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Drogue, alcool, violences : « La maison brûle », un documentaire diffusé lundi soir par la Chaîne L’Équipe, met en évidence et tente d’expliquer les nombreux dérapages du rugby
« Rugby : la maison brûle » : le titre du documentaire proposé par la Chaîne L’Équipe ce lundi 3 février à 21h10 (1), est sans équivoque. Pendant 80 minutes, le temps d’un match, Sébastien Tarrago et Jules Bian-Rosa dressent un état des lieux particulièrement inquiétant du rugby, français en particulier. Agressions sexuelles, violences intrafamiliales, addictions en tous genres (cocaïne, alcool, anti-douleurs), racisme : les affaires impliquant des rugbymen défraient (trop) régulièrement la chronique.
La dernière en date, une bagarre entre joueurs du Biarritz jeudi soir dans un bar d’Anglet dans un contexte de forte alcoolisation, n’est qu’un nouvel avatar d’une longue liste de dérapages. Tous ceux qui sont évoqués dans le documentaire sont connus. Mais il suffit aux auteurs d’en lister les principaux pour frapper l’esprit du téléspectateur, et questionner : « La situation est-elle hors de contrôle ? »
Pour Sébastien Tarrago, la réponse est dans la question : « ça va exploser, tout le monde le dit dans le milieu », appuie-t-il dans un entretien à « Sud Ouest ». Originaire de Clermont-Ferrand, sa jeunesse bercée par les derbies du centre contre Brive, il sait que ces débordements sans cadrage du rugby ne sont pas récents. « Depuis très longtemps, des affaires sont étouffées. Un petit billet, l’intervention d’un politique ou du président du club et on n’en parlait plus, tout était caché ».
Le déclencheur du documentaire, pour lui, c’est l’affaire (Oscar) Jegou – (Hugo) Auradou, du nom des deux internationaux français accusés de viol aggravé par une Argentine au cours d’une soirée particulièrement arrosée après le premier test-match en Amérique du Sud le 7 juillet dernier. Les deux joueurs bénéficient aujourd’hui d’un non-lieu – en attendant l’examen de l’appel de la plaignante les 10 et 11 février – mais leur retour avec le XV de France pour le Tournoi des Six-Nations a fait polémique – leur entrée en jeu vendredi soir au Stade de France contre le pays de Galles a été accompagnée par des sifflets du public.
Au cours de la même nuit argentine, un autre international, Melvyn Jaminet a proféré des insultes racistes dans une vidéo involontairement mise en ligne sur son compte Instagram, elles lui ont valu 34 semaines de suspension.
« L’alcool fait partie de la troisième mi-temps qui fait partie du poste, c’est dans le contrat ! Et la drogue, j’en ai vu beaucoup »
Évolution de la société, importante médiatisation du sport français numéro 2 derrière le football, pression de plus en plus difficile à supporter pour des joueurs dont c’est le métier ? Toujours est-il qu’on ne peut que constater « des comportements de plus en plus excessifs », pointe Sébastien Tarrago. Des excès en tous genres : cocaïne – « il y en a partout maintenant », assure un ancien joueur dont la voix a été anonymisée –, alcool – « un international actuel a notoirement un problème d’alcool » –, et violence – bagarre entre joueurs du XV de France lors de soirées en stage de préparation à la Coupe du monde 2023.
Le courage de DorianeParmi d’autres, le témoignage à visage découvert de Doriane, l’ancienne compagne du joueur de Béziers Hans N’Kinsi, est un moment fort du documentaire. « Au départ, c’étaient des bousculades, sous alcool, avec beaucoup de contacts physiques… Jusqu’au jour où il m’en a vraiment mis une. » Quand, enceinte, elle subit l’agression de trop, sur une aire d’autoroute, elle a le courage de dire stop et de partir.
La jeune femme porte un regard lucide sur le milieu : « Je suis persuadée que pas mal d’entre eux pensent qu’être viril, c’est avoir des gros bras, parler comme un bourru, boire des canons, taper. Mais ça n’a rien à voir avec cela la virilité. L’alcool fait partie de la troisième mi-temps qui fait partie du poste, c’est dans le contrat ! Et la drogue, j’en ai vu beaucoup. »
Ancien sélectionneur du XV de France et président de la FFR, Bernard Laporte confirme l’inquiétante évolution des mœurs de son sport. L’actuel directeur du rugby du club de Montpellier, qui compte dans ses rangs sept joueurs et un membre du staff condamnés pour violences (!), prône un meilleur accompagnement des joueurs. « Il est urgent de prendre en charge la santé mentale des rugbymen. Ils jouent trop, tôt ou tard, il faudra réduire la voilure… ou composer des effectifs de 55 joueurs ».
Une prise de conscience est-elle possible pour un réel changement des mœurs ? Sébastien Tarrago voit un signal positif dans le désir de témoigner de joueurs, même anonymement. Mais le refus de la Ligue Nationale (LNR) de vendre la moindre image de match pour ne pas abîmer le produit et, plus généralement, le déni des dirigeants de clubs, n’en sont pas. Jusqu’au moment où ils n’auront plus le choix.
(1) Disponible sur le site Internet depuis jeudi dernier.