Serge Simon, le vrai boss du quinze de France
Depuis quelque temps, Serge Simon se fait discret dans les médias. L'ancien pilier international de cinquante et un ans n'a pourtant pas relâché son étreinte autour des Bleus. On croise régulièrement sa silhouette massive au centre d'entraînement de Marcoussis (Essonne) ou dans le sillage de la sélection. Il n'est d'ailleurs pas rare que cet habile communicant, le plus souvent souriant et le verbe facile, vienne serrer les pognes des journalistes.
Mais pour commenter les résultats du quinze de France, le docteur Simon (il possède un diplôme de médecin généraliste mais n'a jamais exercé) laisse volontiers la parole à son supérieur à la Fédé, le président Bernard Laporte, ou au sélectionneur, Jacques Brunel. Pourtant, dans l'entourage de la sélection, et même en son sein, personne n'est dupe. Serge Simon, capable à la fois d'occuper les fonctions de vice-président de la FFR et de manager de toutes les équipes nationales, d'avoir un oeil sur la communication, le marketing et les relations avec la LNR, et de représenter la France auprès de World Rugby et du Comité des Six Nations, exerce une forte influence sur les Bleus. C'est lui qui tire les ficelles et oeuvre en coulisses, ici pour glisser des peaux de bananes sous les pieds du rigide Guy Novès, le précédent sélectionneur, là pour tenter d'aiguiller Jacques Brunel.
Son dernier stratagème ? Il a été révélé dès mercredi soir sur notre site. Le 15 février, quelques jours après la raclée subie à Twickenham face à l'Angleterre (44-8), Simon a essayé, via Brunel, de destituer de son statut de capitaine le talonneur Guilhem Guirado au profit du pilier Jefferson Poirot. Les partenaires de Guirado, eux, dont Poirot lui-même, n'ont pas suivi. Solidaires de leur capitaine, ils ont tous rejeté cette éventualité.
Reste que le mal est fait. Que cette défiance paraît malvenue à sept mois de la Coupe du monde au Japon. Simon n'en est pas à son coup d'essai. Du temps de Novès, déjà, il avait sacrément piétiné les plates-bandes du sélectionneur. Comme ce jour de mars 2017, à quatre jours d'un match du Tournoi face au pays de Galles, où il donna l'autorisation à quatre joueurs de sortir de Marcoussis pour aller manifester au stade Jean-Bouin contre le projet de fusion Stade Français-Racing 92, alors que Novès le leur avait préalablement interdit. Où quand, le jour de ce fameux match contre Galles (20-18), il fit livrer dans le vestiaire un carton de brassards roses à distribuer aux joueurs en guise de soutien au club parisien. Initiative finalement avortée devant la rogne de l'ancien manager de Toulouse qui menaçait de zapper sa causerie d'avant-match si ses joueurs enfilaient le brassard.
Une communication de plus en plus verrouilléeNovès, c'est un secret de polichinelle, n'a jamais vraiment goûté à l'ingérence de son supérieur hiérarchique. Simon, c'est certes une carrière plus qu'honorable de joueur, auréolée de deux sélections en équipe de France et deux titres de champion de France (1991, 1998), mais c'est aussi zéro expérience d'entraîneur ou de manager. Alors, imaginez la tête qu'a dû faire l'ex-sélectionneur (dix titres de champion et quatre Coupes d'Europe comme manager de Toulouse) quand le numéro 2 de la Fédé s'invita dans le vestiaire à l'issue du premier test perdu (37-14) par les Bleus lors de la tournée de juin 2017 en Afrique du Sud pour tenir aux joueurs un discours musclé ? Celle qu'il a dû tirer aussi lorsqu'il apprit quelques jours plus tard - s'il l'apprit - que Simon avait tenté de sensibiliser certains de ses internationaux aux techniques pas toujours réglos mais efficaces utilisées à son époque béglaise, dans les années 1990, pour corriger leur manque d'agressivité ?
Serge Simon semble entretenir de meilleurs rapports avec Jacques Brunel. Peut-être parce qu'ils ont tous les deux un passé avec Bordeaux-Bègles, que le second est aussi un proche de Laporte - dont il fut l'adjoint durant sa période de sélectionneur (2000-2007) - ou tout simplement qu'il est plus souple que Novès. L'exemple de la remise en cause du capitanat de Guirado montre qu'il n'en est pas moins intrusif. Et nuisible ? C'est ce que pensent en off certains membres du groupe France qui nous confiaient avant même le début du Tournoi : «Lui, c'est un danger.» L'intelligence du bonhomme séduit ou inquiète, c'est selon.
Ces derniers temps, Simon a fait de la communication autour des Bleus son principal cheval de bataille. Il est notamment obsédé par l'image de la sélection renvoyée par les joueurs au travers de leurs interviews. En juin dernier, la semaine du premier test en Nouvelle-Zélande, il avait ainsi mal pris le titre d'un entretien du centre Wesley Fofana paru dans ces colonnes et contraire alors au message rassurant que souhaitait faire passer la FFR sur la pratique du rugby : «J'aurais pu mourir sur le terrain d'un simple choc.» Il avait alors songé à imposer de nouvelles règles, comme instituer la présence de l'attaché de presse pendant l'interview ou une relecture avant parution, avant de se raviser. Ces dernières semaines, on l'a aussi parfois surpris en train d'assister en fond de salle aux conférences de presse de Brunel ou des joueurs. Un jour, il entra dans la pièce peu après le début du point presse avant d'en ressortir juste avant la dernière question, comme s'il souhaitait se faire le plus discret possible. Est-ce durant l'un de ces exercices qu'il devina en Jefferson Poirot l'épaisseur d'un futur capitaine ? Possible.
Simon, que nous avons contacté jeudi soir mais qui n'a pas souhaité réagir, n'a pas aimé non plus les fuites qui ont parfois précédé les annonces de compositions d'équipe, comme avant le premier match du Tournoi contre Galles (défaite 19-24), quand le secret de la titularisation du jeune Romain Ntamack avait été percé très tôt par L'Équipe. Il avait alors réuni les membres du staff pour faire part de sa colère et tenter de débusquer la taupe. En vain, bien sûr. Difficile, dans ces conditions, de ne pas voir la patte Simon dans le texte lu en préambule par le sélectionneur le jour de l'annonce de la compo pour dénoncer les agissements de certains médias. Ni même dans la pose de bâches anti-voyeurs devant le terrain d'entraînement des Bleus en fin de Tournoi. Face à la dégringolade sportive sans fin de l'équipe de France, le docteur Simon cherche le bon traitement. Mais le risque de rejet n'a jamais paru aussi grand.