Les adversaires de l'ASM ont pris l'habitude d'étudier de près le jeu de George Moala, tant le centre fait parler sa puissance au centre de l'attaque auvergnate. Mais samedi, ce sont les chirurgiens du monde entier qui se sont penchés sur le cas du All Black (4 sél.), tant il pourrait révolutionner la médecine orthopédique. En voyant son genou pris en porte-à-faux, la rotule à Clermont, le ménisque à Montferrand, les tribunes du stade Michelin y allaient déjà de leur diagnostic et lui promettaient des mois de douloureuse rééducation. Ben non, le phénomène lâchait une grimace... et se relevait, faisant passer l'indisponibilité de ce type de blessure de six mois minimum à... une grosse minute. «George s'est dit : Oh, c'est les ligaments croisés, ça va, c'est pas grave, et il s'est relevé !» en plaisantait un Franck Azéma incrédule.
L'entraîneur aurait presque pu y voir une métaphore de son équipe cette saison, et même samedi contre l'Ulster. Cette ASM 2019-2020 vit une première partie de saison étrange, enchaîne les tempêtes avec les éclaircies et manque de constance.
«Soit tu trouves des excuses à gauche, à droite, soit tu réponds sur le terrain. J'ai trouvé des bonnes réponses cet après-midi (samedi)
Contre les Nord-Irlandais, les Jaune et Bleu ont encore une fois loupé leur entame de match, les laissant prendre les commandes du jeu et du match (3-10 après huit minutes). Puis ils se sont réveillés quand, présomptueux, les Ulstermen ont cherché à les enfoncer en choisissant d'aller en touche à trois reprises plutôt que de tenter des pénalités pas trop compliquées au coeur de la première période, quand Morgan Parra purgeait dix minutes de mise au banc.
«On a défendu fort à ce moment-là, et c'est aussi là qu'on a ouvert les vannes, observait Azéma. On a joué, mis du rythme, bréché et on a vu que c'était possible de les déstabiliser. On a appuyé là-dessus à la pause, avec l'idée de rester sur ce tempo et de ne surtout pas rester sur un rugby petit, où ils excellent.» Le coach auvergnat a apprécié cette réaction d'orgueil, l'investissement défensif de ses troupes et l'allant offensif, symbolisé par les essais d'Alivereti Raka (49e) et de Moala (77e).
Surtout, Azéma a pu jauger le caractère de ses hommes, dont la semaine avait aussi été agitée par la non-sélection en équipe de France de quelques cadres, comme Arthur Iturria, Alivereti Raka, Camille Lopez ou Rabah Slimani. «J'ai discuté avec chacun d'eux, assure le manager, pour avoir leur ressenti. Chacun a sa façon de le vivre, mais tu as beau dire que ça va, t'es toujours touché... Ce qui est bon signe, ça veut dire que tu es compétiteur ! Alors soit tu trouves des excuses à gauche, à droite, soit tu réponds sur le terrain. J'ai trouvé des bonnes réponses cette après-midi (samedi) !»
Azéma paraît rasséréné par cette réaction et la perspective d'un printemps européen. Finaliste du Top 14, vainqueur du Challenge européen, sa machine peut donner l'impression d'être grippée mais n'a pas encore calé. «De l'extérieur, j'ai presque l'impression qu'on est en crise ! riposte-t-il. À mi-saison, on est à trois points de la sixième place (en Top 14) et qualifiés pour les quarts de Coupe d'Europe. Un paquet de clubs signeraient pour ça ! Je ne dis pas qu'on est bons tous les week-ends, mais on est en train d'absorber l'effet Coupe du monde, et je sens que petit à petit tout le monde se resserre, qu'on converge vers le même objectif.» Et que l'ASM est loin d'avoir un genou à terre.
Fischer, prix du meilleur gratteur
Et Alex Fischer s'est chargé de très vite expliquer pourquoi il avait pu susciter l'intérêt de l'équipe de France, à ceux qui n'avaient pas encore bien identifié les qualités ce jeune joueur de bientôt 22 ans, qui ne disputait que son 21e match pro.
«Je suis revenu de blessure il n'y a pas très longtemps, je ne m'y attendais pas»
Alexandre Fischer, troisième-ligne de l'ASM
Avant la pause, il coffrait un premier ballon au sol. Juste après, il croquait le 9 de l'Ulster et l'empêchait de libérer. À cinq minutes de la fin, il infiltrait ses paluches dans un ruck adverse. Trois grattages décisifs à lui tout seul en moins d'une heure. Costaud.
«C'est sa came ! souriait Franck Azéma. Il traque ces ballons et il sait que c'est sa différence. S'il a été pris en équipe de France, c'est pour ça.» Élu homme du match, Fischer se présentait devant les journalistes avec la tranche des mains couverte de terre. Parce qu'il avait passé son temps à les planter dans la pelouse pour récupérer de précieux ballons.
«C'est une semaine spéciale, appréciait-il timidement. Je suis revenu de blessure il n'y a pas très longtemps, je ne m'y attendais pas. Là, je suis rentré tôt, sans avoir le temps de m'échauffer... J'ai peut-être élu homme du match mais on a fait un job d'équipe. Le stress était là, je suis quelqu'un qui stresse beaucoup !» Mais qui, malgré ça, a su imposer son profil atypique, de petit (1,88 m) flanker-gratteur.
Au bon souvenir de Raka
Les huit derniers jours avaient été durs pour Alivereti Raka. L'ailier de Clermont avait peiné sur le terrain contre le Racing (27-19), en Top 14, où un cadrage-débordement de Teddy Thomas l'avait sérieusement mis en difficulté. Et quelques jours après, l'international apprenait qu'il ne faisait pas partie de la liste des 42 joueurs retenus par Fabien Galthié pour débuter la préparation du Tournoi des Six Nations. Sa réponse était guettée sur le terrain. Et elle avait de la consistance.
Raka a longtemps attendu son premier ballon. Très longtemps. Il n'a surgi qu'à la demi-heure de jeu, comme s'il n'en pouvait plus de patienter : il a quitté son aile gauche pour jouer les distributeurs sur un ruck, quand l'ASM n'avait plus de demi de mêlée, après la sortie sur carton jaune de Morgan Parra (23e). Et ça a été le déclic. Quelques secondes après, il se réveillait définitivement, en allant percuter un Ulsterman.
«Sur les impacts, il leur a fait mal mentalement. Je suis content pour lui !»
Franck Azéma, entraîneur de Clermont
Dur, sec. Présent. Jusqu'à marquer en coin, du bout des doigts, l'essai qui fit enfin passer Clermont devant au score (49e, 16-10).
«Alivereti a été entreprenant, il a beaucoup travaillé pour l'équipe, il est venu se proposer et il a été décisif grâce à sa défense sur l'homme, complimentait Franck Azéma. Sur les impacts, il leur a fait mal mentalement. Je suis content pour lui !»
S'il a fait mal ballon en main, en n'hésitant pas à défier et secouer le costaud deuxième-ligne Iain Henderson, il a su faire parler sa densité sur les plaquages aussi.
Le pauvre Luke Marshall doit encore en trembler : il a été sèchement, mais dans les règles, cloué par Raka (68e), qui provoquait là une récupération de balle. Sur l'action, les Jaune et Bleu venaient tous féliciter leur ailier. Heureux pour lui.