L'absence de vidéo arbitrage lors du barrage entre le LOU et l'UBB (victoire des Bordelais, 32-25) dimanche dernier nous a rappelé que le rugby n'a pas toujours été scruté dans tous ses recoins par des caméras intrusives. En 1991, lors de la demi-finale qui opposait le Racing Club de France au Stade Toulousain au Parc Lescure, à Bordeaux, un arbitrage vidéo, pour le coup, aurait bien été utile, ne serait-ce que pour invalider la décision de l'arbitre de champ, Patrice Frantchi, accordant un drop-goal aux Toulousains alors que le ballon était passé sous la barre transversale, privant ainsi les Racingmen d'un billet pour la finale.
«Avec la vidéo comme aujourd'hui, il y a tellement de matches gagnés qui auraient été perdus et inversement... sourit l'arrière parisien Jean-Baptiste Lafond, placé juste sous ses poteaux. Sur ce match, il était évident que ce drop-goal de Philippe Rougé-Thomas était passé sous la barre et j'étais persuadé que l'arbitre l'avait vu. »
Du bord de touche, Christian Lanta, entraîneur du RCF doute immédiatement de la validité de ce drop « car la trajectoire du ballon est très tombante. Sur le moment, j'ai fait la part des choses. C'est le début du match, il faut vite passer à la suite. Mais c'est un match plein de frustration car à la fin, on a un ballon porté qui avance. Malheureusement, alors que la règle disait l'inverse, l'arbitre donne la mêlée aux Toulousains et on prend un deuxième drop, valide, celui-là, qui nous fait perdre... Même si on a essayé ensuite d'être fair-play, cette défaite m'a longtemps hantée. On a admis l'erreur mais cette décision arbitrale nous prive d'une deuxième finale consécutive (le Racing Club de France avait été sacré champion de France en 1990, un an plus tôt) qui aurait validé le travail effectué... »

Ce n'était pas dans mes intentions de faire un esclandre (...) Là, nous n'étions qu'à la vingt-quatrième minute, il restait encore du temps pour se refaire la cerise
Jean-Baptiste Lafond, ailier du Racing
En dehors de Jean-Baptiste Lafond, un autre joueur, Racingman lui aussi, a pu évaluer nettement la situation. Il s'agit de Denis Charvet, transfuge du Stade Toulousain : « Je vois que le drop passe sous la barre, je le signale gentiment à l'arbitre mais il s'énerve un peu. Alors je n'ai plus rien dit car je n'avais pas envie d'être de nouveau expulsé : la saison d'avant, avec le Stade Toulousain, j'avais eu des mots avec un arbitre et j'avais pris six matches de suspension, ce qui m'avait privé de la tournée en Australie avec l'équipe de France... »
Trente-deux ans plus tard, le pilier parisien Laurent Benezech, goguenard, est catégorique : « Jean-Ba, qui était le mieux placé d'entre nous, aurait dû pousser un coup de gueule. C'était le minimum syndical (rires). » Réponse de l'intéressé : « Ce n'était pas dans mes intentions de faire un esclandre. D'autant qu'il y avait peu de moyens pour rétablir la vérité. Ce n'était pas dans notre culture de râler. Aujourd'hui, les joueurs parlent beaucoup plus, même ceux qui ne sont pas capitaines. C'est dans l'air du temps de tout contester... Là, nous n'étions qu'à la vingt-quatrième minute, il restait encore du temps pour se refaire la cerise. Si c'est à la soixante-dix-huitième, c'est sûr que le sentiment d'injustice n'est pas le même. »
Et les Toulousains, dans tout ça, qu'en pensent-ils ? « Du bord de touche, je ne vois rien du tout, avoue l'entraîneur Christian Gajan. Et quand on apprend que le drop n'est pas passé, nous n'avons ressenti aucun sentiment de culpabilité (rires) : nous étions dans l'euphorie de la victoire. Avec le recul, je pense que nous avons fait un déni de réalité : nous n'avions pas envie que cet événement soit commenté (rires). Il fallait vite se projeter sur la finale. »
« Sur le coup, j'ai ressenti un peu de culpabilité. Je suis un compétiteur et ça m'embêtait d'avoir gagné ce match sur un erreur d'arbitrage »
Michel Marfaing, centre du Stade Toulousain en 1991
Sur le terrain, le trois-quarts centre Michel Marfaing, qui décochera le drop de la victoire à la 80e, ce jour-là, n'a pas épilogué : « Je suis à un peu plus de quarante mètres des poteaux, persuadé qu'il est passé. Et personne ne conteste cette décision. Mais après le match, nos téléphones sonnent et on apprend qu'il a été accordé à tort. Une fois qu'on a regardé le match à la vidéo, de retour à Toulouse, on s'est aperçu que le ballon n'avait pas franchi la barre transversale. Sur le coup, j'ai ressenti un peu de culpabilité. Je suis un compétiteur et ça m'embêtait d'avoir gagné ce match sur un erreur d'arbitrage. Mais ça ne nous a pas empêché de disputer la finale... » Et de la perdre, 19-10, face à Bègles, une semaine plus tard, au Parc des Princes.

Alors demi de mêlée du Stade Toulousain et aujourd'hui manager du club, Jérôme Cazalbou met en perspective l'épisode de 1991, que les acteurs choisirent de ne pas commenter, avec la période actuelle : « Aujourd'hui, conclut-il, l'arbitrage vidéo (généralisé en 2006 dans le Top 14) met une pression supplémentaire sur les épaules de l'arbitre car il sait que toutes les décisions, potentiellement, peuvent être revues. En 1991, c'était une époque différente : nous acceptions les décisions de l'arbitre, quelles qu'elles soient. Maintenant, l'arbitrage-vidéo est entré dans les moeurs, avec un protocole bien défini. A tel point que l'absence d'arbitrage vidéo lors du barrage entre le LOU et l'UBB nous laisse perplexe. Si on veut aller dans le sens de tous les règlements qui veulent assurer une équité infaillible... Ce match n'aurait pas dû se dérouler dans ces conditions-là. »
Il est à noter qu'après l'épisode calamiteux de dimanche dernier à Gerland - l'essai de Matthieu Jalibert aurait dû être invalidé -, la FFR et la LNR ont prit leurs précautions en sécurisant une cellule d'arbitrage vidéo dans le cas où des problèmes de transmission télé surviendraient lors des demi-finales disputées à Saint-Sébastien, en Espagne, ce week-end.