Depuis son coming out, le 30 janvier, à la télévision néo-zélandaise, Campbell Johnstone (43 ans) s'investit pleinement en faveur de la cause LGBT +, autant auprès de la presse, pour raconter son histoire, que pour la Fédération néo-zélandaise de rugby (NZR), pour qui il fait des conférences et travaille sur des projets pour que le rugby soit « un peu plus inclusif ». C'est dans leurs bureaux d'Auckland que l'ancien pilier international a accueilli L'Équipe, juste après une réunion d'un de ces fameux projets pour la NZR. Pendant quarante minutes, l'ex-joueur de Biarritz (2018-2012) a répondu franchement à nos questions avec un sourire communicatif.
« Vous avez fait votre coming out à la télévision nationale il y a presque quatre mois. Qu'est-ce qui a changé dans votre vie ?
Pas grand-chose dans ma vie personnelle à vrai dire. C'est plutôt mon image publique qui a évolué. Mon homosexualité a été bien acceptée par un grand nombre de personnes. J'ai reçu beaucoup de messages de soutien et j'ai eu la chance de lire énormément d'histoires similaires à la mienne. L'exposition médiatique me permet aussi d'en parler dans des conférences ou dans des réunions avec les clubs. J'évoque principalement la notion de respect de l'autre pour rendre tout le système un peu plus inclusif.
Pourquoi l'avoir révélé ?
J'étais en paix avec moi-même depuis quelque temps. Et je pensais qu'en parler en public allait définitivement fortifier cette paix intérieure tout en faisant disparaître le peu d'anxiété qui pesait encore sur moi. Avant ça, je n'étais pas assez fort mentalement et pas assez heureux pour être cette personne. J'en suis donc venu au fait que, si je venais à faire mon coming out, j'aiderais les gens et resterais dans cette sphère qui me permettrait d'agir en faveur de la communauté LGBT +. Je ne voulais pas raconter mon histoire et retourner dans l'anonymat. Ça n'aurait aidé personne.
Quand avez-vous su que vous étiez homosexuel ?
Les premiers indices remontent à mes 15-16 ans. J'étais au lycée. Mon groupe d'amis parlait de la beauté de telle ou telle fille. Et pendant que les autres parlaient, je me disais que c'était plutôt les garçons qui étaient beaux ou attirants. C'est l'une des premières fois où j'ai songé à l'homosexualité.
Vous étiez donc dans le déni...
Je me souviens avoir refoulé ces pensées pour me concentrer sur les cours et le rugby. J'espérais que ça ne revienne pas à nouveau. Mais quand tu grandis, tu vis des choses, tu changes, tes sentiments évoluent. Et puis, ces pensées reviennent et deviennent plus fortes. À un moment, tu sais que c'est inévitable. Malgré ça, j'ai quand même continué à les repousser.
« J'avais cette vision de ce qu'un All Black idéal devait être : hétéro, viril, fort, qui boit de la bière et tout ça. Quand l'homosexualité est entrée dans l'équation, je me disais que ça ne faisait pas partie du plan »
Avez-vous tenté d'avoir des petites amies ?
Ça m'est arrivé. Sortir avec des filles, avoir des copines de temps en temps, c'est une envie de rentrer dans la norme, de déguiser la vérité avec ce que fait tout le monde. Aussi, tu n'es jamais sûr à 100 % d'être gay. Tu te dis "peut-être que je le suis, mais peut-être pas, c'est peut-être passager..." Tout le monde a cette phase où ils essaient différentes choses pour tenter de se convaincre.
Pourquoi l'avez-vous caché durant votre carrière ?
Ça ne correspondait pas à mon monde idéal. J'avais cette vision de ce qu'un All Blacks idéal devait être : hétéro, viril, fort, qui boit de la bière et tout ça. Quand l'homosexualité est entrée dans l'équation, je me disais que ça ne faisait pas partie du plan. Ça ne devait pas être là, donc je l'ai repoussée.
Pensiez-vous que l'homosexualité était une mauvaise chose ?
Pas une mauvaise chose, non. J'avais plutôt peur que ça me détourne de mes objectifs, comme être sélectionné, faire un bon match ou une bonne saison. C'est une bataille interne entre moi et moi-même, plutôt que contre les gens autour de moi, puisqu'au final, les quelques personnes à qui j'ai confié la chose n'étaient pas surprises et en ont fait un non-événement. Il y a des personnes qui rencontrent des problèmes après avoir fait leur coming out. Moi, j'ai eu la chance de n'avoir que des gens bienveillants autour de moi.

Vous voyiez cela comme une barrière ?
Peut-être comme une barrière, oui. Mais je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous paraître complètement illogique : je mettais mes erreurs sportives sur le compte de l'homosexualité. Et dans le même temps, j'utilisais ce côté gay pour gonfler ma motivation à atteindre mes objectifs, pour m'entraîner plus dur et mieux me concentrer. Ce n'était vraiment pas la bonne méthode, ce n'est que plus tard que j'ai compris que cette "haine de soi motivante" était inutile. Il faut une motivation positive pour avancer, et tu as toujours plus de bienfaits en utilisant cette méthode. Il faut juste du temps pour s'en rendre compte.
À qui avez-vous fait votre coming out en premier ?
À mes parents. Je devais être dans la vingtaine, donc au début des années 2000. Ils ont été les meilleurs parents possibles. Je savais que si j'avais leur soutien, tout serait un peu plus facile, j'aurais moins d'anxiété, de stress... Mais pour eux, ce n'était pas une surprise. Ma mère avait l'air de déjà le savoir (il rigole). Je ne pouvais pas rêver mieux comme réaction.
« Le langage utilisé dans les clubs a énormément changé. C'est plus respectueux, les entraîneurs et les joueurs pensent beaucoup plus à ce qu'ils disent »
À votre avis, comment cela aurait pu se passer si vous l'aviez fait publiquement à cette époque-là ?
Je ne sais pas vraiment... (Il marque une pause). Je pense que ça aurait été dur, que ça aurait demandé énormément de force mentale car je ne gérais pas cet aspect de moi-même de la bonne manière. Ça n'aurait vraiment aidé personne à ce moment-là.
L'accueil de personnes de la communauté LGBT + dans le rugby a-t-il évolué entre le début de votre carrière et aujourd'hui ?
Il y a toujours la place pour mieux faire. Mais, le langage utilisé dans les clubs a énormément changé. C'est plus respectueux, les entraîneurs et les joueurs pensent beaucoup plus à ce qu'ils disent. Le langage continuera à évoluer dans le bon sens avec l'arrivée et l'accueil de plus en plus de personnes dans le sport. La race, la nationalité, la religion, la sexualité, rien de cela n'aura d'importance une fois que les gens seront réunis uniquement pour la passion du sport. Et c'est aussi une voie à double sens. Si les personnes LGBT + veulent pratiquer un sport, ils doivent aller voir des clubs et leur parler tranquillement pour leur demander quelles sont leurs politiques sur l'accueil d'une personne de cette communauté. En faisant cela, vous amenez le club à penser à cette thématique. Et quand les responsables du club entendent des mauvaises plaisanteries ou des moqueries dans les vestiaires ou sur les terrains, ces responsables-là vont pouvoir éduquer avec respect pour rendre le sport plus inclusif.

Quand vous parlez du langage, vous pensez à des gros mots ou des insultes ?
Non rien de cela. Mais il y a toujours des stéréotypes ou des préjugés. On entend parfois "arrête d'être une femmelette" ou "stop being a sissy" (en anglais, arrête de faire ta poule mouillée). Maintenant, ça s'est estompé. Il y avait aussi quelques jurons, mais cela a tendance à disparaître des terrains. Ces changements dans les attitudes permettent de mesurer l'évolution de notre sport dans la prise de conscience sur le poids des mots.
Avez-vous pris exemple sur des sportifs gays pour vous aider à construire la paix intérieure dont vous parlez ?
Pas vraiment. Mais j'ai toujours eu énormément de respect pour Gareth Thomas (joueur de rugby gallois passé par le Stade Toulousain entre 2004 et 2007) après avoir fait son coming out en 2009. Même chose pour Ian Roberts (joueur de rugby à XIII australien, qui a fait son coming out en 1995), en NRL.
« J'attends avec grande impatience l'époque où nous n'aurons pas à avoir toute cette couverture médiatique sur la sexualité d'un joueur, où ça ne sera pas extraordinaire qu'un All Blacks soit homosexuel »
Tirez-vous de la fierté d'être le premier All Black gay ?
C'est un sentiment partagé. Un peu, forcément. Mais j'attends avec grande impatience l'époque où nous n'aurons pas à avoir toute cette couverture médiatique sur la sexualité d'un joueur, où ça ne sera pas extraordinaire qu'un All Blacks soit homosexuel.
Selon vous, votre coming out a-t-il changé la vision du public sur les préjugés entourant les joueurs homosexuels ?
Je pense que oui. Et je me base sur les messages que j'ai reçus. Il y a eu beaucoup d'histoires de personnes qui ont abandonné le rugby car ils ne sentaient pas en sécurité ou bien accueillis dans cet environnement. Et mon coming out a changé la vision des gens sur la communauté arc-en-ciel en me plaçant comme un modèle. J'étais très heureux de lire que certains allaient revenir dans leur club grâce à moi.
Avez-vous déjà été confronté à l'homophobie en Nouvelle-Zélande ou en France ?
Non, jamais. Certains de mes amis, oui, et c'est toujours triste d'entendre que ça arrive toujours.
Vous avez aussi joué en Roumanie (2013) et en Russie (2013-2014). Qu'en est-il de ces pays-là ?
Quand j'ai joué là-bas, j'ai caché cet aspect de ma personnalité. Je ne voulais pas faire de vagues, je me contentais d'aller aux entraînements et de jouer au rugby.
Rares sont les joueurs en activité ouvertement homosexuels, contrairement à la scène féminine. Est-ce plus dur de faire son coming out quand on est un homme ?
Oui, c'est probablement le cas. Cela vient sans doute de l'idée du All Black idéal ou du rugbyman idéal dont j'ai parlé avant. C'est un vrai défi pour toutes les personnes qui veulent faire leur coming out. Il faut peser le pour et le contre. C'est toujours cette notion de combat interne, et les joueurs doivent être en paix avec eux-mêmes pour pouvoir l'annoncer. »
43 ans (NZL)
Ancien All-Black (3 sélections, 2005).
Pilier.
Carrière pro : Canterbury (NZL, 2002-2008), Crusaders (NZL, 2004-2008), Biarritz (2008-2012), Tasman (AUS, 2012), Ospreys (GAL, 2012-2013), Krasny Yar (RUS, 2013), Bucarest (ROU, 2013-2014).