Sponsoring maillot de l'équipe de France : des déclarations sous serment qui interrogent
Auditionné jeudi par une commission d'enquête parlementaire, le directeur général de la FFR, Laurent Gabbanini, qui parlait sous serment, a tordu et détourné la réalité du jugement du tribunal correctionnel dans l'affaire Laporte-Altrad concernant le sponsoring maillot.
Peut-être faudrait-il envisager une commission d'enquête parlementaire sur les dysfonctionnements observés devant la commission d'enquête parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations sportives. La matière ne manquerait pas. Interrogés au fil des dernières semaines, les présidents des Fédérations françaises de tennis (Gilles Moretton), de football (Philippe Diallo), tout comme l'ancien DTN de l'athlétisme et directeur de l'Insep Ghani Yalouz, n'ont semble-t-il pas dit que la vérité, rien que la vérité. Ils l'avaient pourtant juré, en levant la main droite. La commission se réserve donc le droit de transmettre des signalements au parquet pour parjure.
Jeudi après-midi vint le tour du rugby. Le président de la Fédération française (FFR), Florian Grill, et son directeur général, Laurent Gabbanini, furent auditionnés à l'Assemblée nationale. Les députés les ont questionnés à propos du contrat de partenariat signé entre la FFR et la société Altrad (AIA), qui a désormais trois ramifications : un premier contrat de partenariat à 1,5 M€ en soutien de la candidature France 2023, un contrat maillot qui court jusqu'à la fin de l'année civile (le premier de l'histoire du rugby français) à 34 millions (6,8 M€ par saison sur cinq ans), et donc un nouveau contrat maillot jusqu'en 2028. Les deux premiers partenariats ont été signés en 2017 et 2018 par Bernard Laporte, président de la FFR contraint à la démission après avoir été condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Paris pour, entre autres, corruption, trafic d'influence et prise illégale d'intérêts (il a interjeté appel).
Le dernier contrat, postérieur au jugement prononcé le 13 décembre dernier, a été signé par son successeur Florian Grill.
Plusieurs fois pendant l'audition, les députés se sont demandés si le contrat toujours en cours ne pouvait pas être cassé ou dénoncé. Et si le prochain ne portait pas atteinte à l'image de la FFR, étant entendu que Mohed Altrad a lui aussi été condamné le 13 décembre pour, entre autres, corruption, trafic d'influence et prise illégale d'intérêts dans ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Laporte-Altrad (il a interjeté appel également).
Un nouvel appel d'offres « parfaitement cadré »
Concernant le contrat le plus récent, l'actuel patron de l'institution a déclaré que « le nouvel appel d'offres a été parfaitement cadré et qu'il n'était pas illégitime de le signer puisqu'il s'agit d'une condamnation en première instance et qu'en attendant l'appel la présomption d'innocence doit s'appliquer. »
L'équipe de France de rugby lors du match de préparation à la Coupe du monde face à l'Australie le 27 août au Stade de France (41-17). (A. Mounic/L'Équipe)
S'agissant de la relation contractuelle FFR-Altrad, Gabbanini, dont le départ a été annoncé pour la fin de l'année, a répondu ceci à la commission d'enquête parlementaire : « Nous n'avons pas encore reçu à ce jour le jugement de première instance. Pour autant, dans la synthèse du jugement qui nous a été transmise, la question du contrat de partenariat entre la fédération et le groupe Altrad n'a posé aucun problème judiciaire. Ce n'est pas cela qui a été traduit par des condamnations. L'acte de corruption était lié à un contrat personnel entre M. Laporte et M. Altrad (le fameux contrat d'image à 180 000 euros) et à une intervention supposée, je fais très attention aux mots que je prononce pour justement préserver ce droit fondamental qu'est la présomption d'innocence de M. Laporte sur la commission d'appel de la FFR.
Mais le contrat de partenariat a été réputé et jugé comme conforme, et au juste prix. Ce contrat n'a absolument pas été remis en question dans le cadre de ce procès. Donc la Fédération ne pouvait pas remettre en cause ce contrat puisqu'il a été fait en totale conformité, dans les règles du droit et de la concurrence, et au juste prix. »
Contacté par nos soins hier, Gabbanini a réitéré ses propos. Cette déclaration, sous serment, est problématique car le jugement de la 32e chambre correctionnelle ne dit pas cela. Il dit même le contraire : « Il a été démontré dans les développements consacrés à la caractérisation des éléments matériels des faits de corruption concernant l'attribution du partenariat maillot du quinze de France » (...) Ainsi, les éléments constitutifs du délit de corruption sont établis à l'égard de Bernard Laporte et Mohed Altrad, qui seront donc déclarés coupables des faits de corruption s'agissant de la validation du contrat de partenariat maillot. » (...)
« Si des gens ont menti à la représentation nationale, ils auront à en répondre devant la justice. On va être intraitables
Sabrina Sebaihi, rapporteure de la commission d'enquête parlementaire et député EELV
« Ces faits revêtent une gravité particulière en ce que Bernard Laporte a été reconnu coupable de quatre faits de corruption distincts en faveur de Mohed Altrad : le projet de rachat du club de Gloucester, la signature du contrat maillot de partenariat France 2023 (1,5 M€), le partenariat du maillot du quinze de France (34 M€) avec la société Altrad, les sanctions autour du report du match Montpellier-Racing. »
Sur les quatre faits de corruption cités, deux concernent le contrat maillot. Ce qui conduit donc à juger que le contrat de sponsoring a été acquis par corruption. Quant à l'argument de Gabbanini avancé devant la commission (« Nous n'avons pas eu d'injonction de la justice de casser le contrat puisqu'il n'a pas été considéré comme un objet de corruption. Voilà. »), il se heurte au fait qu'un tribunal correctionnel n'étant pas une juridiction civile ou commerciale, il ne dispose d'aucun pouvoir pour prononcer la nullité ou la résiliation d'un contrat, fût-il l'objet de la corruption.
Rapporteure de la commission, la députée Sabrina Sebaihi (EELV) mentionnera un peu plus tard un autre extrait du jugement, indiquant qu'en 2017-2018 la « mise en concurrence a été conduite afin que seule la société Altrad formule une proposition. »
Là encore, Gabbanini niera cette réalité, alors que le tribunal a plusieurs fois estimé que la négociation du contrat encore en cours avait « fait l'objet d'un accord entre la FFR et AIA dès le mois de juillet 2017 à un prix de 5,4 M€ qui était très inférieur à la proposition de 9,9 M€ adressée aux partenaires officiels et sans mise en concurrence ouverte. » Le jugement énonce « des conditions affectant la concurrence effective entre partenaires existants et potentiels. » On est loin du brevet certifié conforme. « Nous allons, comme pour tout le monde, contrôler tout cela, assure Mme Sebaihi. Si des gens ont menti à la représentation nationale, ils auront à en répondre devant la justice. On va être intraitables. »