On vous devine, sur votre canapé, prodiguer des conseils aux joueurs dans la TV, rouspéter contre un placement aléatoire ou une passe mal ajustée. C'est vrai, en qualité d'ancien talonneur de quatrième série ou fort d'une carrière d'ouvreur aux portes de la Fédérale 3, vous savez de quoi vous parlez en matière de lancer en touche ou de jeu au pied d'occupation. C'est complètement légitime et les rugbymen du Top 14 ne vous tiendront jamais rigueur d'un ou deux « tips » appuyés par écran interposé.
Mais imaginez un instant que ces commentaires-là soient adressés par une ancienne pointure internationale, une figure qui a porté pendant quinze ans le même numéro que vous dans son dos, et qui s'avère être votre entraîneur. C'est ce que vivent quotidiennement des dizaines de joueurs et cela a de quoi vous brider un tantinet. Vous joueriez sereinement un petit morceau de guitare avec Jimi Hendrix au-dessus de votre épaule, vous ?
« La confiance et la motivation sont des sujets hyper intéressants, parce qu'ils créent la différence entre un grand et un très grand joueur, un joueur de club et un joueur international »
Ronan O'Gara, ex-ouvreur de l'Irlande et entraîneur de La Rochelle
« Pour moi, c'est surtout un atout », jure Antoine Hastoy. À La Rochelle, le numéro 10 international (10 sélections) évolue sous les ordres de Ronan O'Gara, ex-ouvreur du quinze du Trèfle dans les années 2000 (128 sélections), et entraîneur au tempérament réputé volcanique. Un coach qui n'hésite pas à bousculer ces troupes par la parole et place très haut son curseur d'exigence. Porter le numéro 10 sous son haut patronat, ça ne doit pas être de tout repos ?
« Oui, J'ai déjà vécu ça avec (le Néo-Zélandais) Richie Mo'unga aux Crusaders, c'est un très grand 10, et Ihaia (West) et Antoine sont des grands 10, expliquait-il à L'Équipe en décembre. J'essaie de changer ma tactique, de tirer le meilleur de mes ouvreurs. Mais ils doivent prendre leurs responsabilités. Et ça commence par leur propre motivation, c'est la clé. La confiance et la motivation sont des sujets hyper intéressants, parce qu'ils créent la différence entre un grand et un très grand joueur, un joueur de club et un joueur international. »
« Ronan (O'Gara) comme Rémi (Talès) sont très regardants par rapport aux ouvreurs de l'équipe. C'est quelque chose de très plaisant »
Antoine Hastoy, demi d'ouverture du Stade Rochelais
Dans le cas rochelais, Hastoy et ses collègues ouvreurs s'appuient aussi sur Rémi Talès, ancien 10 des Bleus (24 sélections), coach adjoint en charge des arrières. « Ronan comme Rémi sont très regardants par rapport aux ouvreurs de l'équipe, poursuit Hastoy. C'est quelque chose de très plaisant. Je discute beaucoup des spécificités du poste avec Rémi. Et quand je joue, je ne pense pas à la façon dont ils peuvent m'observer (sourire), je ne vois pas les choses comme ça. »
« Par rapport à mon passé de joueur, je sais ce que les ouvreurs ressentent à certains moments d'une rencontre, explique Talès. Ils ont énormément de pression sur leurs épaules. J'ai peut-être plus d'empathie pour eux. Mais c'est important de les laisser faire comme ils sentent, parce que ce sont eux sur le terrain. Je vais les aider le plus possible, les accompagner, mais après... S'il y a quelque chose que je leur propose auquel ils n'adhèrent pas, ils ne le feront pas. Je sais comment j'étais aussi. Je les accompagne et ils valident pour qu'on avance ensemble. »
Comme Talès, Camille Lopez a un passé récent de joueur. L'ex-ouvreur, encore concurrent de Joris Segonds l'an passé, vient de devenir entraîneur en charge du jeu au pied à l'Aviron Bayonnais. « J'ai eu une discussion avec Joris à l'intersaison. Je lui ai dit que je n'allais pas lui apprendre à taper, il le fait très bien, sourit l'ancien international (28 sélections). On échange beaucoup mais on le faisait déjà quand on était tous les deux joueurs. Il sait que je ne lui fais pas de reproches, j'essaie juste de l'aider s'il en a besoin. »
Pour les entraîneurs, la ligne est très fine entre un accompagnement poussé et une omniprésence étouffante. Et la plupart en ont conscience. « Je ne supportais pas à l'époque qu'on soit sur mon dos à tort et à travers, se souvient Pierre Mignoni, ancien demi de mêlée international (28 sélections) et manager du RCT. Si c'était pour mon bien, je l'acceptais avec plaisir, parce que ça me remettait en question, parce que j'aimais ça. Mais si c'est pour dénigrer ou pas être constructif, là non. J'essaye vraiment, honnêtement, de ne pas faire ça. Par contre, j'aime avoir la relation avec mes 9, mais je ne veux absolument pas qu'ils me ressemblent, surtout pas. Je suis exigeant avec eux sur le côté technique, stratégique. Sur ça, je ne les lâche pas. Mon objectif, c'est de tirer le maximum de leur potentiel. Je veux qu'un 9 soit parfait. »
Pilier : Patrice Collazo (Racing).
Deuxième-ligne : Karim Ghezal (Lyon).
Troisième-ligne : Grégory Patat (Bayonne), Paul Gustard (Stade Français).
Demi de mêlée : Sébastien Tillous-Borde (Montauban), Pierre Mignoni (Toulon).
Demi d'ouverture : Xavier Sadourny (Castres), Ronan O'Gara (La Rochelle).
Centre : Sébastien Piqueronies (Pau).
Ailier/Arrière : Ugo Mola (Toulouse).
Baptiste Serin ou Ben White, les demis de mêlée toulonnais, distinguent la nuance entre l'exigence du coach et celle plus spécifique de l'ancien 9. Aux postes de la charnière, particulièrement exposés à cause de leur importance dans la conduite du jeu, il y a forcément une part de liberté qu'il faut laisser aux joueurs, seuls décideurs sur le terrain.
Les entraîneurs qui ont évolué à ces postes le savent, en théorie, mieux que personne. « Pour les joueurs, ça peut être insupportable si on est trop insistant, confirme Lopez. Je pense prendre assez de recul, je n'insiste pas en disant à mon ouvreur : "Tu as fait une erreur à ce poste !" » Les 10 de canapé s'en chargent déjà parfaitement.








