« Le 18 juin, lorsque Jacques Brunel a annoncé sa liste des trente et un (plus six suppléants) pour la Coupe du monde, étiez-vous un peu inquiet ?
Euh, non, je n'étais pas inquiet car je m'étais dit que l'important, c'était les phases finales avec Clermont et qu'on verrait après. Il s'était passé ce qu'il s'était passé pendant le Tournoi... La liste est tombée, j'en fais partie. Tant mieux.
Vous voulez parler de Twickenham, Rome ?
De toutes les histoires qu'il y a pu avoir ; de celle en Italie, oui...
À Rome, vous étiez fou de rage (il avait couru aux vestiaires dès la fin du match, Guilhem Guirado, notamment, ne pouvant le retenir)...
Forcément que j'étais en colère ; comme je l'ai dit au staff, j'ai toujours été comme ça, depuis gamin. J'ai eu la même réaction que si je jouais à Mauléon, ce n'est pas le contexte international qui a fait quoi que ce soit ; je suis un compétiteur et quand tu rentres à quatre secondes de la fin, ça te fait chier. Je suis râleur, je ne vais pas changer ma personnalité parce que je suis en équipe de France. Si ça devait se reproduire, je recommencerais.
Qu'est-ce qui vous passe alors par la tête sur la pelouse de Rome ?
Je me dis : "Pourquoi on me fait ça ?"
Vous avez pensé que cette réaction pourrait vous coûter la sélection ?
Je ne sais pas. Je vivais juste le moment présent, j'étais frustré. Si ça m'avait coûté la sélection, tant pis pour moi... On a eu un échange entre grandes personnes à Rome, le soir du match. On était apaisés. Je suis resté moi-même, je préfère ça. Il n'y a pas eu un grand débat, j'ai expliqué ma réaction.
Comme avant chaque Coupe du monde ou presque, on ne connaît pas la charnière des Bleus, notamment qui jouera ouvreur...
On n'en finit jamais... On ne fait que parler de ça... (Il élargit.) Il y a eu beaucoup de changements qui font que c'est dur de trouver une stabilité. Le staff de Guy (Novès) devait faire la Coupe du monde, on l'a changé au bout de deux ans ; puis le staff de Jacques (Brunel) a fini le Tournoi et d'autres personnes sont entrées (Fabien Galthié, Laurent Labit, Thibaud Giroud)... Notre Championnat ne nous aide pas ; il y a des blessés, des absents. Et à l'autre extrême, aujourd'hui, certains joueurs, dont je fais partie, en sont à plus de 2000 minutes de temps de jeu ; on a beau s'entraîner, on reste des humains. Le seul moyen de récupérer est de se blesser. Tant qu'il y aura autant d'enjeux politiques et financiers... Il y a des gens qui sont là pour décider, c'est à eux de faire leur job.
«À part fermer notre gueule, qu'est-ce qu'on peut dire ? Tant qu'on n'aura pas de résultats, on n'aura que ce qu'on mérite»
Mais ce système est-il viable ?
Je ne parle pas pour moi, j'ai trente ans, l'équipe de France, c'est bientôt fini. Mais je pense aux générations futures. Il faudra des changements, sinon, dans quatre ans, on discutera toujours de la même chose. Tenez, j'ai commencé la saison avec Clermont le 5 juillet, on a fini le 15 juin. J'ai eu trois semaines de vacances, dont une où on me demandait de me préparer (pour les Bleus).Mentalement, c'est très dur ; physiquement, c'est trop dur, le corps lâche. Moi, je n'ai jamais joué de Coupe du monde, je m'accroche car c'est ma première et peut-être ma dernière. Alors, je m'assois sur une semaine de vacances. Tu fermes ta gueule, mais à un moment donné il faudra des changements.
On a écrit pendant un an que vous marquiez des points en équipe de France car vous ne jouiez pas (blessé). Vous revenez pour la tournée de novembre 2018, ça va, puis vous êtes moins bon dans le Tournoi...
Il y a plein de monde qui dit qu'on marque plus de points en équipe de France quand on n'y est pas... Pour nous, c'est dur à entendre. Quand je ne suis pas allé en Afrique du Sud (2017), je faisais quand même partie du groupe et j'encaissais tout ce qui se disait et s'écrivait sur cette équipe de France. Ç'a toujours été comme ça, notamment à mon poste... On est sans cesse remis en question, il faudrait une stabilité, quitte à ce que ça prenne du temps. La solution, s'ils sont aptes, est de reprendre les mêmes joueurs, continuer à leur faire confiance même le jour où ils sont moins bien. Si on veut être prêts pour aller chercher un titre de champion du monde dans quatre ans, c'est comme ça que ça se fera.
Dans le Tournoi, vous ne vous êtes pas trouvé bon, personnellement ?
Non, forcément. Et quand tu n'es pas bon, que collectivement tu n'arrives pas à créer quelque chose, c'est dur. C'est dur car on commence bien contre le pays de Galles, on perd ce match qu'on doit gagner cent fois. Du coup, après, ç'a commencé à changer. Chacun veut se montrer et il n'y a plus d'action collective. On se pose 36 000 questions, on est moins naturels.
Avant chaque Coupe du monde, on répète que la préparation physique devrait permettre de combler le retard. Là, on en est à se dire que si la France passe les poules, ce sera bien...
C'est dur de... Tout ce qui se dit... À part fermer notre gueule, qu'est-ce qu'on peut dire ? Tant qu'on n'aura pas de résultats, on n'aura que ce qu'on mérite. L'équipe de France ne sera pas plus préparée que les autres. À l'intérieur du groupe, on sait que ce sera très dur mais notre seul objectif est de bien nous préparer. On va voir si en peu de temps on a pu mettre des choses en place. Mais j'ai confiance quand je vois les joueurs qu'on a, que je croise toute la saison en Top 14. Tu ne peux pas être nul du jour au lendemain, j'en suis persuadé, même si on se fait tabasser !
Avec l'arrivée de Fabien Galthié, y a-t-il des nouveautés dans le jeu ?
Oui, il y a des changements. Il y a plus d'ordre, un cadre, même si le but n'est pas de rester dans un cadre sans en sortir. On a des repères précis avec un rôle précis pour chacun. Après, avec la fatigue, ce qu'on voit à l'entraînement actuellement, tu vas avoir un mauvais positionnement, un oubli. Le jour où on aura digéré cette préparation, tout le monde connaîtra son rôle parfaitement, sans se poser de questions, sinon on sera en retard.
Comment trouvez-vous Jacques Brunel par rapport au Tournoi ?
Il l'a dit : c'est sa dernière Coupe du monde. Jacques n'a pas envie de passer pour un guignol, comme nous, joueurs, n'avons pas envie de passer pour des guignols.
Beaucoup d'observateurs pensent que Fabien Galthié va lui manger la laine sur le dos...
Mais non ! S'ils ont accepté de travailler ensemble, c'est qu'ils ont eu des discussions. Au quotidien, chacun reste à sa place et chacun fait son job. L'important est d'aller tous dans la même direction. Ensemble. »