L'Equipe ce matin (4 pages, 4 journalistes sur le coup, on peut dire qu'ils font le job)
La discorde du 29 juin
RENAUD BOUREL (AVEC F. BE, A. BO.)
Deux versions s'opposent sur le déroulé précis et le verdict de la commission d'appel de la FFR.
L'Inspection générale aura pour première mission d'identifier la bonne.
Bertrand Desprez /
LÉquipe
C'est de cette étroite fenêtre dans le temps, pour l'heure enfumée, que devra sortir la vérité. L'enquête de l'IGJS ordonnée par la ministre des Sports Laura Flessel se penchera sans doute assidument sur ce jeudi 29 juin, jour où la commission d'appel de la FFR s'est réunie pour délibérer sur les sanctions prononcées en première instance contre le club de Montpellier. Le cœur de l'argumentaire de Bernard Laporte et son état-major reste le même depuis quarante-huit heures : une seule décision a été rendue par la commission, le 30, et elle allégeait les sanctions du MHR sans aucune forme de pression de l'exsecrétaire d'État aux Sports sur Jean-Daniel Simonet, président de la commission d'appel.
C'est ce soupçon de favoritisme de Laporte envers Mohed Altrad, propriétaire de Montpellier devenu le premier partenaire de la fédération, qui est au cœur du sujet. Une suspicion renforcée par l'aveu de Laporte lui-même, mardi, d'un coup de téléphone passé à M. Simonet sans toutefois en préciser le jour et l'heure. « La réunion est bien convoquée le 29 juin et elle dure dans le temps jusqu'au 30 juin, nous affirmait hier soir l'entourage du patron de la FFR. Le sursis ne tombe pas, donc le terrain n'est pas condamné. On vérifie tout, ça prend du temps, la réunion dure. Ils (les membres de la commission) ne restent pas dans la même pièce ensemble toute la nuit. Il est possible et permis, aussi, que la réunion se poursuive afin d'aboutir à un délibéré. »
Deux membres sur trois quittent Marcoussis le 29 dans l'après-midi
Le communiqué fédéral de lundi, qui évoquait la tenue au 30 juin de la commission d'appel, serait donc une maladresse ? « La réunion est convoquée le 29, donc elle est en date du 29. C'est toujours comme ça, admet le clan Laporte. Mais il est fréquent que cela dure sur deux jours.Dès le vendredi 30 juin, la décision est notifiée par mail aux deux clubs et par courrier recommandé au 30 ou 31 juillet, comme le prévoit le règlement. » Nous avons eu confirmation par d'autres sources que, dès le 30 juin, toutes les parties ont été informées par mail de l'allégement des sanctions du club de Montpellier.
Toutefois, la défense de Bernard Laporte souffre de quelques contradictions et dissonances. Pour commencer, il est rarissime qu'une commission d'appel s'étire sur quarante-huit heures, nous disent plusieurs membres. L'ordre du jour que nous nous sommes procurés (voir par ailleurs) atteste en outre d'une séance qui ne devait pas durer audelà de seize heures. Selon nos informations, Robert Malterre a décollé de l'aéroport d'Orly pour Pau vers 19 heures après avoir quitté Marcoussis en taxi. L'un des deux autres membres a aussi déserté le CNR entre 16 heures et 17 heures. Il ne resterait donc qu'un seul juriste pour faire traîner le délibérer jusqu'au 30 ?
Reste le plus grand mystère dans cette affaire : il existerait une première décision qui aurait confirmé les sanctions contre Montpellier dès le 29 juin, notamment la suspension de l'Altrad Stadium. « Que l'on nous produise les autres décisions qui auraient été notifiées ! Elles n'existent pas, il n'y a eu qu'une seule notification, insistait encore l'entourage de Bernard Laporte, joint hier, avant que la décision du ministère des Sports ne soit rendue publique. Il n'y a rien qui part de Marcoussis autre que ce qui est validé par les trois membres de la commission d'appel qui sont solidaires. » Plusieurs éléments recueillis au fil de notre enquête portent pourtant à croire que l'information d'un maintien des sanctions avait été communiquée de manière informelle dès le 29 juin, comme c'est souvent le cas après chaque commission d'appel, jusqu'au bureau directeur de la Ligue alors réuni à Montauban, accréditant la thèse d'une sanction finalement corrigée après la décision initiale. Ce sera aux enquêteurs de l'IGJS de faire la lumière sur ce point précis. Et central.
ÇA SE COMPLIQUE
FRÉDÉRIC BERNÈS (AVEC R.B., A. BO. ET E.M.)
Avant d'être informés hier soir de l'ouverture d'une enquête administrative, Bernard Laporte et ses équipes s'étaient activés pour allumer des contre-feux. Mais leur défense reste fragile.
Frédéric Lancelot/
LÉquipe
Le ministère des Sports n'a donc pas classé l'affaire de favoritisme présumé entre Bernard Laporte et Mohed Altrad. En décidant hier de l'ouverture d'une enquête administrative (lire par ailleurs), Laura Flessel établit que les documents transmis par le président de la FFR lundi à sa directrice de cabinet, Chantal de Singly, ne permettent pas de lever toutes les interrogations. Le système de défense de Laporte est à compléter. Il aura l'occasion de le faire devant les agents de l'Inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS) qui vont désormais l'entendre, lui et les autres protagonistes de cette affaire. D'après nos informations, Philippe Peyramaure, dont la lettre de démission faisait état de pressions exercées par Laporte sur le président de la commission d'appel de la FFR Jean-Daniel Simonet, espérait être un jour entendu par des agents assermentés. Outre Laporte, Peyramaure et Simonet, les enquêteurs entendront naturellement l'avocat Robert Malterre, le troisième membre de la commission qui était convoquée pour la session du 29 juin. Nul doute qu'ils voudront aussi auditionner sous serment les deux membres du service juridique de la FFR qui assistaient aux débats à Marcoussis pour les consigner dans leurs ordinateurs. S'ils comptent aussi entendre tous les membres démissionnaires de la commission d'appel, surtout, qu'ils pensent à prévoir du temps. Hier, le démembrement de cette institution s'est poursuivi avec les démissions de Patrice Michel et Olivier de Chazeaux (lire page 22). Sur treize, il n'en reste plus que sept.
Mis en cause nommément par Laporte pour des propos tenus dans L'Équipe, l'avocat Olivier de Chazeaux a quitté le navire sans jamais avoir pu siéger. « Mon expérience politique (il a été un opposant de Balkany à Levallois) fait que je sais lire entre les lignes. Il est anormal que M. Laporte ait pu imaginer une seule seconde signer un tel contrat avec l'entreprise qui est propriétaire d'un club phare du Top 14. Il y a là un vrai sujet de conflit d'intérêts majeur. Il a fallu qu'il attende la révélation de ce contrat par la presse pour qu'il s'en rende compte ; c'est grave. Élément encore plus préoccupant : la commission d'appel est un organe juridictionnel dont la crédibilité est assise sur le principe d'indépendance impliquant qu'aucune des personnes investies de pouvoirs ne peut se permettre d'appeler un membre, encore moins le président. Je n'ai aucune raison de douter de la parole de mon confrère maître Peyramaure. Et moi, on ne peut pas m'accuser d'être instrumentalisé par la Ligue. » Bien avant d'être informés par le ministère de l'ouverture d'une enquête, Laporte et ses équipes s'étaient activés hier. Tous les salariés de la Fédération ont ainsi reçu un e-mail leur demandant de venir ce matin dans l'auditorium de Marcoussis. Le président compte leur faire un point sur la situation et les rassurer. Ils en ont bien besoin. Hier, l'heure était à la communication. À 16 h 35, un premier communiqué tombait pour annoncer que l'avocat Francis Szpiner s'était vu confier « la mission de préfiguration de la Haute Autorité pour la transparence et l'équité dans le rugby. » À 17h37, nouveau communiqué, cette fois pour informer que le bureau fédéral a « réitéré à M. Bernard Laporte son soutien absolu face à la campagne de déstabilisation et de mensonges subie par l'organisation et son président ».
Il a annulé ses vacances à Las Vegas
Dans l'entourage de Laporte, on a bien compris qu'il était urgent d'allumer des contre-feux. « Il n'est pas possible de se rendre compte deux mois après (la commission s'est réunie le 29 juin et Peyramaure a démissionné le 24 août) qu'on a été instrumentalisé, relève un proche. Soit vous n'êtes pas d'accord et vous démissionnez sur le moment, soit vous êtes d'accord et vous en êtes solidaire. » Cette question est légitime et mérite d'être creusée. Peut-être que l'article du Journal du Dimanche, paru le 13 août, a mis la puce à l'oreille de Peyramaure sur le conflit d'intérêts que pouvait générer le contrat d'image Laporte-Altrad… Les enquêteurs vérifieront sans doute si Peyramaure a bien validé sans aucune réserve la décision qui est au cœur des soupçons.
En quinze jours, l'état d'esprit du président de la FFR a sacrément évolué. Joint au moment où le JDD révélait l'existence du contrat d'image le liant à Mohed Altrad et les supposées pressions exercées sur le président de la commission d'appel, Laporte balayait tout cela d'un revers de main. Il n'imaginait pas qu'il allait devoir rentrer plus tôt que prévu de ses vacances à Miami et annuler celles à Las Vegas.
Pour le moment, on peut simplement constater que Laporte se défend en s'accusant. Oui, il y avait bien un contrat d'image (il y a renoncé lundi). Oui, il a téléphoné à Simonet, pour, expliquait-il mardi au Parisien, « porter à sa connaissance ces événements(fusion Racing-Stade Français, tensions entre la Ligue et la FFR) afin qu'il en tienne compte dans sa décision. » Puis, pensant justifier la baisse des sanctions en faveur de Montpellier, il ajoutait : « N'oubliez pas que lors des trois dernières années, cette commission a jugé vingt-neuf dossiers. Vingt se sont traduits par un amoindrissement des peines. » Mais alors, si cette commission est modératrice d'elle-même, quel besoin d'en appeler le président pour le lui rappeler ? « Je n'aurai de relation qu'avec son président, Monsieur Simonet, comme le stipule les statuts », disait Laporte hier. Nous avons épluché les statuts (l'article 5 du règlement et barêmes disciplinaires stipule que « les membres des organes disciplinaires se prononcent en toute indépendance et ne peuvent recevoir d'instruction ») sans trouver trace d'une ligne autorisant le président de la FFR à téléphoner à celui de cette commission « afin qu'il en tienne compte dans sa décision », particulièrement en période d'instruction.
Président de la commission de discipline de la Ligue de football professionnel, Sébastien Deneux observe cette affaire avec intérêt : « On ne peut pas être soumis à des conseils ou à des pressions. Techniquement, cela ne sert à rien d'appeler un président de commission, sauf à tenter de faire jouer une certaine influence. En tant que président, ce qui est certain, c'est que je n'aurais pas aimé recevoir ce type d'appel. Cela met tout le monde en grande difficulté. »