L'enquête judiciaire se poursuit
En décembre 2020, Bernard Laporte, qui est en campagne électorale permanente, briguera-t-il un second et dernier mandat ? De son point de vue, ça ne fait pas un pli : rien ni personne ne saurait l'en empêcher. Gare tout de même à ne pas insulter l'avenir. Le Parquet national financier et la brigade de répression de la délinquance économique ont ouvert une enquête préliminaire et mené des perquisitions en janvier, en deux vagues, à Marcoussis et aux domiciles de messieurs Laporte, Altrad, Simon et Atcher.
Selon nos informations, le dossier est toujours vivant et les investigations se poursuivent. À l'origine, les recherches se concentraient sur le coup de téléphone de Laporte à Jean-Daniel Simonet (président de la commission d'appel de la FFR) qui a précédé une curieuse baisse de sanctions pour le club de Montpellier, celui du président Altrad qui, au moment des faits, devait par contrat rémunérer Laporte pour quatre prestations à hauteur de 150 000 euros.
Dans le cadre d'une enquête préliminaire, trois scénarios sont possibles : le classement sans suite, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et la citation directe devant le tribunal correctionnel. Si Laporte doit comparaître pour des faits mettant directement en cause sa probité dans l'exercice de sa fonction, cela poserait un sérieux problème d'éligibilité.
Une affaire, des affaires
En deux années de présidence, Laporte a donc été visé par une inspection du ministère qui s'est transformée en enquête pénale. Circonstance aggravante, l'affaire de la commission d'appel n'est pas un épisode isolé. Le 17 novembre, nous avons publié des documents attestant que l'état-major de la FFR avait détourné de leurs missions plusieurs salariés de l'institution pour qu'ils travaillent à la victoire des listes Laporte aux élections de Ligue de décembre 2017. Ou comment l'intérêt général doit s'aplatir face à l'intérêt privé. C'est d'autant plus embarrassant qu'ils savaient pertinemment ce qu'ils faisaient puisqu'ils l'avaient couché noir sur blanc dans leur document en écrivant : «ABSOLUE DISCRÉTION dans l'organisation de la Campagne : travail en ligne et mails perso dédiés (non utilisation de la messagerie FFR) pour éviter les recours sur l'utilisation des moyens fédéraux à des fins politiciennes.» Le procédé a choqué et il serait étonnant que des explications ne soient pas réclamées à Laporte d'ici peu.
On assiste depuis des mois à un ruissellement d'irrégularités et de manquements à l'éthique qui finissent par noyer une réussite indéniable ? l'obtention de la Coupe du monde 2023 ? et des décisions intéressantes au niveau de la formation dans le cadre du programme «bien joué» pour améliorer la sécurité des pratiquants et favoriser un jeu d'évitement. L'effet d'accumulation semble aussi inarrêtable qu'un Radradra au Stade de France. De Laporte qui contraint un délégué de match à ne pas respecter le règlement de la FFR pour permettre à un ami de la famille (Julien Ory, son associé dans la société Juber) de pouvoir jouer, à Laporte qui autorise Jean-Daniel Simonet à présider la commission d'appel alors que le ministère a fait injonction à la FFR de renouveler intégralement sa juridiction, en passant par Claude Atcher qui est désigné pour représenter la fédération au conseil des Six Nations sans que cela soit soumis au comité directeur comme l'imposent pourtant les règlements fédéraux, la déliquescence règne.
Vendredi, le Monde révélait que la rémunération de Serge Simon dépassait le plafond fiscal autorisé par la loi pour une association d'utilité publique à but non lucratif. Ces derniers jours, une pétition diffusée sur les réseaux sociaux a réuni plus de 1 100 signatures. Son intitulé : «Démission de monsieur Bernard Laporte.»

Serge Simon, vice-président de la FFR, au côté de Bernard Laporte et le reste de son équipe, le 4 décembre 2016 au CNR de Marcoussis. (F. Porcu/L'Equipe)
L'antitransparence
Si la transparence ne s'use que lorsqu'on s'en sert, celle dont parle à longueur d'interviews Bernard Laporte ne risque pas l'obsolescence. Les deux années d'exercice du pouvoir ont démontré que le chef de la FFR fuyait les questions sensibles et se gardait bien d'expliquer certains agissements qui mériteraient de l'être. Rien sur le prêt d'une voiture fédérale au décidément chanceux Julien Ory. Rien sur la provenance très douteuse des 34 voix ajoutées à la main ayant opportunément fait basculer une consultation lancée par la FFR à propos du match télévisé du dimanche après-midi. Rien sur rien, si ce n'est des contre-vérités, autrement appelées mensonges, glissées dans des interviews de-ci de-là.
Pas plus tard que la semaine dernière, Laporte a assuré qu'il ne renoncera à aucun de ses quarante-quatre engagements de campagne, que vingt-six étaient déjà tenus et douze en cours de l'être. Ce n'est pas vrai, comme le démontre notre «fact-checking» (à consulter ce lundi sur le site L'Équipe). Laporte s'arrange avec la vérité comme si c'était une matière molle. Un exemple tout frais : dans un entretien au Figaro, il dit que le licenciement de Guy Novès était «un choix politique qu'on assume». Très bien. Mais lorsqu'il s'agit de justifier le déficit de 7,35 M€ sur la saison 2017-2018, le même licenciement de staff devient «un événement exceptionnel» qu'il faudrait reléguer dans la marge.
Autre arrangement avec l'histoire : Laporte aime à répéter qu'il a décidé d'interrompre sa collaboration avec RMC quand il a compris que le groupe Altice pouvait se positionner pour des droits audiovisuels liés au rugby. Or, RMC a mis des jours à convaincre Laporte que sa fonction rendait incompatible sa présence salariée à l'antenne. Lui ne voyait pas le problème. Il travaille depuis sur C8 avec Cyril Hanouna alors que le groupe Bolloré est un acteur majeur sur le marché des droits rugby (Top 14 et équipe de France). Bernard Laporte est même allé jusqu'à déclarer sur Europe 1 que son contrat personnel avec le groupe Altrad (150 000 euros) avait été signé «ouvertement, publiquement». Diable, quelle transparence ! Juste un détail : où peut-on trouver mention de ce contrat avant la révélation de son existence dans le JDD ? Autre exemple : l'audit mené par Serge Simon qui a servi à bazarder l'ancien staff du quinze de France. Mais au fait, quelqu'un l'a vu ?
Aujourd'hui, la FFR ne communique plus les affluences des matches du quinze de France. Et elle sucre vingt pages dans la liasse de documents financiers envoyée à l'opposition la veille d'un comité directeur devant arrêter les comptes. Les galonnés de la FFR savent communiquer à propos des millions injectés par Altrad mais saviez-vous que la GMF a fait jouer sa clause de revoyure pour baisser sa dotation en raison de l'arrivée du nouveau sponsor maillot ? Et saviez-vous aussi que la Société générale, pour la même compensation, apparaît gratos sur le maillot du 7 ? Cet emplacement avait pourtant été budgeté à hauteur de 3 M€ à la demande de Claude Atcher.
Le président bénévole
Laporte jure partout qu'il ne renoncera à aucun de ses 44 engagements. Il faut pourtant débrancher l'engagement n°27 (entre autres) et le laisser reposer en paix. Du temps de sa courte vie, il prévoyait de «diminuer de 10 % les frais de fonctionnement de la FFR pour une économie chiffrée à 3 millions d'euros». Ce n'est pas bien de rire à un enterrement et pourtant... Depuis l'arrivée de Laporte au pouvoir, la rémunération versée aux hauts dirigeants de la FFR a explosé de 447 % pendant que les charges de personnel augmentaient de 31 %. Avec tout ça, on oublierait presque que Laporte est président bénévole. Sauf qu'il ne rate jamais une occasion de le rappeler.
À la Provence, en septembre, il avait ainsi déclaré : «Ceux qui gueulent contre moi (parce qu'il avait zappé le séminaire sur la santé et la sécurité des joueurs mais pas le shooting photo pour l'émission de Hanouna), qu'ils aillent s'occuper bénévolement d'une fédé, d'une Ligue ou d'un club ! Je suis bénévole, j'ai cinquante-quatre ans et je ne suis pas rentier.» Vous allez voir que ça va être de notre faute. Ce discours culpabilisateur n'est pas fondé puisqu'il ne tenait qu'à lui de se salarier. Au maximum, il aurait touché environ 9 800 euros mensuels. C'est une somme mais il prévoyait de gagner plus, différemment. Ramené au mois, le contrat de 150 000 euros avec Altrad lui aurait rapporté bien davantage...
Les Bleus ne gagnent pas plus
S'il était un aspect de sa gouvernance sur lequel l'ancien sélectionneur (2000-2007) et entraîneur du Stade Français et Toulon avait une véritable légitimité, c'était bien évidemment le volet sportif : il possédait armes et arguments pour justifier une politique volontariste replaçant à tout prix l'équipe de France au centre des préoccupations du rugby français. «C'est un bon moyen de recruter de nouveaux licenciés si on a des équipes de France qui donnent envie de jouer», disait-il, à peine élu, sur le site Internet de la FFR.
Deux ans plus tard, les Bleus pointent au neuvième rang mondial et affichent, depuis son arrivée à la tête de la FFR, un taux de victoires de 27 % (6 en 22 matches). Ça n'aide pas à remplir les écoles de rugby le mercredi. Le nombre de licenciés pour la saison en cours n'a pas été communiqué officiellement, mais Laporte parle d'une baisse de 4 %. Ce sera a minima. En juin 2017, on dénombrait 272 800 licenciés. Bien sûr, les mauvais résultats du quinze de France ne sont pas de la seule responsabilité du président de la FFR, mais on ne peut pas dire qu'il ait facilité la tâche de Guy Novès à son arrivée (ex : match de semaine contre les All Blacks B avant un test contre l'Afrique du Sud), avant de s'en séparer avec perte et fracas en décembre dernier.
Depuis, la nomination de Jacques Brunel à la place de l'ex-manager toulousain, les résultats tricolores n'ont pas progressé d'un iota, tandis qu'audiences télé et affluences au stade continuent de plonger. Et pourtant, ses différents bras de fer avec la Ligue lui ont permis d'obtenir quelques avancées dans la mise à disposition des internationaux et la gestion de leur temps de jeu. Mais on est très loin des coups de menton du début de mandat lorsque, plutôt que de prôner l'union sacrée, il visait le magot de la Ligue et tentait de passer en force sur de nombreux points, à commencer par l'instauration de contrats fédéraux pour les internationaux, avant de comprendre qu'il n'avait ni le droit ni les moyens financiers pour parvenir à ses fins. Il faut néanmoins lui reconnaître le succès des équipes de France féminines à 7 (vice-championnes du monde) et à XV (Grand Chelem dans le Tournoi et victoire de prestige sur la Nouvelle-Zélande), dont il a changé le staff en arrivant. Sans surprise, le nombre de licenciées, lui, augmente.