Un spécialiste des sports de combat prétend pouvoir rendre les rugbymen implacables
biarritz - Sur l'une des vidéos qu'il a apportées, on le voit, ballon sous le bras gauche, se faire saisir aux cuisses par Nicolas Laffite, ancien deuxième-ligne de Bayonne (1,95 m, 120 kg), avant de se défaire de celui-ci sans effort sur un sumi-gaeshi (une technique de judo qu'on pourrait assimiler à une planchette japonaise). On poursuit le visionnage avec le gaillard d'1,87 m et 86 kg, cette fois lors d'une intervention à Marcoussis. On le regarde alors venir au contact de l'ancien deuxième-ligne international géorgien Victor Didebulidze (45 sélections), désigné pour le stopper, mais incapable de mener à bien sa mission en raison d'une esquive digne d'un toréador : intrépide au point de faire face au taureau sans trembler et de lui tapoter le museau avant de s'effacer sur le côté.
« Une révolution copernicienne »
Assis face à la grande plage de Biarritz, Lilian Almèras (42 ans) explique, dissèque les documents contenus dans son ordinateur portable et débite ses phrases comme s'il était guetté par un mutisme aussi soudain que définitif. Un robinet à gros débit que cet ex-militaire parachutiste de 1993 à 2012, ancien formateur en sports de combat pour des instructeurs d'unités spéciales telles que le GIGN. Une pointure en arts martiaux et autres disciplines pieds-poings qui, au fil du temps, a « développé des capacités motrices particulières » ainsi qu'une propension à analyser le danger ou la simple menace de manière fulgurante. Un peu comme un kendoka très averti « sait, avec la position du corps de son adversaire, où va atterrir le sabre de celui-ci avant même qu'il ne porte son attaque ».

Retraité de l'armée en 2012, il frappe régulièrement à la porte de la FFR (dont l'assemblée générale annuelle démarre aujourd'hui à Perpignan) depuis près de neuf saisons pour qu'elle se penche très sérieusement sur la méthode dont il a accouché et qui commence à lui valoir les yeux doux de cadors de l'étranger. « Une révolution copernicienne » davantage qu'une méthode, propose Lucien Majeau, en charge de la préparation physique des jeunes Perpignanais après avoir longtemps travaillé chez les professionnels de Montpellier. Et qui applaudit à ce « guide » destiné notamment à se jouer des plaqueurs et à se prémunir au mieux des blessures. Majeau reprend : « Un peu comme Maître Kawaishi (le Japonais qui, dans les années 1930, a véritablement popularisé le judo en France en le codifiant à l'occidentale), Lilian a classifié des solutions pour répondre à des situations d'opposition. Ce qu'il a mis en place fonctionne, change de la motricité usuelle historique et est facile à enseigner. »
Très innovant, voire bluffant, ce qu'a concocté Almèras (qui n'a jamais pratiqué le rugby et dont le livre Rugby combat system : devenez inarrêtable sortira en novembre chez Amphora). Il demande juste que sa méthode soit testée sur du moyen terme dans un pôle Espoirs et propose de former des spécialistes en combat pour relayer son savoir dans la vingtaine d'académies (des structures pour lycéens) que la Fédération envisage d'ouvrir prochainement.
«Les gars s'entraînent avec des boucliers, des protections et sont donc perturbés, en match, lorsqu'il leur faut gérer des agressions»
Venu au rugby en 2009, à la suite d'une journée découverte pour les moins de 19 ans de Marcoussis à l'École interarmées des sports, l'ex-para déplore qu'« on ne considère pas le rugby en France comme un sport de combat, où le danger s'avère pourtant plus présent qu'en judo ou en MMA ». Il note également qu'« il n'existe aucune notice technique fédérale liée à l'affrontement » et ajoute qu'« il ne faut donc pas s'étonner qu'il y ait des accidents ». Il souligne encore : « Les gars ne sont pas vraiment préparés à aller au combat sur le terrain. Ils s'entraînent avec des boucliers, des protections et sont donc perturbés, en match, lorsqu'il leur faut gérer des agressions. Ils perdent en lucidité, commettent des fautes et balancent des saucisses. Imaginez ce que donnerait sur le ring un boxeur qui se préparerait comme eux. On ne peut pas bosser dans la retenue. Ça ne veut pas dire pour autant qu'il faut faire prendre des risques inconsidérés aux joueurs. »

Première technique d'évitement

Deuxième technique d'évitement

Troisième technique d'évitement
Un bref silence, une gorgée de jus d'orange et Lilian Almèras reprend : « Dans l'armée, on fait en sorte de prévoir le maximum de situations possible pour éviter la surprise, qui est souvent synonyme de mise en échec.Aux rugbymen, on leur demande de partir en mission, d'aplatir, sans leur donner toutes les armes nécessaires. Je connais aujourd'hui toutes les techniques que peuvent tenter des joueurs. Je fais une analyse de la menace et je catégorise ce qui est très dangereux ou moins dangereux. À partir de là, j'adopte une tactique. En clair, j'ai des réponses et je les mets au service du rugby français. Sans compter que ce que je prône pourrait favoriser un jeu plus spectaculaire, car on aurait plus de facilité à contourner un mur défensif... »
«Il travaille sur l'homme, et ça, c'est la base. Lilian, c'est de la nouveauté et de l'efficacité»
Ils sont nombreux, dans le milieu, à saluer la méthode Almèras. Nicolas Laffite, par exemple, parle « d'un truc de fou qui remet en question pas mal de choses dans notre discipline ». Ou encore Oleg Ichtchenko, pilier d'Aix-en-Provence et figurant sur la liste développement de la Fédération : « Lors des exercices qu'on a faits avec lui, on s'est rendu compte qu'il était très, très compliqué de l'arrêter. Il travaille sur l'homme, et ça, c'est la base. Lilian, c'est de la nouveauté et de l'efficacité. » Même Gérald Bastide, adjoint de Guy Novès chez les Bleus il y a encore peu de temps, y va de ses applaudissements : « Lilian pousse au maximum les techniques d'évitement et nous ouvre des perspectives que nous n'avions pas avant lui. Il est très surprenant. » Au point de déranger, de troubler un milieu un brin réactionnaire, recroquevillé sur des certitudes ? « Je ne sais pas, sourit Vincent Manta, responsable du pôle Espoirs de Talence et particulièrement intéressé par les travaux de Lilian Almèras. Mais ce qui est sûr, c'est que, d'une part, la connaissance est un pouvoir et que, d'autre part, dans notre secteur, on a parfois du mal avec la curiosité. »
«On veut bien le croire sur parole, mais il nous faut des faits. Il est brillant, mais ce n'est pas un homme providentiel. Et je ne pense pas que le rugby ait besoin de méthode»
Du côté de la FFR, on affirme vouloir se faire un allié de Lilian Almèras. « Un intervenant, précise le DTN, Didier Rétière, tout en considérant que tout ce qu'il défend n'est pas adaptable au rugby. » « C'est un expert sur lequel on compte, enchaîne Julien Piscione, responsable de l'accompagnement de la performance à la Fédération. Après, outre le problème qu'on a en ce moment, à savoir tout un tas de réformes qui nous mobilisent beaucoup, on veut bien le croire sur parole, mais il nous faut des faits. Lilian est brillant, mais ce n'est pas un homme providentiel. Et je ne pense pas que le rugby ait besoin de méthode. »
Un point de débat sur lequel devraient rebondir les avocats de ceux qui, gravement touchés dans leur chair, s'apprêteraient à attaquer la Fédération en justice, selon une source bien informée. Ils prétendent que cette dernière disposait depuis longtemps de moyens censés rendre le rugby moins traumatisant et qu'elle les a étudiés ou accueillis avec des pincettes.
« Vraiment scotchant »
Ancien adjoint de l'Anglais Eddie Jones, quand celui-ci dirigeait l'équipe japonaise lors de la dernière Coupe du monde, puis en charge des avants de Toulon, Marc Dal Maso a croisé Lilian Almèras dans les Landes au mois de mai grâce à un ami commun. Les deux hommes ont longuement échangé et Dal Maso s'est montré extrêmement intéressé par ce qu'il découvrait. Au point, pour mieux sentir les choses, de tenter lui-même de plaquer son interlocuteur. En vain. Il en est resté interdit.

« Que penser de la méthode que propose Lilian Almèras ?C'est vraiment scotchant, surprenant, incroyable. Je ne sais pas s'il arrivera à retransmettre toutes ses techniques sur le terrain, mais ce qu'il propose est hallucinant. S'il y parvient, ça donnera encore une dimension supérieure à notre sport. C'est très moderne. Moi, en tant qu'entraîneur, je ne maîtrise pas les sports de combat. Ni le corps-à-corps, qui est très présent dans les matches à l'heure actuelle. Globalement, mes confrères et moi ne sommes pas compétents dans ce secteur. A fortiori lorsqu'il s'agit de combat en mouvement.
On est là dans un ensemble de techniques compliquées à acquérir.Ce qu'il prône, c'est tout neuf pour vous ?J'avais déjà assisté à des séances d'entraînement avec des jeux de combat auxquels les rugbymen devaient s'adapter, mais jamais avec un gars qui adaptait au rugby son savoir en lutte, en judo ou autres arts martiaux. C'est la grande différence entre Lilian et les autres. Avec lui, on peut imaginer que le jeu devienne moins dangereux, plus consistant, plus rapide, car les gars seraient moins stoppés, moins bloqués. Plus on est fort au contact, dans les zones de combat, plus le ballon sort rapidement.La méthode Almèras ne semble pas enthousiasmer la Fédération française. Cela vous étonne-t-il ?C'est délicat de s'exprimer à ce propos... Ce n'est pas parce que c'est difficile que l'on n'ose pas, c'est parce que l'on n'ose pas que ça devient difficile. Le problème du rugby français, c'est qu'il appartient à une société. Ce n'est plus un sport, mais une société de trois présidents et de quelques joueurs.Lilian Almèras pourrait, selon vous, intéresser une nation comme l'Angleterre ?On verra... J'ai envoyé une vidéo de son travail à Eddie Jones (le sélectionneur). J'attends de ses nouvelles. »