Je m'y étais engagé alors voici un un petit instantané de la situation dans l'EHPAD où je bosse...
Ma mémoire étant momentanément en burn-out, je suis remonté à mon post du 26 octobre pour bien mesurer mon inquiétude d'alors : "Je saurai jeudi au prochain test si j'ai pu passer entre les gouttes mais ce serait vraiment une chance inespérée si l'hécatombe ne se poursuit pas."
Donc le jeudi suivant, 29 octobre, les écouvillons nasaux ont parlé : Nous avons compté six positifs supplémentaires, trois résidents et trois soignants, portant ainsi le total à 20 résidents et 9 soignants Covid+. Ces résultats, même positifs, sont relativement modestes par rapport au premier dépistage. Lorsque j'ai envoyé un message à mes parents (76 et 74 ans) pour les informer de mon test négatif, mon père avec son sens incassable de la répartie me répondit : "Ne perds pas courage, tu auras plus de réussite la prochaine fois !" Et moi de lui renvoyer "Je vais cartonner à l'écrit, il vont rien comprendre !"
Je ne sais pour combien de temps mais à l'évidence la perturbation est passée et elle n'a pas eu la violence présumée. Au moins deux raisons à cela. D'abord, comme je vous l'avais indiqué, tous les congés ont été supprimés ce qui a permis de renforcer les équipes et de travailler au quotidien en sureffectif et non pas en mode dégradé. Sureffectif qui a permis essentiellement de réaliser correctement les protocoles sanitaires et de désinfection assez fastidieux et répétitifs. Le fait d'être tous dans la même barque, soudés et solidaires comme jamais, était le prérequis indispensable pour passer le cap.
Ensuite, nous avons eu très peu de formes sévères à traiter. Le résident qui toussait beaucoup et très fort étant d'ailleurs le cas le plus grave que nous ayons eu. Comme attendu, il est décédé rapidement samedi dernier soit une huitaine de jours après l'apparition des premiers symptômes. Ce monsieur, suite au décès de son épouse, n'avait aucune volonté de vivre. Il venait ainsi de refuser tout protocole de soin pour un cancer de prostate. Par refus, dégoût, perte d'appétit ou tout ça à la fois il ne s'alimentait plus, son quotidien n'était plus que détresse respiratoire, quinte de toux explosive et grande fatigue. Nous avons donc pris la décision de le sédater avec du Valium et de la Morphine mais jusqu'au bout il nous a donné l'impression de ne pas arriver à se laisser aller et à s'endormir, gardant les yeux mi-clos et la même position au lit. Je donne toutes ces précisions à dessein car pour moi, malgré tout ce que j'ai évoqué à son sujet, il s'agit clairement d'un décès lié au Covid. Et en tout cas c'est aussi sous le protocole sanitaire du Covid qu'il s'est retiré du monde : Toilette mortuaire réduite, pas d'habillage, mis dans une housse lavable, accompagnement de le famille restreint etc...
Dans leur immense majorité, à deux ou trois exceptions près, les autres résidents ont suivi la même trajectoire et, à J14 aujourd'hui, n'ont eu aucun symptôme, pas de fièvre, pas de désaturation, pas de chiasse, rien. Dans le lot pourtant on avait un paquet de profils type, à l'obésité parfois prononcée. Un tel tournant quotidiennement à 80% de sat en O², tel autre, fumeur invétéré et souffrant d'insuffisance respiratoire, un autre encore ne s'alimentant qu'avec des madeleines à longueur de journée... Remarquez qu'on est pas très loin des 15% de formes graves
En revanche, sur les 9 soignants contaminés, beaucoup ont vécu (et vivent encore, c'est pas terminé) une expérience désagréable si ce n'est préoccupante. Trois collègues, entre 22 et 30 ans, ont ainsi eu de fortes fièvres, une perte de goût et d'odorat et des vomissements pour deux d'entre elles ainsi qu'un état de fatigue les obligeant à rester au lit. J'observe aussi pour chacune d'elle un embonpoint certain.
Avant ces deux semaines sous le régime du virus j'avais quelques bases, quelques demi-certitudes sur qui pouvait être sujet à risque. Aujourd'hui je me rends compte que c'est encore plus la loterie que ce que j'imaginais et qu'il y a probablement beaucoup de cases à cocher (charge virale, patrimoine génétique, système immunitaire etc...) avant de développer une forme sévère du Covid.