Article réservé aux abonnés du Monde, sur la situation dans les ehpads
Des soignants submergés en nombre insuffisant qui tentent de sauver des résidents confinés dans leur chambre, esseulés : derrière les portes closes, à l’abri des regards des familles interdites de visite, se joue une tragédie à huis clos dans les quelques centaines d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en France où le coronavirus a réussi à s’infiltrer. La guerre d’usure contre le Covid-19 ne fait que commencer dans les maisons de retraite. Pour le moment, le gouvernement n’a qu’une visibilité très partielle du nombre de victimes. Faute de moyens mais aussi de volonté des établissements et des autorités sanitaires de se montrer transparentes sur le bilan.L’Ehpad Le Bosquet de la Mandallaz, à Sillingy (Haute-Savoie), est un des premiers à avoir payé le tribut du coronavirus : le bilan était, début mars, de sept morts, contaminés. « On nous regardait comme des pestiférés au début, raconte Eric Lacoudre, directeur de cet établissement associatif. Et puis, passée la peur des gens alentours, on a bénéficié d’un élan de solidarité incroyable. »
Un barman d’un village voisin est venu « nous prêter main-forte, des aides-soignants des alentours sont arrivés en renfort, des bénévoles sont accourus pour épauler le personnel à bout de souffle ». S’il témoigne, c’est parce qu’il a « le sentiment d’avoir remonté la pente », mais nombre de ses collègues préfèrent se taire. L’extrême discrétion, voire le silence des chefs d’établissement, alimente souvent les sentiments d’anxiété
Du côté du gouvernement, aucun bilan national n’a pu être produit, non plus, par la direction générale de la santé (DGS). Dans son point quotidien sur l’épidémie, le professeur Jérôme Salomon, directeur de l’instance n’a, jusqu’ici, pas distingué les décès des personnes tombées malades en Ehpad de ceux recensés à l’hôpital ou en ville.
Des raisons objectives expliquent l’absence de cartographie à l’échelle du pays. Dénombrer les morts du Covid-19 en Ehpad supposerait que tous les résidents malades fassent l’objet d’un test avant ou après leur décès. Or, selon la doctrine fixée par le ministère de la santé, seuls les deux ou trois premiers cas de personnes présentant des symptômes sont testés. Lorsque les personnes âgées contaminées meurent à l’hôpital, les services qui les prennent en charge ne sont guère tenus de savoir si elles habitaient chez elle ou vivaient en Ehpad.
« Il n’y a pas d’omerta »
La plupart des ARS ont commencé à établir un bilan provisoire. Interrogée par Le Monde, celle de la région Hauts-de-France indique que « dix-huit Ehpad sur près de 580 déclarent au moins un résident positif au Covid-19. A ce jour, 81 résidents sont confirmés positifs et 24 décès sont à déplorer ».
Mais rare sont celles qui communiquent. « Il n’y a pas d’omerta, se justifie Olivier Obrecht, directeur général adjoint de l’ARS Bourgogne-Franche-Comté. Nous avons simplement une politique de communication très stricte pour ne pas faussement rassurer ni affoler les gens. Quand bien même nous aurions une comptabilisation des morts établissement par établissement, nous ne connaissons pas la cause de tous les décès. » A l’Ehpad de Thise, « seuls trois résidents ont été testés et se sont révélés porteurs du virus », précise-t-il.
Selon nos informations, 39 décès de résidents en Ehpad étaient recensés lundi 23 mars en Ile-de-France. Si l’ARS francilienne préfère ne pas communiquer de chiffres sur les décès, elle a mis en œuvre un « sondage systématique » pour aller chercher l’information auprès des établissements.
« Nous souhaitons avoir une idée précise de la situation. Ce serait une faute très lourde qui nous serait reprochée si on donnait le sentiment de vouloir sous-estimer la réalité de la mortalité chez ces personnes fragiles », explique Aurélien Rousseau, le directeur de l’ARS d’Ile-de-France. « Ces remontées d’informations vont nous permettre d’ajuster au mieux les mesures d’accompagnement des Ehpad et d’évaluer les besoins en masques au cas par cas », explique Isabelle Bilger, responsable des politiques de l’autonomie à l’ARS.
Détecter les malades plus tôt
Sans attendre un état des lieux, les gériatres multiplient les appels au gouvernement pour qu’il enraye de manière plus offensive l’avancée de l’épidémie. Première exigence du corps médical : rendre les dépistages les plus précoces possible. Le professeur Hubert Blain, chef du pôle de gérontologie du CHU de Montpellier, alerte depuis quelques semaines ses confrères au sujet des symptômes atypiques que présentent nombre de personnes âgées atteintes du virus : forte diarrhée, perte d’équilibre, troubles cognitifs.
Les directeurs d’Ehpad devraient pouvoir être formés à détecter ces signes avant-coureurs qui précèdent la toux et la fièvre, afin d’isoler au plus vite les cas suspects sans attendre qu’ils n’aient eu le temps de contaminer d’autres résidents. Mais détecter de façon plus précoce les malades suppose, selon le Pr Blain, un accès plus facile des Ehpad aux tests de dépistage. Tant pour les résidents que pour les soignants.
La principale revendication des gérontologues concerne le port du masque systématique pour les personnels en maison de retraite.
La principale revendication des gérontologues concerne le port du masque systématique pour les personnels en maison de retraite. « Certaines études montrent que 50 % des patients positifs au Covid-19 sont asymptomatiques », rappelle Gaël Durel, coprésident de l’Association nationale des médecins coordinateurs et du secteur médico-social (MCOOR). Dans une lettre adressée vendredi 20 mars au ministre de la santé, Olivier Veran, les instances représentatives de la gérontologie estiment les besoins à 500 000 masques par jour pour l’ensemble des Ehpad.
Samedi, M. Véran a accédé à leur demande en annonçant que les établissements pour personnes âgées « disposeront dans la durée de ces 500 000 masques par jour ». « Lorsque des symptômes apparaissent, la dotation devra permettre de couvrir en priorité les personnes qui œuvrent auprès des cas possibles ou confirmés », a-t-il toutefois précisé.
« Il ne faut pas raisonner en termes d’âge »
De fait, interrogées par Le Monde, la plupart des ARS expliquent qu’elles ne disposent pas à ce jour des stocks nécessaires pour équiper les soignants y compris quand ils ne sont pas au contact des résidents malades.
Les médecins et les directeurs d’Ehpad se mobilisent également pour que l’hospitalisation des résidents malades soit assurée en dépit de l’augmentation du nombre de victimes dans la population. Dans leur courrier à Olivier Véran, les gérontologues font valoir que les établissements n’ont ni le matériel ni les personnels suffisants pour prendre soin des malades du Covid-19 en état grave. « Il ne faut pas raisonner en termes d’âge pour l’hospitalisation mais en termes de chance de surmonter la maladie », insiste le professeur Claude Jeandel, président du Conseil national professionnel de gériatrie et signataire du courrier.
Aujourd’hui, « nous sommes capables de prendre en charge les gens qu’on considère pouvoir sauver, affirme Aurélien Rousseau, le patron de l’ARS d’Ile-de-France. Ce sont des décisions médicales de ce genre qui sont prises tous les jours par tous les médecins. Elles sont lourdes. Elles sont collégiales. Mais nous restons préoccupés, car nous ne connaissons pas la cinétique de cette épidémie ». En Ile-de-France, La moitié des malades en réanimation ont plus de 60 ans.
Et sur Raoult-membre-du-conseil-scientifique