Critiquée lors de la Coupe du monde, l'utilisation de l'arbitrage vidéo secoue toujours le milieu du rugby Alors que la Coupe du monde a rouvert le débat sur l'utilisation de l'arbitrage vidéo, sélectionneurs, entraîneurs de club et anciens arbitres internationaux pointent du doigt les défaillances d'un système jugé contre-productif.
La semaine dernière, Steve Hansen, l'ancien coach des All Blacks champions du monde en 2011 et 2015, reconnu comme un des plus grands techniciens du rugby, a volé au secours de Wayne Barnes, l'arbitre anglais de la finale de la Coupe du monde, perdue d'un point par la Nouvelle-Zélande contre l'Afrique du Sud (12-11), victime de violentes critiques et de menaces de mort. « Wayne Barnes n'est pas le problème. Le problème est la façon dont nous dirigeons le jeu. On arbitre grâce aux ralentis. C'est l'heure de virer le TMO (Television Match Official, lire par ailleurs). »
La polémique n'est pas récente, même si elle a atteint des sommets ces dernières semaines en France, la communauté du rugby, élargie à l'occasion de la Coupe du monde, trouvant là une explication facile à la défaite des Bleus en quarts de finale (28-29 face aux Springboks). Mais, derrière les critiques à l'emporte-pièce et la méconnaissance des règles « d'un sport vraiment très compliqué », dixit le Français Joël Jutge, patron des arbitres internationaux, le recours parfois systématique à la vidéo est un réel problème.
« Désormais, les matches sont arbitrés par le TMO et le bunker rajoute à la confusion »
Nigel Owens, ancien arbitre international
Lors de la tournée dans l'hémisphère sud, en juillet 2022, après un match entre la Nouvelle-Zélande et l'Irlande où les Blacks s'étaient retrouvés à douze sur le terrain, les sélectionneurs de l'Angleterre, Eddie Jones, et de l'Australie, Dave Rennie, avaient fustigé World Rugby dont les directives en matière de jeu dangereux « poussent les arbitres à décortiquer chaque contact accidentel à la tête ». « Il faut bien sûr assurer la sécurité du jeu, avait insisté Jones, mais si l'arbitre central ne voit pas une faute, c'est qu'elle ne doit pas être si grave. »
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Selon eux, le bunker (lire par ailleurs) n'a pas réussi à clarifier les décisions autour des plaquages dangereux et le recours au TMO devrait uniquement servir à valider, ou pas, les essais. Un avis partagé par l'ancien arbitre canadien de hockey sur glace, Rick Williams, qui a joué un rôle important dans l'arrivée du système du « bunker » en NRL, le Championnat australien de rugby à XIII. Interrogé l'an dernier par le Sydney Morning Herald, à propos des polémiques incessantes provoquées par les décisions du « bunker » qui intervient sur tous les aspects du jeu, il constatait : « Ils sont allés beaucoup trop loin. Le bunker sert à une seule chose en NHL, valider les buts ; tout le reste est à la charge de l'arbitre et s'il y a des erreurs, cela passe en commission de discipline. Je leur ai dit : "Vos arbitres vidéo veulent diriger le jeu et ce n'est pas possible." Malheureusement, ils sont prisonniers de cela aujourd'hui. »
TMO, quésaco ?
Le TMO (Television Match Official) est un arbitre chargé d'assister l'arbitre central - qui reste le principal décideur - au même titre que les deux arbitres de touche. Il est utilisé depuis 2001 au niveau international, 2006 en phase finale du Top 14 (2010 pour l'intégralité des matches) et 2020 en Pro D2. Le TMO peut s'autosaisir ou être saisi par un des trois arbitres de terrain, sous forme d'appels officiels. Dans ce cas, l'arbitre arrête le jeu en formant un T avec les mains et décrit un carré. Le TMO peut aussi intervenir « en direct », pour des décisions mineures comme attribuer une touche ou une mêlée.
Selon le protocole de World Rugby, le champ d'intervention officiel du TMO est limité. Il est là pour vérifier la validité d'un essai en s'assurant que le ballon a bien été aplati dans l'en-but ou qu'aucune infraction n'a été commise dans la construction de l'essai (obstruction, en-avant, hors-jeu, touche jouée rapidement, etc.). Cette infraction doit être claire et évidente (en cas de doute, l'essai est accordé) et s'être produite dans les deux phases de jeu précédant l'essai. Un arbitre peut également utiliser l'aide du TMO pour savoir si un essai de pénalité doit être accordé et pour tout incident lié au fait qu'une tentative de but a été réussie ou non. En ce qui concerne le jeu déloyal, le TMO est libre de communiquer avec l'arbitre à tout moment s'il constate quelque chose qu'il soupçonne être un acte dangereux ou un acte d'antijeu (en-avant intentionnel par exemple). Ces actes peuvent être signalés après l'action, jusqu'à la reprise du jeu. D. I.
L'ancien arbitre international Nigel Owens s'exprime souvent sur le sujet dans sa chronique pour le site Walesonline. Il l'a fait le week-end dernier, assurant lui aussi que, « désormais, les matches sont arbitrés par le TMO et que le bunker rajoute à la confusion alors que la décision de mettre un carton rouge devrait revenir à l'arbitre central ». Il y a deux ans, déjà, il expliquait que « la technologie était devenue une arme à double tranchant. Elle met énormément de pression sur les arbitres : comme ils savent que les images sont facilement accessibles par tous, ils cherchent à être parfaits. Alors que c'est impossible ! J'ai entendu certains arbitres dire à leurs assistants de ne pas s'inquiéter s'ils manquaient quelque chose car le TMO était là. Ce n'est pas la bonne attitude. Ils ont tellement peur de commettre des erreurs qu'ils n'osent plus prendre de décisions fortes. »
« Avec le bunker, on rajoute encore une analyse vidéo supplémentaire, qui ne change rien à ce problème de subjectivité et qui déresponsabilise les arbitres »
Joe El Abd, entraîneur d'Oyonnax
Un avis partagé par beaucoup d'acteurs du rugby, par les entraîneurs de Top 14 qui insistent, comme Joe El Abd à Oyonnax, sur le fait que « les règles du rugby laissent la place à la subjectivité et à l'interprétation. Il faut savoir accepter l'erreur. Au lieu de cela, avec le bunker, on rajoute encore une analyse vidéo supplémentaire, qui ne change rien à ce problème de subjectivité et qui déresponsabilise les arbitres. On doit leur laisser le pouvoir tout en sachant que ce ne sera jamais noir ou blanc ».
Surtout, à l'image d'Ugo Mola, le manager du Stade Toulousain, beaucoup sont marqués par la véhémence, la violence parfois, des critiques envers le corps arbitral : « Tout le monde y va de son avis ; même les arbitres, c'est inquiétant. On doit garder notre capacité à prendre du recul. Je suis le premier à lever les bras sur le bord des terrains mais cela ne doit pas dépasser ce cadre-là car, en ce moment, on fragilise ce qui est la base de notre sport, à savoir ces arbitres qui prennent quand même le risque de s'exposer, avec leurs convictions sur le jeu, au milieu de trente mecs. »
Bunker, un système réservé au jeu dangereux
Imposé juste avant la Coupe du monde, le système du Bunker - deux officiels de match isolés, loin du stade, disposant de toutes les images produites et de la technologie Hawk-Eye - permet à l'arbitre central de demander « à ce qu'un acte de jeu dangereux (qui mérite au moins un carton jaune) soit réexaminé si le carton rouge n'est pas clair et évident après deux visionnages sur l'écran géant », selon les termes de World Rugby. Lors de l'exclusion du joueur, le Foul Play Review Officer (FPRO) dispose de huit minutes pour prendre une décision : soit le jaune est maintenu et le joueur retourne sur le terrain ; soit cela mérite un carton rouge et il est exclu. L'arbitre de champ est prévenu par oreillette et doit énoncer les raisons de la décision dans son micro pour permettre aux (télé) spectateurs de la comprendre. D. I.