Dans le Midol demain
Laporte face à ses erreurs…
En pleine tempête
à la fois sincère et maladroit dans sa défense, Bernard Laporte semble accuser le coup. Peut-il tenir ?
Par Marc DUZAN
marc.duzan@midi-olympique.fr
Mardi soir, Bernard Laporte est sorti de son silence, reconnaissant à voix haute l’existence d’un contrat le liant à Mohed Altrad : « J’avais un engagement avec le groupe Altrad, oui ! Mais ledit contrat était parfaitement légal. » Légal, d’accord. Moral ? La Fédération gardant la main sur la désignation des arbitres du Top 14, on est en droit d’en douter. Que Bernard Laporte ait floué Pierre ou Paul en se rapprochant ces derniers mois du président montpelliérain n’a rien d’avéré. Qu’il ait manqué de discernement au moment de parapher l’accord en question est une évidence. Qu’il s’étonne aujourd’hui que ce contrat soulève un vent d’indignation chez les présidents du Top 14, une aberration…
Après avoir publiquement renoncé à entretenir une relation « payeur-payé » avec Mohed Altrad, Bernard Laporte a brièvement évoqué son statut de président bénévole, arguant qu’à la suite de son départ du RCT, ses sources de revenus étaient désormais réduites à la portion congrüe. « Durant ma campagne, je n’ai pas arrêté d’annoncer que je serai un président de Fédération bénévole et qu’à 52 ans, il me faudrait poursuivre ma carrière professionnelle. » Si le vœu de bénévolat est honorable, les textes de loi prévoient néanmoins que trois des élus fédéraux ont la possibilité d’être salariés par l’instance suprême du rugby français. La fourchette haute de la rémunération promet même un montant mensuel de 9 200 euros, salaire que perçoit au moins l’un des trois salariés actuels de la liste Laporte. Dès lors, pourquoi le patron de la Fédé ne s’est-il tout simplement pas rémunéré à la place de son vice-président Serge Simon, du trésorier Alexandre Martinez ou du secrétaire général Christian Dulin ? Pourquoi n’a-t-il pas privilégié, parmi toutes, la solution la plus logique ? La promesse de campagne aurait certes été violée. Mais avec le temps, au gré des mots, la réformette aurait fini par être acceptée de tous… « Sur le fameux coup de pression que les membres de la commission d’appel auraient aussi reçu de ma part, poursuivait Laporte dans cette même interview, je m’inscris en faux. Je n’ai fait qu’appeler le président (Jean-Daniel Simonet) au mois de juin pour lui indiquer que la situation était à l’apaisement avec la LNR. J’ai rappelé que le climat était à la détente, qu’il pouvait sanctionner Montpellier ou le Racing mais qu’il ne fallait pas s’acharner. » Maladroit ou trop honnête, Bernie relançait sans le vouloir le « Laporte Gate », reconnaissant en une phrase avoir appelé le président autonome d’une commission indépendante pour « indiquer », « rappeler » et souffler « qu’il ne fallait pas »…
Robin des Bois du Tarn
Depuis le 3 décembre, date à laquelle il a pris la tête du vaisseau fédéral, Bernie est donc parti à l’assaut de la Ligue, jurant de faire main basse sur le trésor de guerre couvé par son grand Satan (Paul Goze) et le redistribuer au rugby amateur. Sûr de sa force, frondeur et fonceur, le Robin des Bois de Gaillac a aussitôt pris les armes, pensant qu’au moment où sa carrière prenait un autre virage décisif, son insolente baraka ne le lâcherait pas. N’écoutant pas les mises en garde de son entourage, n’envisageant à aucun moment de trouver sur sa route des adversaires à sa mesure, Laporte a sans le vouloir piétiné certaines convenances et commis des erreurs. Il faut croire que le mundillo du rugby a de la mémoire et, à l’automne 2017, douze des quatorze présidents du Top 14 savourent aujourd’hui sa déconfiture et ne se privent pas, ici ou ailleurs, de l’achever à grands coups de pompes…
Aujourd’hui, les soutiens de Bernie se comptent sur les doigts d’une main. Mourad Boudjellal fait partie de ceux-là et raconte en préambule, au sujet du contrat Altrad-Laporte : « On parle ici de l’entreprise Altrad, une boîte comptant 38 000 salariés. On ne parle pas du MHR. Sur ce coup là, le P.-D.G. s’est dit : « Je vais offir à mes employés l’expertise du manager au plus beau palmarès de tous les temps. Je vais me payer ça ». Quand il était sous contrat avec moi, Bernard a mené ce genre de séminaires une dizaine de fois. C’est quelque chose qu’il maîtrise, quelque chose qu’il ne fait pas spécialement pour Altrad. Vous savez, il a sacrifié beaucoup de ses affaires pour gérer la Fédé. Il s’est juste dit que ses quatre interventions dans l’année serait une façon de retomber sur ses pattes. Sans ça, il aurait dû reprendre une activité professionnelle à plein temps, sans disposer d’une seule minute pour la FFR. » Très diplomate au départ, le patron du RCT glisse alors, énigmatique : « Il y a des gens qui se réjouissent de cette affaire. Il y a des gens qui ont intérêt à ce que l’on n’ait pas la Coupe du monde. Il y a des gens qui ont peur que Bernard ne devienne trop fort s’il obtient 2023. »
Boudjellal : « Quelle blague… »
Au sujet de la vague de démissions ayant frappé la commission d’appel de la FFR, Boudjellal redevient explicite : « On parle de personnes qui ont été nommées par l’ancienne équipe, des gens ayant vécu le choc d’un nouvel arrivant. Certains d’entre-eux ont même des liens très forts avec des présidents de Top 14 et des personnalités de l’ancienne mandature. Ça, je le sais. […] Et puis, vous pensez vraiment que Mohed Altrad, qui est milliardaire, aurait corrompu un président de Fédération pour gagner 50 000 euros (la sanction de la Ligue prévoyait 70 000 euros à l’encontre du MHR, celle de la commission d’appel avait dévalué l’amende à 20 000) et éviter de jouer Agen sur terrain neutre ? Quelle blague… Les présidents de clubs ont juste envie de radier Altrad du Top 14. C’est devenu leur idée fixe. »
Convaincu que Bernard Laporte n’a jamais commis d’ingérence dans ladite commission, Mourad Boudjellal tente alors d’illustrer son propos par son propre exemple : « Récemment, je suis passé devant cette même commission d’appel. Je voulais qu’un de mes joueurs passe Jiff. Cela me l’a été refusé alors que je suis un ami de Bernard. Et moi, ce n’est pas 150 000 euros que j’ai donné à Laporte. Ce sont des millions d’euros. Il n’a pourtant jamais intercédé en ma faveur. Je lui ai parlé de mon problème de Jiff et il n’a pas bougé. La décision de la Ligue a été confirmée par des gens qui se foutaient que je sois un ami du président. »
Aveuglé par dix ans d’amitié, incapable de croire en une hypothétique culpabilité de Laporte, Mourad Boudjellal conclut sa plaidoierie dans une dernière saillie verbale à l’encontre de Paul Goze, amenant sans le vouloir un dernier élément au dossier : « La première décision juridique qui a été influencée, c’est celle ayant vu le président de la Ligue convoquer la commission de discipline de la LNR pour des banderoles (« Goze démission ! ») le concernant. Où est le bon sens ? Où est l’objectivité ? La sanction ayant suivi cette commission était lourdissime et la commission d’appel de la FFR a simplement souhaité rééquilibrer les choses. Je vous rappelle enfin qu’il y a quelques années, un président de Top 14 avait écopé d’une sanction bien moindre pour avoir fourni de faux bilans à la DNACG… »
« C’est bien d’avoir
éric de Cromières - président de Clermont Mardi matin, le président de l’ASMCA
a accepté de répondre à nos questions concernant l’affaire Altrad-Laporte.
Lundi, le président de la Fédération française de rugby Bernard Laporte annonçait renoncer au contrat qu’il avait signé avec le patron du MHR Mohed Altrad. Comment avez-vous accueilli cette décision ?
La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est que ce contrat existait donc bel et bien. Quand on y renonce, ça veut dire qu’il existe, non ?
Oui…
Alors j’ai deux réactions. La première où je dis bravo à Monsieur Laporte. C’est bien. Je prends note. La seconde est plus mesurée. Je n’oublie pas qu’il y a dix jours, Monsieur Altrad affirmait qu’il n’y avait pas de contrat entre son entreprise et le président de la FFR. Ceci place un peu plus de suspicion sur la parole de Monsieur Altrad.
Vous êtes agacé ?
En tant que président, il est assez désagréable de voir qu’un de ses collègues tente de flouer les choses. La confiance en prend un coup.
Quelle doit être l’attitude de Bernard Laporte ?
Il faut qu’il soit transparent et moins agressif dans les médias. Personnellement, j’aime bien Laporte, j’aime son plan rugby et trouve le personnage sympathique. Je faisais même partie de ceux qui, avant son élection, pensaient qu’il fallait tourner la page avec la précédente mandature. Je regrette donc aujourd’hui qu’il soit tombé dans une situation pareille. Il y a une crise de confiance, du discrédit… Peut-on désormais croire à sa parole ? D’autant plus qu’historiquement, il avait quand même deux ou trois casseroles. Je suis très embêté.
Pensez-vous que la LNR ait délibérément laissé fuiter des informations afin de déstabiliser Bernard Laporte ?
On parle d’un problème de contrat avec Messieurs Altrad et Laporte ! Je ne vois pas en quoi les présidents de clubs sont concernés ! Comment voulez-vous, franchement, que Paul Goze ait par ailleurs accès à des dossiers top secret liant deux entreprises qui lui sont totalement étrangères ?
À la suite de cette affaire, la FFR a également proposé au Ministère de la Jeunesse et des Sports la création d’une haute autorité de lutte et de transparence dans le monde du rugby. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
C’est bien d’avoir des chartes éthiques. Mais une telle cellule doit avant tout être portée par des hommes. Et quand vous sortez d’une affaire de ce genre, il est difficile de soudainement devenir le porteur d’une telle charte.
Dès lors, que faudrait-il faire ?
Il faut à mon sens ouvrir le comité directeur de la fédération à la liste d’opposition. J’entends par exemple beaucoup de bien de Florian Grill (président du comité territorial d’Ile-de-France). Je pose donc la question : ne serait-il pas bon d’intégrer des personnes telles que lui dans le cercle décisionnel de la fédération, afin d’utiliser leurs compétences voire de s’en servir comme garde-fou ? Ce sont des gens sur lesquels des doutes ne reposent pas.
Que voulez-vous dire ?
Claude Atcher (bras droit de Laporte, porteur du projet France 2023), que voulez-vous que je vous dise… Si vous parlez d’Atcher dans le monde du rugby, tout le monde commence à se marrer, quoi… Si c’est lui qui écrit la charte éthique, on va dire : « Mais qu’est-ce que c’est que ce bin’s ? » Je me dis aussi que nous sommes dans un monde où le président Macron veut faire des choses propres. La FFR dépend de ses ministères. Je suppose donc qu’il (Emmanuel Macron) a dit à Madame Flessel (la ministre des Sports) : « Suis moi ça de près, je n’ai pas envie de me faire couler par des histoires comme ça. » Propos recueillis par M. D.