Plus que trois jours de compétition à Kazan, où quatre médaillés, dont le nouveau champion du monde du 100 m, sont d'anciens dopés. Suffisant pour installer un doute permanent, et pour gâcher le plaisir.
#modification, samedi 8 août : en posant la question faisant office de titre, je demandais simplement si les amateurs de natation allaient subir le même drame que les amateurs de cyclisme, à savoir ne plus jamais pouvoir vibrer devant une course sans se poser des questions dans la foulée. Le mal (pas le dopage, hein, le fait de ne plus pouvoir vibrer tranquille) peut d'ailleurs toucher l'amateur de n'importe quel sport, certes, mais c'est quand même l'amateur de cyclisme qui a pris le plus cher ces derniers temps. Voilà.
HS
L'eau du bassin de Kazan n'est pas tout à fait claire. Et un petit arrière-goût amer vient gâter la saveur des championnats du monde de natation. Au lendemain dusacre de Ning Zetao sur 100 m nage libre, impossible de ne pas se demander quel genre de spectacle se déroule sous nos yeux. Car avant le titre mondial le plus prestigieux de ce sport, le palmarès du nageur chinois de 22 ans comptait un contrôle antidopage positif : c'était en 2011, l'échantillon analysé contenait de clenbutérol, et Ning Zetao avait été suspendu un an par la Fédération chinoise.
"C'est gênant, a réagi hier soir Romain Barnier, entraîneur en chef de l'équipe de France. Le clenbutérol, c'est un produit un peu costaud. C'est une pratique dopante. Volontaire ou involontaire, mais on est clairement dans du dopage, là." Au micro de Canal + : "Il a été pris, c’est un fait. Il a le droit de recourir, c’est un fait aussi. Après, je ne cacherai pas que j’aurais préféré voir quelqu’un d’autre s’imposer."
Même gêne chez Fabrice Pellerin, responsable de l'équipe de France féminine, et ancien entraîneur à Nice de Yannick Agnel et Camille Muffat : "Je peux imaginer que le public soit dubitatif. Et ça m'est arrivé d'échanger avec certains coaches étrangers qui se posent des questions aussi. Il y a clairement des nageuses et des nageurs qui ont gagné cette semaine, au moins trois ou quatre qu'on connaît, et qui ont déjà été attrapés pour dopage. On ne va pas les citer à nouveau, mais voilà."
CHINE, RUSSIE, BRÉSIL
On va les citer à nouveau quand même : le Chinois Sun Yang, champion du monde du 400 et du 800 m (et sans doute du 1 500 dimanche), suspendu trois mois en 2014 dans le plus grand secret après un contrôle positif au trimétazidine (stimulant) ; la Russe Yuliya Efimova, victorieuse sur 100 m brasse, suspendue seize mois après un contrôle positif en 2014 à la DHEA (stéroïde) ; le Brésilien Nicholas Santos, médaillé d'argent sur 50 m papillon, qui s'en était tiré avec un simple avertissement après un contrôle positif au furosémide (diurétique) en 2011 – tout comme son compatriote César Cielo, multimédaillé mondial et olympique, qui a, lui, prématurément quitté la Russie en raison d'une épaule douloureuse, a expliqué la Fédération brésilienne. Ce casting reflète fidèlement la liste globale des nageurs suspendus pour dopage ces dernières années, qui proviennent plus souvent de Chine, de Russie, ou du Brésil que des Etats-Unis, d'Australie ou de France.
Bref, les podiums de Kazan accueillent des nageurs toujours aussi, voire encore plus rapides qu'avant leur suspension pour dopage, de la même manière que des cyclistes un jour pris la main dans le sac continuent à gagner des courses. Et nous voilà donc saisis du même doute, sujets au même sentiment ambivalent devant la moindre performance extraordinaire. Celles de nageurs un temps suspendus pour dopage, mais aussi, par ricochet, par réflexe naturel de méfiance, celles de nageurs qui présentent n'ont pourtant jamais échoué à un contrôle antidopage. Même Katie Ledecky. Même Florent Manaudou. C'est terrible.
"BANNIR À VIE"
"Légitimement, on peut douter, constate Fabrice Pellerin. C'est le malheur d'aujourd'hui, on n'est jamais sur à 100% que la médaille d'or ait été attribué au plus valeureux, à celui qui s'est le mieux entraîné. C'est dommage. Mais ce qu'il faut dire aussi, et je veux le dire avec force parce que je suis un témoin privilégié de ça, c'est qu'on peut arriver au même résultat de façon saine, méthodique."
Le Niçois, qui a mené Yannick Agnel et Camille Muffat jusqu'au sommet olympique, est partisan de mesures radicales pour que le public et les athlètes propres se fassent avoir moins souvent : "Si je porte un regard cynique sur la chose, je dirais que la situation actuelle n'empêche pas les stades de vibrer, parce qu'aujourd'hui, c'est le spectacle qui prime. Mais si ça n'était pas le spectacle et, parfois, la politique qui primaient, Je saurais résoudre le problème avec des sanctions fermes et définitives : on bannirait à vie les gens qu'on chope la première fois."