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L’hydroxychloroquine et la chloroquine ont-elles un intérêt dans le traitement du Covid-19 ? Les études s’accumulent, sans apporter pour l’instant de preuves décisives en faveur de ces molécules dont le président américain Donald Trump s’est fait le champion mondial, inspiré par l’infectiologue français Didier Raoult. Récemment le JAMA, le NEJM, ou encore le BMJ, trois des plus grandes revues médicales mondiales, ont publié des résultats décevants, voire négatifs. Vendredi, 22 mai, c’est au tour du Lancet, complétant ce « carré magique » de l’édition scientifique. Son étude suggère que, loin d’apporter un bénéfice aux patients hospitalisés, elles entraîneraient un risque accru d’arythmie cardiaque et de décès à l’hôpital.
Menée par une équipe internationale conduite par Mandeep Mehra (Harvard Medical School), cette étude est la plus vaste publiée à ce jour sur le sujet. Mais elle n’entre pas dans la catégorie des essais cliniques dits randomisés, où les traitements évalués sont administrés à des groupes de patients aux caractéristiques comparables, constitués de façon aléatoire, pour éviter certains biais – le plus haut standard étant les études en double aveugle, où ni l’équipe médicale ni le patient ne savent quel traitement reçoit ce dernier.
L’étude du Lancet est dite rétrospective : elle s’est appuyé sur un vaste registre international de dossiers médicaux électroniques provenant de 671 hôpitaux sur six continents. Plus de 96 000 dossiers de patients hospitalisés pour Covid-19 entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020 ont été sélectionnés, parmi lesquels certains recevaient de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine seules, ou associées avec des macrolides (des antiobiotiques) dont l’azythromycine – cette dernière combinaison étant celle promue en France par Didier Raoult (IHU Méditerranée infections, Marseille). Les traitements devaient avoir débuté moins de quarante-huit heures après le diagnostic par PCR (test virologique). Ces quatres « bras » étaient comparés à un groupe contrôle de 81 000 patients ayant reçu un traitement standard.
« Risque accru d’apparition d’arythmie »
Résultat ? « Après avoir contrôlé l’âge, le sexe, l’origine ethnique, les comorbidités sous-jacentes et la gravité de la maladie au départ, l’utilisation des quatre schémas thérapeutiques a été associée à un risque accru d’apparition d’arythmie ventriculaire et de décès à l’hôpital », concluent les auteurs.
A la fin de la période étudiée, environ un patient sur 11 du groupe contrôle était décédé à l’hôpital. Parmi les patients traités par la chloroquine ou l’hydroxychloroquine seule, environ un sur six était mort. Lorsque ces médicaments étaient utilisés en combinaison avec un macrolide, le taux de mortalité s’élevait à plus d’un sur cinq pour la chloroquine et à près d’un sur quatre pour l’hydroxychloroquine.
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Cependant, ces proportions ne doivent pas être prises comptant : certaines différences avec le groupe contrôle peuvent expliquer ces issues moins favorables. Mais une fois ces facteurs corrigés, les auteurs estiment que si le taux de mortalité est de 9,3 % dans le groupe de contrôle, le taux associé à l’utilisation des régimes médicamenteux se situerait lui à environ 13 %. Sans pouvoir exclure que des facteurs passés inaperçus expliquent cette différence, et non les traitements eux-mêmes – une aporie que les essais randomisés ont vocation à surmonter.
Ces considérations s’appliquent aussi aux observations concernant les arythmies cardiaques, dont le risque pouvait être accru de 400 % chez les patients recevant la combinaison hydroxychloroquine plus un antibiotique.
« C’est la première étude à grande échelle à trouver des preuves statistiquement solides que le traitement par la chloroquine ou l’hydroxychloroquine ne bénéficie pas aux patients atteints de Covid-19, estime cependant Mandeep Mehra, dans un communiqué de presse publié par The Lancet. Nos conclusions suggèrent plutôt qu’il pourrait être associé à un risque accru de problèmes cardiaques graves et à un risque accru de décès. En attendant [des essais cliniques randomisés], nous suggérons que ces médicaments ne devraient pas être utilisés comme traitements pour Covid-19 en dehors des essais cliniques. »
Obsevation « intrigante »
Dans un article de commentaire publié dans The Lancet, le pharmacologue Christian Funck-Brentano (Sorbonne Université), qui n’a pas participé à cette étude, parvient à la même conclusion : « Cette étude observationnelle bien conduite vient s’ajouter à des travaux préliminaires suggérant que la chloroquine, l’hydroxychloroquine, seule ou avec l’azithromycine, n’est pas utile et peut être nocive chez les patients hospitalisés sous Covid-19. »
Il note cependant que les arythmies ventriculaires enregistrées n’expliquent pas à elles seules la surmortalité observées chez les patients traités, et que l’étude ne met pas en évidence une mortalité accrue chez ceux recevant en plus de l’azithromycine, comme on aurait pu l’attendre étant donné sa capacité connue à potentialiser des arythmies. Une observation qualifée d’« intrigante ».
En France, des remontées de pharmacovigilance ont aussi fait état d’effets indésirables cardiaques parfois mortels liés à l’administration d’hydroxychloroquine pour combattre le Covid-19, posant la question de la balance bénéfice/risque de ce traitement face à une maladie qui disparaît spontanément chez une très grande majorité des patients – mais qui peut aussi elle-même entraîner des atteintes cardiaques susceptibles d’être aggravées par ce type de molécules.
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Certains voient dans la publication du Lancet, après celles des trois autres grandes revues, « le dernier clou sur le cercueil de l’hydroxychloroquine ». Il y a cependant peu de chances que le débat, très enflammé notamment sur les réseaux sociaux, prenne fin. Didier Raoult en préconise l’administration en association avec l’azithromycine dès les premiers symptômes confirmés par PCR, même hors contexte d’hospitalisation – une différence notable avec le protocole retenu dans l’étude du Lancet. Celui-ci semble cependant nettement plus solide que celui d’une équipe de l’hôpital de Garches, publié en preprint et que ses auteurs ont retiré et ne souhaitent plus voir cité. L’étude montrait un bénéfice dans l’association hydroxychloroquine-azithromycine. Didier Raoult l’avait qualifiée de « très bon travail ».
Considérations éthiques
Pour l’heure, aucun essai clinique randomisé de grande ampleur n’est disponible pour trancher définitivement la question de l’intérêt de l’hydroxychloroquine combinée à l’azithromicyne. L’essai Discovery lancé par l’Inserm peine à recruter des patients en Europe pour atteindre une masse critique suffisante – une difficulté rencontrée par d’autres essais cliniques du même type, en partie liée à la baisse du nombre de patients éligibles en raison du reflux de la maladie.
L’existence d’effets secondaires graves risque encore de compliquer les choses, certains observateurs considérant désormais peu éthique de proposer ce traitement. En Belgique, des réticences à exposer les patients à des doses potentiellement délétères expliqueraient pour partie le refus des autorités d’être associées à des essais cliniques sur le sujet, explique ainsi le journal Le Soir. Ces considérations éthiques entraveront-elles la mise en place d’un vaste essai randomisé en double aveugle annoncé jeudi 21 mai par l’université d’Oxford et la fondation Wellcome ? Il est destiné à tester auprès de 10 000 personnels de santé l’intérêt préventif de l’hydroxychloroquine contre le SARS-CoV-2 : exactement l’usage prophylactique que prétend en faire le président Trump !