas, les choses seraient très simples. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas complètement vrai. Pour faire simple, le bâti appartient en grande partie au club, mais pas complètement. Et le foncier appartient à Michelin. L’objectif est de rendre ce club pleinement propriétaire de son stade. Nous pensons, à l’ASM, qu’être pleinement propriétaire du Michelin est un réel atout, à partir du moment où l’on est capable d’en extraire de la valeur et pas simplement à travers la billetterie les jours de match. Là, c’est un actif insuffisamment utilisé qui ne génère pas assez de revenus. Nous voulons en générer beaucoup plus, aller chercher les clients plutôt qu’attendre qu’ils viennent à nous. Et pour que les gens viennent, il faut aussi, sans doute, faire évoluer les conditions d’accueil.
La réappropriation du stade Michelin est-elle compliquée ?
Ce n’est pas simple, mais on va se donner le temps et les moyens d’y parvenir. Se réapproprier la marque entièrement passe aussi par une réappropriation pleine et entière du stade.
Comment allez-vous conjuguer vos missions chez Michelin et la présidence de l’ASM ?
Les gens peuvent se dire, en effet : M. Pats est directeur du personnel chez Michelin, membre du comité exécutif et président de l’ASM, comment humainement est-ce possible ? Déjà, je reste directeur du personnel du groupe Michelin, mais je supervisais aussi un certain nombre d’activités, notamment le parc Cataroux, à Clermont. Toutes ces activités ont été allouées à d’autres personnes. Cela ne me fait pas gagner trois jours par semaine, mais je gagne un peu de temps quand même. Concernant le club, depuis la nomination d’Éric de Cromières (en 2013, NDLR) à la présidence de l’ASM, on a basculé vers un modèle de président directeur général, très impliqué sur les décisions engageant le club à moyen et long terme, mais aussi très présent dans la gestion au quotidien.
Compte tenu de la situation, il était évident de se diriger vers un duo : un président qui préside, en l’occurrence moi, et un directeur général qui fait tourner le club au quotidien, Benoît Vaz. Le premier rôle du président est de donner le cap. Le plan d’actions à construire relève du président, du directeur général et de ses équipes. Et il y a la mise en œuvre du plan, c’est la responsabilité pleine et entière du directeur général.
La structure de la gouvernance de l’ASMCA a-t-elle fait l’objet d’une réflexion particulière ?
Jusque-là, le conseil d’administration était composé de dix personnes qui se sont fortement impliquées dans le club, dans sa vie et son développement. Ils ont donné beaucoup, de leur temps et parfois de leur argent. L’ASM leur doit énormément. Aujourd’hui, nous sommes à un moment charnière du club. Dans ces situations, il faut créer des équipes compactes et mettre en place des modes de fonctionnement extrêmement agiles. Donc, nous avons pris la décision d’évoluer vers un conseil d’administration réduit à trois personnes qui seront : un représentant du groupe Michelin, ce ne sera pas moi, Benoît Vaz et moi-même. Quand des actionnaires nouveaux entreront dans le club, ce conseil d’administration sera amené à évoluer. Peut-être évoluera-t-on vers un autre modèle qu’une SASP. Aujourd’hui, je ne peux pas le dire.
Christophe Buron et Patrice Campo